jeudi 4 août 2016

Le colporteur magnifique


"Le Colporteur magnifique"
Récit de voyage 
Frédéric Chef 
avec des illustrations de inédites de Daniel Casanave
Editions Weyrich
Collection Plumes du coq



Dans la grisaille de cet été de pluie, dira-t-on assez le bonheur que peut procurer un livre? J'en étais bien sûr convaincu de longue date. Si vous vous attardez sur ce blog, il ne m'est plus nécessaire de vous rallier à ma cause. 
Le ravissement de lire (car le livre nous ravit, n'est-ce pas?, dans les deux sens du terme : le ravissement et le rapt) m'a été offert à l'instant lorsque j'ai ouvert le colis déposé dans la boîte à lettres par la facteure (le correcteur d'orthographe propose de transformer le mot en " facture" ), un colis emballé de carton marron et estampillé du logo de la maison d'édition WEYRICH

J'ouvre distraitement: je suis déjà tellement en retard de lectures et puis, j'étais absent lors du passage d'A., employée des postes qui rêve de devenir bibliothécaire et qui me raconte avec un engouement qui ne fait jamais défaut ses dernières découvertes. Elle me narre aussi sa déception de ne pas (encore) avoir réussi à se faire recruter par une bibliothèque, mais se console, me dit-elle, en échangeant avec moi des impressions de lecture. Je suis sûr qu'elle va aimer le livre qui se trouvait aujourd'hui abrité sous son cartonnage et je me réjouis déjà de lui offrir lors de son prochain passage: elle est une vraie "prescriptrice" de livres! Ce service de presse ne sera pas perdu!




Le titre m'a séduit d'emblée ("c'est essentiel un bon titre" vous dirait Christian Libens, vieux routier de l'édition et co-directeur - avec Frédéric Saenen -  de la collection "Plumes du Coq" ): "Le colporteur magnifique". Le dessin qui orne la couverture aussi, m'a séduit. Il est signé , ainsi que les illustrations que je trouverai à l'intérieur de l'ouvrage, par  Daniel Casanave
L'auteur? Un nom qui ne m'est pas familier et qui cingle au centre de la couverture : "CHEF". Prénom Frédéric. (Mais je me souviens tout de même de son "Villain, l'homme qui tua Jaurès" )

Je jette dans la corbeille à papier le communiqué de presse ("D'abord le livre!")  et me prépare à lire , suivant ainsi un immuable rituel, la première page, la page 28 et la dernière page, pour me faire une première idée de ce volume. 

Bon! la page 28 est blanche, mais en vis à vis un fragment de poème signé Jean-Claude Pirotte (le correcteur me propose ici "pirate"...) qui m'enchante. Première page, autre fragment, signé Paul Morand cette fois et qui mériterait de figurer au coeur de tout vrai voyageur: "Ne prenez jamais d'aller et retour". Je n'ai pas été voir la dernière page et me suis plongé illico dans la lecture de ce récit de voyage composé "avec Robert Louis Stevenson le long des canaux du Nord et sur l'Oise". Frédéric Chef est annoncé en quatrième de couverture comme "passionné de géographies littéraires" et il en fait une subtile démonstration dans "Le colporteur magnifique"

Chacune des étapes qui jalonnent en autant de chapitres son projet de relier Anvers à Compiègne nous offre une manière inédite de laisser voguer le regard, l'écoute et la mémoire. 

Le regard n'est pas dupe de la réalité d'aujourd'hui, - grisailles, chantiers, rues sales des villes tristes - mais s'en console en se mettant à l'écoute de celles et ceux qu'il va rencontrer et qu'il évoque avec une sorte de bonhommie bienveillante, ne jugeant point (comme cet éclusier  qui applique au canoteur le règlement qui impose un moteur aux embarcations qui veulent franchir l'écluse mais, une fois l'obstacle dépassé, il indique le meilleur endroit où remettre à l'eau l'embarcation), mais donnant à chacun, d'un trait court et ajusté, la vivante représentation. Chaque mésaventure trouve ainsi sa place dans le périple de nos yeux lisant à la suite du voyageur les rencontres les plus inattendues: un logement dans un bordel à Charleroi, l'émerveillement de la ville de Grez-sur-Loing où les artistes depuis le siècle de Stevenson trouvent accueil bonhomme et économe, à Noyon le bus est gratuit mais la conductrice ne lâche pas son téléphone, à Travecy-Montigny un batelier sympa (comme on disait naguère des routiers) embarque le canoë dans sa cale, remplie d'eau pour passer "à vide" sous les ponts... 

Voilà pour le regard et pour l'écoute. Et puis, il y a, reliant les escales, la mémoire du voyage qu'effectuèrent en été 1876, à bord de deux canoës à voile, l'un de cèdre, l'autre de chênes (...) de rudes gaillards. (...) Deux jeunes gens, parlant un anglais rocailleux..(...). Les canoës portent les noms de Cigarette et de L'Aréthuse. Les deux aventuriers: Robert Louis Stevenson, écrivain débutant et son cousin, Walter Simpson. 
Frédéric Chef devient  conteur ébloui lorsqu'il narre les échos qu'ont laissé les deux navigateurs d'eau douce aux endroits que lui-même vient parcourir, sur leurs traces...

Et en refermant le livre, il ne nous reste que le chagrin qu'il soit achevé, et l'envie d'ouvrir grandes les portes, d'entraîner avec nous A. l'employée des postes qui aime les livres,  et de filer à la poursuite de Frédéric Chef qui mérite bien qu'on aille y voir de plus près, sur ces cours d'eau qu'il nous a fait miroiter sous la belle lumière du bonheur de raconter et qui sait, trouver "le secret du philtre (qui) est ailleurs" nous murmure Stevenson...

Edmond Morrel, sous la pluie du 4 août 2016.