Les "Coups de Midi" ont vingt ans!
Un anniversaire célébré aux Riches-Claires
le lundi 19 mars à 18h30
24, rue des Riches Claires - 1000 Bruxelles
Un "coup de midi" exceptionnel avec Jacques De Decker
L'anniversaire des Coups de Midi de la
Bibliothèque des Riches Claires animés depuis vingt ans par Jacques De Decker se célébrera au Théâtre des
Riches Claires le lundi 19 mars à 18h30. Cette soirée jubilaire sera animée par Jean Jauniaux célébrant les presque 200 rencontres littéraires que
Jacques De Decker a animées lors de ces rencontres incontournables de la vie culturelle belge.
Cette soirée organisée par la Bibliothèque des
Riches Claires (qui accueille depuis vingt ans les Coups de Midi) et par sa
directrice Marie-Angèle Dehaye, sera une belle et festive occasion d’interroger
« l’autre Grand Jacques » cette fois-ci sur son oeuvre…et de le soumettre à la
question (et aux interrogations formulées par certains des auteurs qu’il a mis
sur la sellette au cours de ces vingt années…Il y aura du beau monde...).
A n’en pas douter, Jean Jauniaux qui fera
office de Monsieur Loyal, aura à cœur d’aborder les multiples facettes de cet
Arlequin adepte intarissable et infatigable de toutes les curiosités
Cett fois-ci, JDD devra parler de lui, de son travail, de ses livres…L’arroseur
arrosé en quelque sorte
Edmond Morrel, Bruxelles le 17 février 2018
Jacques De Decker et Jean Jauniaux, 2017 |
Extrait de la présentation du livre « La faculté des Lettres » de Jean Jauniaux
(Editions du Banc d’Arguin, Paris , 2010, Epuisé)
"La Faculté des Lettres" appartient à différents genres. Il n’a aucune prétention
académique ou scientifique. Il n’est pas achevé ni exhaustif. Il ne le sera
sans doute jamais.
Pour deux raisons.
La première : l’œuvre de Jacques De Decker n’est pas terminée. Au
contraire, elle ne cesse quotidiennement de nous interroger, de nous tenir en
éveil, de stimuler notre curiosité. Ceci vaut pour son volet critique. Elle se
construit aussi, avec une continuité acharnée au cours de laquelle elle aborde
toutes les disciplines de l’écriture, mais aussi de la curiosité
esthétique. Comment, dans ces
conditions, un livre consacré à l’œuvre de Jacques De Decker pourrait-il
prétendre à un état définitif ? La dernière production en date de ce polygraphe
ne peut même pas être mentionnée à l’instant d’écrire cette introduction : il
doit sans doute, au même moment, rédiger une « Marge » pour le journal Le Soir,
une chronique pour la page « Livres » du même journal, une adaptation d’une
pièce d’Ibsen ou de Shakespeare, une nouvelle, un roman (celui qui complèterait
la trilogie que constitue « La grande roue », « Parades amoureuses », et « Le
ventre de la baleine »), une nouvelle biographie, ce genre dans lequel De
Decker a peut-être trouvé, nous y reviendrons, un « format » qui lui correspond
et qu’il ré-invente.
La seconde raison est plus prosaïque. Ce livre ressemble à un tableau
pointilliste. De près, le spectateur verra des éléments épars dont l’assemblage
constitue un tout. Si aucun espace de la
toile n’est resté vierge, nous sommes persuadés que d’autres cimaises doivent
être préparées pour y accrocher d’autres tableaux, éventuellement réalisés par
d’autres peintres, qui offriront au visiteur, à l’érudit, au curieux , au
visiteur inattendu de cette galerie de mots, des analyses différentes et
complémentaires de l’œuvre protéiforme d’un touche à tout assumé.
La comparaison avec la
photographie pourrait également s’appliquer. Comme la peinture, celle-ci joue
de l’instant, de l’émotion et de la lumière. L’une et l’autre cultivent
l’éphémère du sujet tout en lui accordant cette bribe d’éternité semblable au
murmure qui vous gagne lorsque vous évoquez, en son absence, l’image, la voix,
le regard, le sourire d’un absent, d’un ami qu’un voyage a conduit au loin et
qu’une phrase lue de lui, ou le parfum d’un mets qu’il appréciait ou encore
l’arôme d’une rue dans laquelle vous vous promeniez avec lui, le rappelle
soudain à la surface étale de la mémoire et y laisse des cercles concentriques
partant de cet instant dont ils naissent et se nourrissent.
J’hésite
encore au moment d’écrire ces lignes sur le titre à donner à cet ouvrage. «
Portrait du passeur », « Les voluptés du traducteur », « Portrait de l’artiste
en jeune homme de lettres ». Je choisis au moment de corriger les épreuves « La
faculté des lettres ». Le titre dit tout, sans rien enfermer. Chacun de ses
termes , « faculté » et « lettres » contient assez de significations
différentes pour exprimer la complexité des combinaisons possibles et redire,
dès la couverture, l’humilité du portraitiste devant la diversité de son
sujet.
Le livre est inachevé
aussi pour une raisons plus perverse. Les précautions oratoires auxquelles je
me livre ici dévoilent la liberté que je m’accorde sous leur alibi, d’être
subjectif, imprécis et incomplet. Et puis, pour une fois, le critique n’aura
rien à dire d’un ouvrage qui lui est consacré: la déontologie et la modestie
l’en empêcheront.
Ce portrait sera, de
toute façon, incomplet.
Le volume et la
variété de la production intellectuelle et artistique de Jacques De Decker
interdit l’exhaustivité. En annexe, j’ai assemblé les titres de ce qui est
répertoriable : les romans, les recueils de nouvelles, les pièces de théâtre.
Mais qui pourrait faire l’inventaire des articles publiés ? Qui oserait
prétendre qu’il peut rassembler les débats, les interviews, les articles, les
discours, les éloges, les interventions que Jacques De Decker a écrits ou
prononcés ? Pourtant, aucun de ces textes, fussent-ils de pure circonstance n’a
été écrit dans la désinvolture, même si parfois la hâte de l’actualité pressait
la main qui écrivait. Leur intelligence,
leur érudition mais surtout et avant tout l’engagement de leur auteur dans les
convictions ou les connaissances qu’il voulait faire partager éclairent chacune
des lignes écrites ou prononcées par notre homme de lettres.
J’ai eu le privilège d’être présent (depuis le début des années
septante où j’étais étudiant et lui, déjà, professeur) à de multiples occasions
où Jacques De Decker prit la parole. Chaque fois j’ai regretté, et je sais ne
pas être le seul, de ne pas disposer alors d’un enregistreur et d’enclencher
celui-ci pour pouvoir conserver des traces de ces manifestations éclairées
d’une culture (déjà) immense et d’une intelligence à les partager et à les
rendre accessibles.
Je me suis « vengé » depuis ces années-là. Lorsque j’ai créé la
webradio littéraire « ESPACE LIVRES », j’ai invité Jacques De Decker à y tenir
de façon régulière une rubrique « improvisée ». On pourra, en fin de volume,
lire la transcription des enregistrements de quelques unes de ces « tables de
chevet », des improvisations de Jacques De Decker à propos de livres,
d’écrivains, d’événements culturels dont il n’a pas eu la place ou l’occasion
de parler dans les marges ou colonnes du Soir. J’ai retrouvé en enregistrant,
chez lui ou dans son bureau de l’Académie, ce curieux phénomène que De Decker
provoque chez ses interlocuteurs : éveiller et rassasier la curiosité dans un
même mouvement de la phrase, qu’avec une gourmandise de jouisseur invétéré il
aime à partager.
Je me suis vengé une seconde fois en sollicitant des entretiens
thématiques que j’enregistrais au cours de l’été 2008 et dont ce livre se
nourrit. Des extraits de ces interviews scandent ce volume, et donnent, comme
des illustrations, un éclairage sur leurs éparpillements.
Le mot « partage » est
une des clés de compréhension de ce qui meut Jacques De Decker. Il cultive le
goût immodéré de partager, de donner à aimer ce que lui-même a goûté. La
pulsion irrépressible de transmettre les émotions ressenties, la réflexion
suscitée, l’analyse argumentée, le tout nourri d’une érudition sans limites.
Ici le savoir embrasse tous les domaines de la culture: musique, littérature,
peinture, bande dessinée, théâtre, opéra, cinéma. A l’érudition s’ajoute ce qui
en est le complément indispensable : une curiosité insatiable à laquelle aucun
art, aucune science, aucune démarche créative ou savante n’échappent. Dans
chacune de ces disciplines, aucune
frontière ne résiste : ni celle des époques, ni celles des genres. La curiosité
est à 360 °, et approfondit tous les horizons : en musique Schubert et le Jazz,
en littérature Stendhal et Joyce et Ibsen et Schnitzler, mais aussi les
contemporains. En tout, dirait-on, Jacques De Decker cherche ce qui appartient
au « classique », ce qui mériterait de le devenir. Et là, comme en
linguistique, il est un infatigable pourfendeur de frontières.
Nos chemins se sont
croisés en 1970, dans les couloirs de l’Ecole d’Interprètes Internationaux de
Mons. Il y commençait déjà sa nième carrière : professeur de langue et
littérature dans le département de langue néerlandaise de cet Institut qui, à
l’époque, figurait dans le top cinq des Ecoles format des interprètes de
conférence et rivalisait dans cet enseignement avec celles de Trieste, de
Genève et d’Anvers. Je m’y étais inscrit pour y apprendre le russe et
l’espagnol, langues que j’avais choisies pour lire « Don Quichotte » et « Crime
et châtiment » dans l’original.
A notre première
rencontre, voulant l’épater, jeune homme que j’étais à 17 ans et qui n’avais
peur de rien, je lui ai dit cette motivation. Il a eu ce fin sourire complice
pour m’y encourager, comme il le fit par la suite en maintes choses.
Aujourd’hui, près de quarante ans après cette première rencontre, je continue
d’éprouver le sentiment d’appartenir au cercle privilégié que cet honnête homme
trace autour de lui. Un cercle de craie,
bien sûr. Il a loisir ainsi d’en effacer sans cesse le tracé pour l’élargir à
de nouvelles rencontres, à de nouveaux étonnements, à de nouvelles curiosités.
Un cercle mouvant où il invite à entrer par son amitié, son enseignement, son
encouragement à avancer ou simplement, par ce sourire particulier qui s’incurve
comme la silhouette d’une barque sous les soleils pétillants de son regard.
Le chevalet est
dressé. Une lumière de février éclaire la toile blanche. Sur une étagère des
brosses, des couteaux et des pinceaux. Sur la table, des esquisses et la
palette de couleurs.
J’ai ainsi de quoi à
présent m’essayer au portrait du passeur et vous inviter à franchir le seuil de « LA FACULTE DES LETTRES ».
Jean Jauniaux, Saint-Idesbald, 2010.