mardi 17 janvier 2017

Le grand fou-rire de la dame du huitième ou une soirée au théâtre de La Valette à Ittre

Le grand fou-rire de la dame du huitième ou une soirée au théâtre de La Valette à Ittre

A propos de la pièce

"Le vaudeville et le veau des champs, ou le magnolia"
de Jacques De Decker
mise en scène de Leonil Mc Cormick
jusqu'au 12 février 2017


Il n’est pas si fréquent au théâtre que le soudain fou-rire d’une spectatrice oblige les acteurs à interrompre le déroulement de la pièce jusqu’à ce que s’apaise l’incontrôlable et communicative hilarité du public. Nous étions à la première de la représentation de la pièce « Le Vaudeville et le Veau des Champs ou le Magnolia » de Jacques De Decker, lorsque, derrière nous, au huitième rang de la salle du théâtre de la Valette, où nous nous réjouissions des échanges entre les personnages imaginés par l’auteur, les dossiers de notre rangée furent saisis de mouvements telluriques, bien vite suivis par ce qui leur avait donné naissance : l’irrépressible fou-rire d’une dame qui ne parvint plus à retenir cette poussée de « mouvements de la bouche et des muscles faciaux, accompagnés d'expirations plus ou moins saccadées et bruyantes » (Larousse)
Ah ! qui dira le bonheur, les sourires, les rires de la centaine de spectateurs qui emplissaient le théâtre de leur écoute souriante et attentive du vaudeville que nous offraient, dans une mise en scène de Leonil McCormick, les quatre comédiens (Charlotte Allen, Séverine De Witte, Florent Menotti et Benoît Strulus) incarnant Marie-Antoinette, Joséphine-Charlotte, Hadrien et Julien,

Un vaudeville ? De quoi s’agit-il ? Une « comédie légère fondée sur l'intrigue et le quiproquo. » nous dit le Larousse en ligne. C’est aussi le sujet auquel, le « Veau des villes », Hadrien, consacre une thèse savante et le moyen qu’utilise le dramaturge pour donner le ton de la comédie qu’il écrivit en l’an 2000 et fit jouer une première fois au Théâtre du Parc, mais aussi en proposer ce dont ce genre théâtral datant du XVIII ème siècle peut nous indiquer aujourd’hui : un instrument d’optique dirigé vers ce microcosme qu’aime à observer De Decker, le couple. En choisissant, genre oblige, de faire de Marie-Antoinette la maîtresse de deux amants, qui, bien sûr, ignorent l’existence de leur alter ego, il développe une première série de malentendus dont le spectateur, au courant lui de la duplicité de la jeune femme, se délecte. L’amie – pharmacienne et lesbienne – de Marie-Antoinette est la confidente-conseillère de l’amoureuse volage. Joséphine-Charlotte, derrière le comptoir de son officine, prodigue à son amie les conseils bienveillants que lui inspirent les sidérants désarrois de l’amante indécise. Mais l’apothicaire et son amie (que nous ne verrons pas), se posent aussi une question existentielle : celle d’élargir le couple en lui donnant une progéniture. Mieux : en l’agrandissant à deux bambins qu’il ne reste plus qu’à « faire ». Qui seront les géniteurs de ces deux jeunes femmes, appelées à sacrifier à l’hétérosexualité le temps de la conception des bébés ? Et de quelle manière cette procréation improbable pourra se réaliser ? Nous vous en laissons la surprise.

Le décor judicieusement aménagé donne à chacune des saynètes (la pharmacie, la maison de campagne d’Hadrien et le studio en ville de Julien) un lieu qu’en bande dessinée on qualifierait de « ligne claire ». Il met en lumière ce qui fait de cette comédie un vrai vaudeville : l’échange vif et rapide entre les personnages, l’allusion constante à ce qui leur est inconnu et qui fait la joie du spectateur omniscient, l’effet de surprise (la piscine qui réunit les deux compères lors d’un entraînement de water-polo vaut toutes les résolutions sportives que nous sommes nombreux à revendiquer après les excès des « fêtes »), les « mots d’auteur » (un des objets d’étude de notre « veau des villes – intellectuel »), les croisements subtils auxquels oblige la loi du quiproquo, les dévoilements évités de justesse, les scènes épurées, les répliques en rafales courtes...
Nous avons assisté à la première de la pièce, la représentation qui met le plus en danger le dispositif dramaturgique et le jeu des comédiens, confrontés pour la première fois au vrai public. Hormis quelques petits ajustements de rythme au début de la pièce, facilement identifiables et qui ne manqueront pas d’être rectifiés, le jeu des acteurs donnait à chaque personnage son identité faite de doutes, de bonheurs, d’émerveillements, d’indécision face à l’énigme du sentiment amoureux, à l’incertitude du couple, à l’affrontement du quotidien, à l’impermanence des liens, en peu de mots : à ce qui fait de chacun de nous une individualité complexe dont il faut bien s’arranger.
Sous la direction ingénieuse et subtile de Leonil Mc Cormack qui signe la mise en scène, chacun des comédiens donne à chaque personnage sa singularité, mettant en valeur avec un jeu varié, tout en finesse et justesse de ton. Marie-Antoinette, ingénue ambiguë fait  habilement tourner les coeurs au risque du sien, Joséphine-Charlotte faussement débonnaire s'essaie à la raison mais le coeur reste aux aguets, quant aux deux jeunes hommes ils développent avec intelligence et drôlerie leurs différences si complices pourtant, même en l'ignorant.

Une des fonctions (et un des bonheurs) du théâtre, en particulier de la comédie, réside sans doute dans la faculté de nous proposer un miroir sans tain, dans lequel nous voyons à la fois notre reflet et la représentation de ce que nous sommes, avons été ou pourrions être. 
Y a-t-il meilleur instrument d’approcher l’autre,  d’en accepter le mystère si proche du nôtre ?

Le théâtre de De Decker, comme ses romans et nouvelles, sont œuvre de portraitiste. Il se joue de la pudeur et de la réserve qui lui sont naturelles, pour nous livrer ce qu’il observe de son prochain, sans indulgence mais avec le sourire de celui qui n’est ni dupe ni juge. Comme l’artiste au moment de placer la lumière du regard dans le visage qu’il achève de peindre, Jacques De Decker donne à ses personnages cette humanité bienveillante qui nous les rend, l’auteur et eux, si attachants.

Ecrivant cette courte recension, nous ne pouvons nous empêcher d’entendre le grand fou-rire de la dame du huitième rang. Il aurait suffi de l’enregistrer et de vous la faire entendre pour vous convaincre de vous rendre toutes affaires cessantes à Ittre où la pièce se donne au théâtre de la Valette jusqu’au    12 février.

Edmond Morrel, Ittre, le 15 janvier 2017

Leonil Mc Cormick et Jacques De Decker lors d'une répétition






« Marie-Antoinette est une femme comblée: elle entretient une double relation amoureuse auprès de deux hommes que tout oppose. Pour l'un, elle est Marie; pour l'autre Antoinette. L’un est jardinier, l’autre écrivain. Chez l’un elle aime la campagne, chez l’autre la ville. Pour ces deux hommes, elle demeure une femme énigmatique dont ils attendent la visite avec impatience.Marie-Antoinette se confie régulièrement à Joséphine, une amie pharmacienne lesbienne sans complexe qui rêve d’avoir un enfant toute seule.
Vivons heureux, vivons caché ! Pour conserver cet équilibre aussi longtemps que possible, Marie-Antoinette a tout prévu sauf une rencontre entre le « veau des villes » et le « veau des champs ». Le jeu d’équilibriste devient de plus en plus périlleux. Il semble qu’il faille choisir ! Mais comment choisir entre deux êtres si essentiels à son bien-être ? Courage fuyons !... en attendant qu’une improbable échappatoire tombe du ciel. »

"Le vaudeville et le veau des champs" ou « Le magnolia » est une comédie fine mettant en scène des personnages gourmands qui philosophent comme seuls savent le faire des êtres très amoureux. Cela donne une profondeur aux dialogues. L’esprit des personnages est en perpétuelle ébullition.
Ici, les femmes sont à la manœuvre : ce sont leurs questionnements, leurs besoins, leurs visions de la sexualité qui sont mis en avant. Les hommes, qui ignorent certes une part importante de la vérité, acceptent d’assez bon gré une situation qu’ils n’ont pas choisie, mais dans laquelle ils trouvent leur compte. Cet état de fait remet en cause notre vision traditionnelle des relations hommes/femmes et des mœurs amoureuses de notre société, en excluant tout militantisme ou jugement moral. Jacques De Decker réussit la prouesse de traiter un sujet périlleux et d’en explorer l’étendue sans jamais tomber dans un des nombreux clichés qui jalonnent sa route.
L’héroïne est complice avec le spectateur qui découvre, avec un peu d’avance sur les personnages masculins, la face immergée de l’iceberg. Plus l’histoire se déroule, plus cet avantage se réduit : le spectateur en vient à s’interroger de plus en plus intensément : « mais comment tout cela va-t-il finir ? »
Représentée pour la première fois au Théâtre Royal du Parc (2000), la pièce a depuis été jouée en Lettonie (2002), en France (2007) et au Canada (2013). Aujourd’hui le Théâtre de La Valette est heureux de vous la présenter avec cette belle distribution. »