Nous relayons l'article publié par Jacques De Decker publié dans Le Vif-L'express au lendemain de l'assassinat de la députée anglaise Jo Cox. Il nous semble que cette analyse mérite une large diffusion à quelques heures du referendum par lequel les citoyens britanniques sont appelés à se prononcer sur le maintien ou le retrait de leur pays de l'Union européenne.
Si les résultats de ce scrutin donnent la majorité simple aux partisans du "Leave" une procédure de sortie du Royaume Uni sera mise en place conformément à l'article 50 du Traité de l'Union européenne.
REQUIEM
POUR JO COX
L’Europe a sa martyre. Une femme jeune,
mère de deux petites filles, militante des causes les plus généreuses, est
tombée sous les balles d’un forcené, incapable de traduire son message autrement que par le
langage odieux et stupide de la violence. C’est presque une allégorie.
Non : c’en est une! Notre culture est faite d’images sacrificielles de
cette dimension. L’Europe, privée de signes forts depuis sa création, timorée
devant le langage sublimé de la culture, qui n’a pas voulu d’hymne officiel ni
de drapeau digne de ce nom, qui s’est calfeutrée dans le langage déshumanisé du
calcul et de la « communication », se trouve dotée, à quelques jours
d’un tirage au sort qui aurait pu l’amoindrir et déforcer, d’un symbole, d’une
légende , d’un mythe.
L’opposition n’aurait pu être plus
évidente. L’idéal devant le repli, l’espoir devant la lâcheté, l’intelligence,
osons-le dire, devant la connerie. On a scrupule à user d’un vocabulaire aussi
indigne, mais c’est l’époque qui nous y force, époque où la hauteur de vue a
mauvaise presse, où la générosité est suspecte de calculs cachés, où le cynisme
l’emporte sur l’idéal. Jo Cox, à travers
tout ce que l’on apprend d’elle, représente cette génération montante qui est
celle de notre futur : femme, elle incarne des valeurs de confiance envers
les prochaines générations, ce dont les enfants qu’elle mis au monde témoignent ;
intellectuelle, elle s’entend à traduire dans le réel le savoir que lui a transmis
l’université ; dans la force de l’âge, elle sait qu’elle peut encore avoir
une emprise sur l’avenir, et elle l’a exprimé à haute et intelligible voix. Car
nous devrons désormais parler d’elle au passé.
Si la société convulsive où nous nous
débattons a de l’avenir, si l’utopie dont elle a besoin pour survivre trouve à
se concrétiser vraiment, c’est à des êtres de sa qualité qu’elle le doit. Des Jo Cox, il y en a des quantités incroyables
en Europe, des femmes sorties de leur
servitude ancestrale et qui, dès
qu’elles disposent d’un levier, s’en servent pour faire avancer les valeurs de
paix, de tolérance, d’ouverture, de confiance qui leur sont consubstantielles.
Elle est morte au champ d’honneur,
l’expression n’a jamais été aussi pertinente. Son sacrifice est réel, ce n’est
pas celui de fanatiques nihilistes et suicidaires dont le mental ignore que
nous n’avons qu’un seul monde et qu’il s’agit de le laisser en meilleur état
que celui où nous l’avons trouvé. Ses petites se trouvent privées d’une mère dont
elles n’osaient penser qu’elle serait un jour une héroïne, son compagnon est
amputé d’une moitié qu’il devra désormais partager avec ceux qui la célébreront
sans frontières. L’espoir européen a désormais son incarnation. L’Histoire s’écrit
ainsi, hélas : d’une encre rouge.
Jacques De Decker, 20 juin 2016