dimanche 11 mars 2018

"Elvire" de Henri Bernstein à la Comédie Claude Volter

"ELVIRE" 
de Henri Bernstein 
à la Comédie Claude Volter
du 7 au 31 mars 2018



"Henri Bernstein apparaît à l'évidence comme le précurseur de Harold Pinter"

C'est en ces mots que Jacques De Decker évoquait lors de la remise des Prix littéraires de l'académie, l'auteur de la pièce "ELVIRE" que la Comédie Claude Volter met à son programme jusqu'au samedi 31 mars 2018 (précipitez-vous sur le site pour réserver vos places!). L'occasion était belle pour le Secrétaire perpétuel de l'Académie royale de langue et littérature française  de saluer ainsi un des comédiens figurant dans la distribution d'"Elvire" : Jean-Claude Frison qui prêtait sa voix aux lectures des textes des lauréats célébrés au Palais des Académies ce samedi 10 mars. 
Natacha Amal, Stépanie Moriau, Jean-Claude Frison et Michel de Warzée se partagent les rôles de cette pièce créée à Paris en janvier 1940 au Théâtre des Ambassadeurs. Le rôle d'Elvire était interprété par Elvire Pospesco, gage d'un succès qui pourtant ne se confirma pas. A près de septante années de distance, on est estomaqué par le courage de cette oeuvre: la pièce raconte l'exil à Paris d'Elvire Siersberg, une aristocrate viennoise refusant, après l'Anschluss, la nationalité allemande. Loin du politiquement convenu, la pièce de Bernstein évoque explicitement le destin des nouveaux apatrides que sont devenus les Autrichiens insoumis, la création de camps de concentration, le destin de celles et ceux qui y sont internés. Pour rappel, nous sommes à 4 mois de l'invasion allemande et du déclenchement des hostilités de la deuxième guerre mondiale. La première a lieu en présence de l'ambassadeur des Etats Unis et de plusieurs ministres français... Le succès de la pièce ne fut pas au rendez-vous...

Elvire est une pièce dont l'ancrage dans l'actualité et la conscience sont manifestes et continuent, bien après le baisser de rideau à occuper les esprits attentifs, et à en faire une oeuvre (malheureusement) intemporelle. C'est sans doute là ce qui fait de Bernstein un auteur à visiter encore et encore, comme l'avaient bien pressenti François Truffaut ("Le dernier métro" ) et Alain Resnais ("Mélo")
N'y a-t-il pas dans le personnage de la Comtesse von Siersberg une représentation métaphorique des migrations que nous tentions (tant bien que) mal de gérer aujourd'hui? 
N'ya-til pas dans le récit théâtral une prise de conscience par les artistes et les intellectuels de la nécessité de dévoiler par l'"art" la réalité ? 
(A cet égard, ne nous privons pas de relire ou de ré-écouter le discours de Stockholm d'Albert Camus:  " (...) dans toutes les circonstances de sa vie, obscur ou provisoirement célèbre, jeté dans les fers de la tyrannie ou libre pour un temps de s'exprimer, l'écrivain peut retrouver le sentiment d'une communauté vivante qui le justifiera, à la seule condition qu'il accepte, autant qu'il peut, les deux charges qui font la grandeur de son métier : le service de la vérité et celui de la liberté. Puisque sa vocation est de réunir le plus grand nombre d'hommes possible, elle ne peut s'accommoder du mensonge et de la servitude qui, là où ils régnent, font proliférer les solitudes. Quelles que soient nos infirmités personnelles, la noblesse de notre métier s'enracinera toujours dans deux engagements difficiles à maintenir - le refus de mentir sur ce que l'on sait et la résistance à l'oppression."  (Le discours peut s'écouter sur youtube)

Ajoutons à ces deux éléments, ce qui fait de l'Elvire mis en scène par Michel Wright à la Comédie Volter un moment de grâce dans la programmation théâtrale bruxelloise. L'interprétation somptueusement mise en valeur dans le décor de Serge Daems (chaque ouverture de rideau était aplasie le soir de la première), des quatre comédiens principaux. Michel de Warzée campe André Cormagnin, un directeur de journal pour qui l'image prévaut et se suffit à elle-même pour dire le monde, même si au fil des trois actes il dévoile une humanité écorchée vive par ce qu'il sait des événements du monde. Natacha Amal, lincarne avec toute l'ambigüe frivolité dont elle est constituée la mondaine  Claudine de Gaige,  à laquelle le sens de l'observation et de l'humanité de Bernstein donne une complexité bien plus souterraine que les apparences qui en émergent. Jean Viroin, incarné par Frison, nous donne à ressentir la difficulté de s'engager, de faire les choix appropriés et éthiques, lorsque l'on se trouve au coeur des tourments privés et publics. Enfin, le rôle-titre d'Elvire von Siersberg est porté avec une sensibilité et une justesse sans défaut par Stéphanie Moriau. L'actrice délie chacune des émotions de son personnage avec une fluidité limpide, jouant de la voix finement accentuée par la sonorité de la langue maternelle du personnage, l'allemand, trouvant dans chaque geste, chaque regard, chaque pose cette distance légère qui fait de l'élégance une arme, de la grâce un argument, de la féminité une force indomptable comme le dévoilera l'issue de la pièce.

Nous savons, nous, public de 2018, ce qu'il adviendra d'eux (le dossier pédagogique qui figure dans le programme de la pièce rappelle utilement la chronologie des événements): le vertige nous saisit davantage encore de nous rappeler que la pièce fut écrite en 1939, quelques mois après l'Anschluss et les Accords de Münich , quelques mois avant l'invasion du 10 mai 40...

Jean Jauniaux, Bruxelles, le 11 mars 2018, (à quatre-vingts ans près, trois jours avant l'entrée de Hitler à Vienne sous les acclamations...)



Sur le site de la Comédie Volter: 

« ELVIRE » de Henry BERNSTEIN 
«Quand on n’a plus de pays, tout devient inconfortable. Pas d’identité, pas de passeport. Plus de racines. C’est quelque chose de difficile». Ces mots d’Elvire, aristocrate viennoise à qui les nazis ont tout pris, ont un parfum d’actualité pour tous les migrants d’aujourd’hui.
L’actualité ne serait-elle qu’un relent des prémices de la pire page de l’histoire du 20ème siècle ? Choquante à l’époque, cette œuvre devient emblématique aujourd’hui !
Puissante et fascinante, la pièce d’une extrême lucidité dévoile le courage d’une femme, la passion, l’amour, l’amitié,…
Une Femme exceptionnelle, une pièce bouleversante !

Avec : Stéphanie MORIAU, Natacha AMAL , Jean-Claude FRISON, Michel de WARZEE & Sergio ZANFORLIN
Mise en scène : Michel WRIGHT
Décors : Serge DAEMS
Création lumières & Régie : Bruno SMIT
Représentation du Mardi au Samedi à 20h15. Dimanche à 16h

Durée du spectacle : 20h30 entracte compris