« Papas » de Michel Torrekens
Recueil de nouvelles paru chez Zellige
La collection Zellige avait accueilli dans son
catalogue des Vents du Nord le premier roman de Michel Torrekens, « Legéranium de Monsieur Jean » qui avait inauguré en 2013 le palmarès du Prix
Saga du premier roman belge francophone. Torrekens nous revient, accompagné de
13 « Papas ! » qu’il
met en scène dans autant de nouvelles qu’il dédie « A (son) père, né du silence
et retourné au silence ».
Si j’avais eu la possibilité de le soumettre à
la rencontre radiophonique, ce qui ne m’a pas été permis faute de temps avant
la « fête des pères », épisode annuel qui à n’en pas douter permettra
à ce livre de trouver un public mérité, je lui aurais demandé de lever le voile
sur cette énigmatique dédicace. On sait combien l’inspiration puise au plus
profond des êtres lorsqu’ils décident de prendre la plume et de raconter des
histoires. Rien n’est innocent : c’est ce qui donne sans doute à un récit
authentique cette faculté de nous
devenir immédiatement proche, de ressentir dans la sincérité du nouvelliste à
l’égard de ses créatures une générosité à laquelle nous ne pouvons qu’adhérer.
Pour deux textes de ce recueil, « Vader » et « Le fils de l’ombre », j’éprouve
une sensation particulière, celle de retrouver, retravaillées, affinées,
intensifiées les nouvelles parues
auparavant en revue et en particulier dans la revue « MARGINALES » à
laquelle Torrekens rend hommage et exprime sa gratitude au directeur de
celle-ci, Jacques De Decker. Je ne peux laisser passer l’occasion qui m’est
ainsi donnée de mettre en évidence ce rôle particulier , pour Torrekens, des
revues dans lesquelles il « teste » en quelque sorte le travail en
cours. D’emblée, il sait que ces textes sont destinés à composer un tout
cohérent, relié par un fil d’Ariane dont il délie, un par un, à son rythme, les
nœuds et les intrigues. Dans « Vader », on aperçoit aussi l’emprise
du réel, de l’Histoire sur la fiction avec ce personnage d’homme politique
socialiste assassiné sur un parking de Liège, dont le même De Decker avait
nourri le puissant roman « Le ventre de la Baleine » (Editions
Weyrich).
Dans chaque nouvelle Michel Torrekens explore
l’indicible lien qui se tisse entre un père et un enfant, le déroule dans le
passé, en Belgique, dans un avenir imaginaire, en Afrique, en prison. L’enfant
est garçon ou fille, l’énigme reste aussi subtilement éclairée par le regard du
nouvelliste. Ceux qui le connaissent savent qu’il n’élève pas la voix, qu’il
aime écouter, qu’il sait entendre, le regard malicieux contredit l’apparente
bonhommie, la conviction n’enlève rien de la fragilité qui fait de ce
tempérament attentif une source inépuisable d’empathie pour ceux qu’il rencontre
aussi bien que ceux qu’il invente. Ses « Papas ! » sont baignés
de cette tendresse qui transparaît, une fois le livre terminé, comme lorsque
d’un tableau pointilliste on s’éloigne pour mieux l’embrasser.
Edmond Morrel, Bruxelles le 9 juin 2016