lundi 6 juillet 2020

Un article de Jean Lacroix: De l’Opéra de Munich au Festival de Lucerne…

               De l’Opéra de Munich au Festival de Lucerne… 

Le milieu de la musique classique est considérablement impacté par la grave crise sanitaire qui a entraîné une multitude d’annulations de spectacles et de concerts, réguliers ou ponctuels. Le moment est peut-être opportun d’évoquer, par le biais du DVD, deux institutions, l’une, permanente, l’Opéra d’Etat de Munich, l’autre, fleuron des activités de chaque été, le Festival de Lucerne. Un DVD Naxos (2.110660) nous invite, pendant une heure et demie, à la découverte du théâtre bavarois, dont l’existence a été traversée par de multiples malheurs, mais qui, comme le phénix, a toujours pu renaître de ses cendres. Situé à Munich, sur la Max-Joseph Platz, l’Opéra de Bavière peut se targuer d’une histoire qui remonte à l’époque du roi Maximilien Ier (1756-1825). Celui-ci confie à l’architecte Karl von Fischer (1782-1820) la construction d’un théâtre. Le bâtiment, inspiré de façon classique par celui de l’Odéon à Paris, est inauguré en 1818, mais est détruit par un incendie cinq ans plus tard. Malgré le décès de son créateur, la reconstruction est rapide : en deux ans, Léo von Klenze (1784-1864) remet l’Opéra sur pied, dans un style grec néo-classique. Il faudra attendre une centaine d’années, en 1930, pour que des améliorations scéniques (agrandissement et machinerie) soient effectuées. Mais en 1943, l’édifice connaît une deuxième mort : il est détruit par les bombes alliées. La troisième vie du Théâtre sera l’œuvre de Gerhard Moritz Graubner (1899-1970), qui reprend les plans originaux de von Fischer, mais en y ajoutant en façade des colonnes sous la forme d’un portique. Le nouvel opéra, qui peut désormais accueillir 1200 personnes, est inauguré le 22 novembre 1963, avec une représentation des Maîtres-Chanteurs de Nuremberg de Wagner. Depuis lors, il fonctionne à plein régime et a acquis une notoriété tout à fait justifiée. 


Ce DVD Naxos propose une visite complète de l’Opéra, à tous les niveaux de l’effectif imposant qui y travaille, de la responsable de l’accueil à la dame du vestiaire, de l’atelier des costumes à celui des chaussures, de la salle de danse à l’entrepôt des décors, ou aux installations techniques hypersophistiquées qui permettent des changements spectaculaires et rapides en cours de représentation. Sous la conduite de l’actuel directeur, Nikolaus Bachler, mais aussi de son prédécesseur, l’Anglais Sir Peter Jonas (décédé le 24 avril dernier), cette réalisation de 2017 montre les coulisses de cette maison réputée (mais on ne verra pas le directeur musical Kirill Petrenko, qui n’est pas très amateur d’interviews), et donne la parole à des chanteurs lyriques de prestige comme Jonas Kaufmann, enfant de Munich qui s’y produit souvent, ou la soprano Anja Harteros, vedette du lieu. Des images de spectacles en préparation sont les bienvenues, de même que les souvenirs de Zubin Mehta, qui a dirigé l’orchestre pendant plusieurs années. Un DVD très bien filmé par Toni Schmid. 

Passons en Suisse pour évoquer le Festival de Lucerne, créé par Arturo Toscanini en 1938 ; il a accueilli pendant la seconde guerre mondiale des chefs qui avaient fui les nazis, comme Fritz Busch ou Bruno Walter. Des formations prestigieuses s’y sont produites : Orchestres Philharmoniques de Berlin, de Vienne ou de Boston, Orchestre Symphonique de Londres, Gewandhaus de Leipzig… Mais le Festival a son propre orchestre, fondé en 2003 par Claudio Abbado, qui l’a dirigé jusqu’à sa disparition en 2014. Cette année-là, Andris Nelsons a pris le relais, mais Riccardo Chailly, ancien assistant d’Abbado à la Scala de Milan, en est le directeur musical depuis 2015. Il est utile de rappeler à quel degré de qualité Claudio Abbado, né à Milan en 1933, a conduit cette formation. Un coffret de cinq DVD (EuroArts 200078) de 2007 avait réuni des concerts dirigés par ce chef, déjà devenu légendaire, au cours des cinq premières années de l’orchestre. Un autre DVD Accentus (ACC 20319) avait proposé en 2014 le concert donné à la mémoire de Claudio Abbado le 6 avril de cette année-là, au cours duquel la phalange, sans chef, avait interprété l’Allegro moderato de la Symphonie n° 8 « Inachevée » de Schubert, un moment d’une émotion poignante.

 

Alors que le Festival est contraint d’annuler sa programmation de 2020, il est conseillé de revoir des concerts publics des dernières années de Claudio Abbado grâce à un coffret Accentus de six DVD (ACC 70461). Un passionnant voyage d’août 2010 à août 2013. Il débute par une Symphonie n° 9 de Mahler, d’une telle intensité que l’on pourrait la qualifier de métaphysique : lorsque l’Adagio final s’achève, le chef fait baisser les lumières sur la scène, ralentit le tempo jusqu’au silence. Pendant deux longues minutes, main encore levée sur la dernière note, Abbado prolonge ce qui ressemble à un message pour l’éternité, le public, subjugué, demeurant en osmose avec lui dans le respect du secret du message musical. Les applaudissements ne commencent qu’après. Un moment d’intensité extraordinaire, rare et précieux, qui fait comprendre à quel point la musique va au-delà du temps et de l’espace ! La Symphonie n° 5 de Bruckner a été filmée les 19 et 20 août 2011. L’architecture de cette cathédrale sonore est impressionnante, traversée de contrastes puissants, mais aussi de frémissements sensibles, parfois presque ascétiques. Une version pure et granitique à la fois. Mozart est largement présent sur trois DVD des années 2011 et 2012 : une raffinée Symphonie n° 35 « Haffner », des arias chantés avec subtilité et grâce par la soprano Christine Schäfer, la fascinante Waisenhausmesse K. 139 (« Messe de l’orphelinat ») et le Requiem K. 626, chanté dans un climat de ferveur éthérée par Anna Prohaska, Sara Mingardo, Maximilian Schmitt et René Pape. Avec en prime une douce Messe de Schubert en mi majeur, et la noble musique de scène d’Egmont de Beethoven. Le dernier DVD est le concert des 16 et 17 août 2013, filmé quatre mois avant la mort d’Abbado : Ouverture tragique de Brahms dévastatrice, interlude orchestral des Gurre-Lieder de Schönberg et Héroïque de Beethoven, qui allie l’élégance à la majesté du ton et à la respiration. Tout semble couler de source. Héroïque, oui, au sens plein du terme, comme la carrière et la personnalité de ce chef d’orchestre d’exception, qui nous manque : des témoignages à marquer de plusieurs pierres blanches.

 

 

Jean Lacroix