"La femme qui ne voulait plus faire l’amour"
Pierre Kutzner
Collection Signatures & Nouvelles, Editions du CEP.
Ecoutez l'interview de Pierre Kutzner au micro d'edmond Morrel sur la webradio espace-livres.be
"L’intime et l’infime"
s’il avait fallu choisir un
sous-titre au premier recueil de nouvelles de Pierre Kutzner, c’est
celui-ci que nous aurions privilégié...
On sait de Kutzner qu’il a été un des fondateurs de la maison d’édition le CEP ( nous l’avions interrogé au lancement de cette nouvelle maison)
qui le publie aujourd’hui, qu’il est philosophe de formation, qu’il a
enseigné cette discipline - notamment à l’INSAS - qu’il a été
conseiller culturel dans différents cercles politiques de Belgique
francophone.
On devine, à observer la maturité de son écriture, que ces sept
nouvelles réunies au CEP, ne sont pas un coup d’essai, mais bien la
sélection effectuée dans un travail déjà abouti, mûri, déposé à
plusieurs reprises sur le métier.
L’art de la nouvelle est exigeant. Par sa brièveté, la fiction courte
n’offre pas de latitude à la paresse d’écriture. Chaque phrase doit être
comme la perle d’un collier dont la perfection participe à l’éclat de
l’ensemble. Kutzner a attendu la soixantaine avant de publier ses
premières nouvelles. Peut-être était-ce l’âge idéal en ce qui concerne
son "métier" d’écrivain, mais aussi le moment, l’étape où on fait halte
pour explorer ce qui a été vécu, engrangé, sollicité ou perdu.
C’est ici que survient l’"intime" que nous proposions comme premier volet d’un titre dyptique. L’intime : ce à quoi la littérature ouvre l’ accès. Dans "La femme qui ne voulait plus faire l’amour",
le narrateur nous propose d’interroger l’énigme du couple, cette
construction humaine dont le mystère reste entier, y compris pour ses
propres protagonistes. Un mystère nourri aussi du silence qui entoure
ses affres, ses tourments, ses angoisses. Le couple ne serait-il pas
d’une certaine manière constitué de trois êtres et non de deux comme
nous en avons l’illusion. Une femme et un homme, mais aussi un
troisième individu : celui qui est constitué des deux premiers, et qui a
une vie propre, autonome, indépendante de chacun des deux
protagonistes, et qui les observe, et qui les tourmente et qui les
déchire. Kutzner explore ainsi de nouvelle en nouvelle différents
couples : jeunes ou adultes, au début ou à la fin de leur histoire.
L’ensemble de l’ouvrage s’inscrit dans ce que nous appelions l’ "infime" :
ce sont des petits détails qui composent l’ensemble, des failles
minimes qui ouvrent des abimes, des apprentissages successifs qui mènent
à la désillusion.
Kutzner porte souvent un regard triste et mélancolique sur les
personnages qu’il convoque dans ses nouvelles, mais le lecteur n’en
ressent que davantage la profonde empathie humaniste que l’écrivain a
la pudeur de ne pas dévoiler. Un peu comme des romans de Simenon, nous
sortons de la lecture de ce recueil avec le sentiment diffus de ne plus
être seuls au monde, d’avoir partagé une bouteille de vin avec un homme
seul, attablé et complice de notre propre solitude, d’avoir écouté la
confidence d’un ami que l’on étreint avec un peu plus de force au moment
de prendre congé, au moment de refermer le livre en souhaitant déjà le
revoir bientôt, le lire à nouveau.