Le grand fou-rire de la dame du huitième ou une soirée au théâtre de La Valette à Ittre
A propos de la pièce
"Le vaudeville et le veau des champs, ou le magnolia"
de Jacques De Decker
mise en scène de Leonil Mc Cormick
jusqu'au 12 février 2017
Il n’est pas si fréquent au théâtre que le
soudain fou-rire d’une spectatrice oblige les acteurs à interrompre le
déroulement de la pièce jusqu’à ce que s’apaise l’incontrôlable et communicative
hilarité du public. Nous étions à la première de la représentation de la pièce
« Le Vaudeville et le Veau des Champs ou le Magnolia » de Jacques
De Decker, lorsque, derrière nous, au huitième rang de la salle du théâtre de
la Valette, où nous nous réjouissions des échanges entre les personnages
imaginés par l’auteur, les dossiers de notre rangée furent saisis de mouvements
telluriques, bien vite suivis par ce qui leur avait donné naissance : l’irrépressible
fou-rire d’une dame qui ne parvint plus à retenir cette poussée de
« mouvements de la bouche et des muscles faciaux, accompagnés
d'expirations plus ou moins saccadées et bruyantes » (Larousse)
Ah ! qui dira le bonheur, les sourires,
les rires de la centaine de spectateurs qui emplissaient le théâtre de leur
écoute souriante et attentive du vaudeville que nous offraient, dans une mise
en scène de Leonil McCormick, les quatre comédiens (Charlotte Allen, Séverine De Witte, Florent Menotti et Benoît Strulus) incarnant Marie-Antoinette, Joséphine-Charlotte, Hadrien et Julien,
Un vaudeville ? De quoi s’agit-il ?
Une « comédie légère fondée sur l'intrigue et le quiproquo. » nous
dit le Larousse en ligne. C’est aussi le sujet auquel, le « Veau des
villes », Hadrien, consacre une thèse savante et le moyen qu’utilise le
dramaturge pour donner le ton de la comédie qu’il écrivit en l’an 2000 et fit
jouer une première fois au Théâtre du Parc, mais aussi en proposer ce dont ce
genre théâtral datant du XVIII ème siècle peut nous indiquer aujourd’hui :
un instrument d’optique dirigé vers ce microcosme qu’aime à observer De Decker,
le couple. En choisissant, genre oblige, de faire de Marie-Antoinette la
maîtresse de deux amants, qui, bien sûr, ignorent l’existence de leur alter
ego, il développe une première série de malentendus dont le spectateur, au
courant lui de la duplicité de la jeune femme, se délecte. L’amie –
pharmacienne et lesbienne – de Marie-Antoinette est la confidente-conseillère
de l’amoureuse volage. Joséphine-Charlotte, derrière le comptoir de son
officine, prodigue à son amie les conseils bienveillants que lui inspirent les sidérants
désarrois de l’amante indécise. Mais l’apothicaire et son amie (que nous ne
verrons pas), se posent aussi une question existentielle : celle d’élargir
le couple en lui donnant une progéniture. Mieux : en l’agrandissant à deux
bambins qu’il ne reste plus qu’à « faire ». Qui seront les géniteurs
de ces deux jeunes femmes, appelées à sacrifier à l’hétérosexualité le temps de
la conception des bébés ? Et de quelle manière cette procréation
improbable pourra se réaliser ? Nous vous en laissons la surprise.
Le décor judicieusement aménagé donne à
chacune des saynètes (la pharmacie, la maison de campagne d’Hadrien et le
studio en ville de Julien) un lieu qu’en bande dessinée on qualifierait de
« ligne claire ». Il met en lumière ce qui fait de cette comédie un vrai
vaudeville : l’échange vif et rapide entre les personnages, l’allusion
constante à ce qui leur est inconnu et qui fait la joie du spectateur
omniscient, l’effet de surprise (la piscine qui réunit les deux compères lors
d’un entraînement de water-polo vaut toutes les résolutions sportives que nous
sommes nombreux à revendiquer après les excès des « fêtes »), les
« mots d’auteur » (un des objets d’étude de notre « veau des
villes – intellectuel »), les croisements subtils auxquels oblige la loi
du quiproquo, les dévoilements évités de justesse, les scènes épurées, les
répliques en rafales courtes...
Nous avons assisté à la première de la pièce,
la représentation qui met le plus en danger le dispositif dramaturgique et le
jeu des comédiens, confrontés pour la première fois au vrai public. Hormis
quelques petits ajustements de rythme au début de la pièce, facilement
identifiables et qui ne manqueront pas d’être rectifiés, le jeu des acteurs
donnait à chaque personnage son identité faite de doutes, de bonheurs,
d’émerveillements, d’indécision face à l’énigme du sentiment amoureux, à
l’incertitude du couple, à l’affrontement du quotidien, à l’impermanence des
liens, en peu de mots : à ce qui fait de chacun de nous une individualité
complexe dont il faut bien s’arranger.
Sous la direction ingénieuse et subtile de Leonil Mc Cormack qui signe la mise en scène, chacun des comédiens donne à chaque personnage sa singularité, mettant en valeur avec un jeu varié, tout en finesse et justesse de ton. Marie-Antoinette, ingénue ambiguë fait habilement tourner les coeurs au risque du sien, Joséphine-Charlotte faussement débonnaire s'essaie à la raison mais le coeur reste aux aguets, quant aux deux jeunes hommes ils développent avec intelligence et drôlerie leurs différences si complices pourtant, même en l'ignorant.
Une des fonctions (et un des bonheurs) du théâtre, en
particulier de la comédie, réside sans doute dans la faculté de nous
proposer un miroir sans tain, dans lequel nous voyons à la fois notre reflet et
la représentation de ce que nous sommes, avons été ou pourrions être.
Y a-t-il
meilleur instrument d’approcher l’autre, d’en accepter le
mystère si proche du nôtre ?
Le théâtre de De Decker, comme ses romans et
nouvelles, sont œuvre de portraitiste. Il se joue de la pudeur et de la réserve
qui lui sont naturelles, pour nous livrer ce qu’il observe de son prochain,
sans indulgence mais avec le sourire de celui qui n’est ni dupe ni juge. Comme
l’artiste au moment de placer la lumière du regard dans le visage qu’il achève
de peindre, Jacques De Decker donne à ses personnages cette humanité
bienveillante qui nous les rend, l’auteur et eux, si attachants.
Ecrivant cette courte recension, nous ne
pouvons nous empêcher d’entendre le grand fou-rire de la dame du huitième rang.
Il aurait suffi de l’enregistrer et de vous la faire entendre pour vous
convaincre de vous rendre toutes affaires cessantes à Ittre où la pièce se donne
au théâtre de la Valette jusqu’au 12
février.
Edmond Morrel, Ittre, le 15 janvier 2017
Leonil Mc Cormick et Jacques De Decker lors d'une répétition |
« Marie-Antoinette est une femme comblée:
elle entretient une double relation amoureuse auprès de deux hommes que tout
oppose. Pour l'un, elle est Marie; pour l'autre Antoinette. L’un est jardinier,
l’autre écrivain. Chez l’un elle aime la campagne, chez l’autre la ville. Pour
ces deux hommes, elle demeure une femme énigmatique dont ils attendent la
visite avec impatience.Marie-Antoinette se confie régulièrement à Joséphine,
une amie pharmacienne lesbienne sans complexe qui rêve d’avoir un enfant toute
seule.
Vivons heureux, vivons caché ! Pour conserver
cet équilibre aussi longtemps que possible, Marie-Antoinette a tout prévu sauf
une rencontre entre le « veau des villes » et le « veau des champs ». Le jeu
d’équilibriste devient de plus en plus périlleux. Il semble qu’il faille
choisir ! Mais comment choisir entre deux êtres si essentiels à son bien-être ?
Courage fuyons !... en attendant qu’une improbable échappatoire tombe du
ciel. »
"Le vaudeville et le veau des
champs" ou « Le magnolia » est une comédie fine mettant en scène des
personnages gourmands qui philosophent comme seuls savent le faire des êtres
très amoureux. Cela donne une profondeur aux dialogues. L’esprit des
personnages est en perpétuelle ébullition.
Ici, les femmes sont à la manœuvre : ce sont
leurs questionnements, leurs besoins, leurs visions de la sexualité qui sont
mis en avant. Les hommes, qui ignorent certes une part importante de la vérité,
acceptent d’assez bon gré une situation qu’ils n’ont pas choisie, mais dans
laquelle ils trouvent leur compte. Cet état de fait remet en cause notre vision
traditionnelle des relations hommes/femmes et des mœurs amoureuses de notre
société, en excluant tout militantisme ou jugement moral. Jacques De Decker
réussit la prouesse de traiter un sujet périlleux et d’en explorer l’étendue
sans jamais tomber dans un des nombreux clichés qui jalonnent sa route.
L’héroïne est complice avec le spectateur qui
découvre, avec un peu d’avance sur les personnages masculins, la face immergée
de l’iceberg. Plus l’histoire se déroule, plus cet avantage se réduit : le
spectateur en vient à s’interroger de plus en plus intensément : « mais comment
tout cela va-t-il finir ? »
Représentée pour la première fois au Théâtre
Royal du Parc (2000), la pièce a depuis été jouée en Lettonie (2002), en France
(2007) et au Canada (2013). Aujourd’hui le Théâtre de La Valette est heureux de
vous la présenter avec cette belle distribution. »