Un rappel est indispensable pour situer le huitième volume de la série
« Haydn 2032 » que propose le label Alpha. Nous avons évoqué il y a
quelques mois ce projet, mené par l’éditeur et la Josef Haydn Stiftung de Bâle,
d’une nouvelle intégrale des 107 symphonies du compositeur d’ici à 2032, année
où l’on célébrera le 300e anniversaire de la naissance de Haydn. Le
but est non seulement d’attirer l’attention pendant vingt ans sur les
publications, confiées à Giovanni Antonini avec la complicité d’Il Giardino
Armonico ou de l’Orchestre de chambre de Bâle, mais aussi, comme le précise la
notice de présentation générale de cette collection, de voir Haydn et sa
musique comme un kaléidoscope des émotions humaines. Rappelons que cette
intégrale n’est pas construite par ordre chronologique ni par numéro d’opus,
mais de façon thématique, avec des mises en miroir de symphonies de Haydn et d’œuvres
de ses contemporains ou de compositeurs plus proches de nous. Chaque publication
porte un titre. Celle qui nous occupe ressemble à une invitation à un « voyage
sur la route des Balkans à l’envers », puisqu’elle nous mène d’Eisenstadt
à Constantinople en passant par la Moravie, s’appelle La Roxolana et
regroupe les symphonies 28, 43 et 63, couplées aux Danses folkloriques
roumaines de Bartok et à une sonate anonyme de la fin du XVIIe siècle.
Le CD (Alpha 682) s’ouvre par la Symphonie n° 63 « La
Roxolana » qui est en lien avec les activités de Haydn compositeur
d’opéras. Il en existe plusieurs étapes de versions, et ce n’est qu’en 1779 que
la symphonie obtient sa forme définitive. Elle reprend des éléments d’Il
Mondo della luna, qui a rencontré un grand succès deux ans auparavant, mais
aussi des morceaux de musique de scène, comme le deuxième mouvement qui renvoie
à la traduction d’une comédie du poète Charles-Simon Favart, Soliman second
ou Les Trois Sultanes. L’une de celles-ci est Roxolane, une Française au
tempérament volontaire, qui finira par emporter les faveurs du sultan,
référence étant faite ici à des événements historiques. Laissons aux
musicologues les péripéties de reconstruction de versions différentes pour
apprécier une musique charmeuse, à l’indéniable souplesse, volubile dans son
expressivité et dans son sens théâtral sous-jacent. C’est la Symphonie n° 43,
de 1770-1771, sous-titrée « Mercure », que l’on entend
ensuite ; elle aurait pu avoir été jouée lors d’un mariage dans la
noblesse à la cour d’Estheraza, le « Versailles hongrois ». Les
hautbois, les bassons et les cors agrémentent un discours d’un grand dynamisme.
La troisième partition de Haydn figurant sur ce CD est la Symphonie n° 28
de 1765, elle aussi liée à une musique de scène, celle d’une pièce intitulée
« L’île de la sainte raison », reprise à Eisenstadt un an
après sa création à Presbourg, actuelle Bratislava, et qui raconte des
péripéties comiques. Le propos est léger et mélange les influences savantes et
populaires. Au milieu de ce triptyque haydnien, on peut entendre les Danses
populaires roumaines de Bartok, mélodies recueillies par le compositeur en
1910, arrangées pour piano en 1915, puis orchestrées deux ans plus tard ; elles
évoquent des racines populaires : dans du bâton, danse du châle, danse de
la corne… Bartok, à travers un langage simplifié, fait revivre les traditions
et le répertoire de son pays, avec ardeur et rythmes bien menés.
Cet enregistrement effectué en mai 2018 revêt un attrait tout particulier,
non seulement parce que Giovanni Antonini et Il Giardino Armonico traduisent
tout le charme et toute la séduction de ces pages souvent subtiles de Haydn,
mais aussi grâce à une version des Danses de Bartok d’un irrésistible
élan communicatif et d’une parfaite transparence. Un grand moment de
bonheur !
Jean Lacroix