samedi 23 mai 2020

Un article de Jean Lacroix: Basson enjoué, Harpe enchanteresse…

    
Le bassoniste hollandais Bram van Sambeek, né en 1980, a effectué ses études au Conservatoire Royal de La Haye ; il a aussi suivi des masterclasses de Klaus Thunemann et de Sergio Azzolini. De 2002 à 2011, il a été premier bassoniste du Philharmonique de Rotterdam, avant d’être invité par divers orchestres (premier récital avec le Concertgebouw d’Amsterdam en 2013) et de se consacrer de plus en plus à la musique de chambre. Il a été le premier bassoniste à être récompensé par le prix culturel hollandais le plus élevé, le Dutch Music Prize. Il enseigne à l’université de musique de Cologne. Un nouveau CD sous étiquette du label BIS (2467), pour lequel van Sambeek a déjà gravé des concertos de Kalevi Aho et Sebsatian Fagerlund (deux autres CD ont paru chez Brilliant), rassemble trois concertos, dont une création mondiale.
Ceux de Mozart et de Weber figurent parmi les chevaux de bataille du répertoire du basson. Mozart compose le sien en 1775, au cœur duquel la mélodie s’épanouit de manière dynamique et équilibrée. Bram van Sambeek, qui signe lui-même la notice, précise que « les premier et troisième mouvements sont extrêmement enjoués avec des sauts idiomatiques et des passages staccato dans la partie solo et des échanges impertinents entre l’orchestre et le basson. » Il rappelle que le compositeur savait souligner les contrastes en prenant au sérieux l’instrument, mais en utilisant aussi ses ressources légères et humoristiques. C’est ainsi que van Sambeek aborde ces trois mouvements dont il cisèle tour à tour les aspects virtuoses, rêveurs ou chantants. Le concerto de Weber, dont Mozart avait épousé la cousine, Constance, a été élaboré en 1811, puis révisé en 1822, en particulier l’Allegro initial. L’essence de cette partition est essentiellement romantique ; l’aigu est très souvent sollicité, mais Weber utilise à merveille « les côtés mystérieux et caverneux du timbre de l’instrument, ainsi qu’une tendresse et une dignité mêlée à un curieux pathos » (John Warrack, Carl Maria von Weber, Paris, Fayard, 1987, p. 145). Le côté théâtral n’est pas oublié non plus et Bram van Sambeek pense que certains côtés militaires pourraient être imprégnés de l’écho des batailles napoléoniennes. Le bassoniste parcourt ces trois mouvements, à la fois charmants et excitants, avec une virtuosité sans failles et une expressivité qui n’est pas sans rappeler celle que Klaus Thunemann insufflait à ce concerto dans une version de référence de 1989 avec Neville Marriner (un CD Philips).

En complément de ces deux partitions-phares du basson, on découvre en première mondiale discographique un concerto de 1812 d’Edouard Du Puy. Né vers 1770 près de Neuchâtel, ce chanteur (il avait du succès dans Mozart), compositeur, metteur en scène, gérant d’un magasin de musique et violoniste, avait étudié le piano avec Jan Ladislav Dussek à Paris et le violon, son instrument de prédilection, avec François Chabran, pédagogue reconnu. Du Puy voyagea beaucoup en Europe et vécut à Copenhague et à Stockholm. Mais à côté de la musique, il mena une existence aventureuse, notamment dans le cadre de liaisons amoureuses avec des princesses ou des maîtresses de princes ; il connut trois fois le bannissement. Il put malgré tout regagner la Suède où il fut nommé chef de l’Opéra Royal de Stockholm, cité dans laquelle il décéda en 1822. Son concerto pour basson est une belle découverte : accents dramatiques et martiaux, agilité des timbres, ornementation habile, thèmes acrobatiques… Les ressources de l’instrument sont poussées à l’extrême des capacités aigües et graves. Les interactions avec la clarinette sont nombreuses. La partition de Du Puy est en tout cas des plus plaisantes, et n’a pas à rougir de la compagnie de Mozart et de Weber. On ne peut lui faire meilleur compliment, d’autant plus que van Sambeek l’empoigne avec cette facilité qui est la constance de ce CD dédié au basson, digne de figurer dans toute discothèque. L’Orchestre de chambre suédois, dirigé par Alexei Ogrintchouk qui a connu van Sambeek au Philharmonique de Rotterdam où il a été premier hautboïste solo, montre une belle complicité, souple et généreuse, avec le soliste. On appréciera la lumineuse clarté de cette gravure de septembre 2019.

Harpe enchanteresse…

A propos du CD
Pour la saveur du son et pour le plaisir des sens, il faut aller à la découverte d’un CD Accent (ACC 24369) qui propose un programme « à Vienne à l’époque de Marie-Thérèse ». On y trouve quatre compositeurs, les moins familiers Georg Christoph Wagenseil (1715-1777) et Johann Baptist Krumpholtz (1742-1790), et les célébrités que furent Christoph Willibald Gluck (1714-1787) et Joseph Haydn (1732-1809). Lorsque des restrictions du mécénat musical d’état apparurent à partir de 1740, les artistes s’adaptèrent : on note l’apparition des premiers concerts publics et la diversité du public, élargi à des couches sociales plus variées. La harpe suivit le mouvement des modifications instrumentales qui fleurirent alors : la pédale s’imposa bientôt, permettant de hausser le diapason des cordes d’un demi-ton. Le délicat et raffiné panorama qu’offre le présent CD permet d’avoir une idée claire de ce que l’on put entendre bientôt dans l’Europe entière. A Vienne, des compositions soignées, lumineuses et distinguées furent les témoins d’un réel succès. Les partitions ici proposées permettent de sortir des sentiers battus : concertos, quatuors, sonates, transcriptions d’arias ou de danses entraînent l’auditeur dans un univers où les couleurs et les nuances marient la harpe à la flûte, aux violons ou au violoncelle. On notera, dans ce contexte bien dosé, la présence de deux pages de Haydn, le Trio op. 53/3 (vers 1784) et le Quatuor n° 6 à attribution incertaine (vers 1770), au sein desquels les arpèges se déploient avec spontanéité et élégance, mais aussi un volubile et expansif concerto de Wagenseil, tenu en grande estime par Mozart. Un CD pour gourmets, servi par l’Ensemble Furibondo, auquel viennent s’ajouter la flûte de Marcello Gatti et la harpe rayonnante, un instrument de 1992 d’après l’époque de Louis XVI, de la harpiste Margret Köll, sensible et virtuose.

Jean Lacroix