Un film de Effi & Amir
Effi Weiss et Amir Bornstein présentaient hier 7 février
2018 leur dernier film : Sous
la douche , le ciel , un long métrage documentaire consacré à la
réalisation du projet « Doucheflux » mené par une équipe de bénévoles bruxellois réunis autour de Laurent d’Ursel.
Il aura fallu cinq ans de démarches, de réunions, de
déceptions, d’espoirs, de découragements, d’espérances déçues, de prises de
risque (l’achat d’un immeuble à Anderlecht sans avoir l’argent pour le payer,
est un des exemples des défis auxquels se confronte l’infatigable d’Ursel), de
rires et de larmes (celles d’une des bénévoles qui évoque sa mère, dont la
dépression profonde est à l’origine de son engagement pour les sans-abri).
Pendant ces cinq années, la caméra d’Effi et Amir
(c’est de leurs deux prénoms qu’ils signent le film) a été présente, attentive,
sensible à chacune des étapes cruciales de la mise en place d’un projet dont la
simplicité, l’efficacité, l’humanité crèvent l’écran à chaque séquence.
On en
trouve aujourd’hui la description sur le site de Doucheflux : « Le tout nouveau bâtiment du service
d'accueil de jour (650m2) offre des douches, un salon lavoir, des consignes,
des permanences médicales et psychosociales, des services bien-être...
DoucheFLUX veut redonner énergie, dignité et estime de soi. Autant d’éléments
indispensables pour accomplir de petits ou de grands pas dans l’existence.
Comme sortir de la rue. Ou ne pas y (re)tomber. »
Tout au long du film, conduit par la verve de Laurent
d’Ursel qui est à la fois acteur, protagoniste et Monsieur Loyal de ce
stupéfiant parcours du combattant qui conduira notre homme et ses compagnons de
route dans les méandres des administrations (ils renoncèrent à obtenir des
fonds publics), dans la comédie des collectes de fonds auprès de mécènes (une
scène surréaliste nous montre l’apprentissage de d’Ursel aux techniques de
« pitching » commercial face à des investisseurs potentiels), dans le
portrait infiniment sensible des celles et ceux qui deviendront les
utilisateurs de Doucheflux, ( interviewés dans le cocon de la salle de bain,
ils nous disent la dignité retrouvée, la liberté de rêver, l’apaisement pendant
quelques heures des angoisses telluriques qu’engendrent, dans la rue, la honte,
le froid, la mendicité, le mépris que chacun évoque ici avec des mots simples
et vrais.
Effi et Amir inscrivent leur travail de cinéastes dans une démarche plus globale
(que l’on peut découvrir sur leur site ) d’interrogation par le cinéma sur la
société vue à travers celles et ceux qui en sont les proies, mais aussi de
partager (notamment à travers des workshops et des ateliers de formation) ,
leur savoir-faire, leur savoir-regarder et cette capacité irradiante de
raconter au plus près les réalités auxquelles ils se confrontent.
Sous la
douche, le ciel est sans doute emblématique de leur démarche : il s’agit
de raconter une histoire, d’inscrire dans cette narration les protagonistes en
action, au moment où survient l’événement (ce qui implique une disponibilité de
près de cinq années pour ce film ci), de filmer le récit en créant une
dramaturgie (le film se regarde à certains moments comme un « thriller »
dont les pics d’angoisse sont alimentés par l’attente des résultats des
démarches adminitratives par exemple), en composant chaque plan en fonction
d’une mise en place au service du récit et de l’esthétique de celui-ci (plans
fixes dans lesquels se déroule l’ "action", cadrages conçus pour
mettre en valeur le déroulement de la scène, sans pathos, sans voyeurisme (les
témoignages des « baigneurs » sont d’une rigueur éthique qui décuple
l’émotion de ces récits d’hommes et de femmes dans l’eau d’une baignoire), et
enfin, un montage éblouissant souligné par une bande sonore exceptionnelle, et
le rythme percutant donné à l’enchaînement de ces péripéties quichottesques.
Et
puis, il y a ces signatures sensibles et poétique qui, comme des balises ou des
battements de cœur, surviennent au détour d’une séquence : un paysage urbain,
le bas de l’image déploie des toits et le panorama de Bruxelles, le ciel bleu
pigmenté de nuages immaculés, et dans cet espace que l’on dirait une longue
respiration, surviennent des bulles métalliques, minuscules en lévitation dans
l’azur, ou démesurées roulant entre les toits rouges. Il y a dans ces
mouvements suspendus, une sorte de plénitude souriante, comme si la géométrie
parfaite et ronde venait nous consoler des aspérités auxquelles nous venons de
nous confronter avec telle absurdité administrative dont nous sommes les
témoins, tel témoignage poignant d’un ancien journaliste alcoolique qui écrit
encore, pour ne pas désespérer, des histoires irréelles, telle rencontre au micro d’une radio
associative qui recueille les témoignages des clochards…
Effi et Amir créent ainsi un
langage qui leur est propre, le mettent au service de notre conscience qui
sort, alertée, grandie, émue de cette projection de 85 minutes d’un film hors-norme.
Si d’aventure vos pas vous conduisent (bientôt: projections prévues en mai) au Cinema Nova à Bruxelles, ou à l’entrée d’un Festival de cinéma qui programmerait
Sous la douche, le ciel ,
arrêtez tout, franchissez la porte, entrez dans ce qui fait de ce cinéma
documentaire un art à part entière, c’est à dire une fenêtre ouverte sur le
monde vu à travers l’empathie, l’émotion, le cœur battant de deux artistes
d’une envergure comparable aux plus grands de leurs pairs, comme Frédéric
Wiseman, Jean-Jacques Péché ("Faits-Divers"), Jean Rouch, Raymond Depardon, Jean Libon (dont on
verra bientôt Ni juge, ni soumise )
et d’autres, engagés comme eux dans la
sincérite qui est la véritable et indispensable éthique du cinéma vérité.
Dès que ce film sera
programmé, nous relancerons la publication de cet article et des liens vers les
projections et, nous en sommes persuadés, les prix qu’un tel film mérite au
plus haut degré de la conscience qu’il contribue à éveiller.
Jean Jauniaux,
Bruxelles le 8 février 2018
La
fiche technique du film :
Synopsis :
Five
years in the making, the start-up of DoucheFLUX unfolds as a real nail-biter.
For
five years, a group of Brussels citizens tries to find, finance and renovate a
building to accommodate sanitary facilities that will allow the most vulnerable
members of the city to “get freshened up and hold their heads high again”.
Their administrative and financial assault course gives the film the aspect of
a thriller. In Shower Power we see an idea become reality, demonstrating that
imagination can be the engine of citizen action when the political horizon is
blocked.
BE
| 2018 | 85' | ov fr – subs nl/en
avec la participation de
: Patrice Rousseau, Pascale Standaert, Laurent d'Ursel, Vanessa Crasset, Chris
Aertsen, Éric Ransart, Anne Löwenthal, Milena Mathé, Didier van Innis, Pierre
de Ruette, Eric “Ricky Billy” Daneels, Maurice Cornet, Didier Lecroart,
Danielle Borremans, Jean-François Jans, Jean-François van der Plancke ⎪
scénario et réalisation, image et son : Effi & Amir ⎪ création
vocale : Myriam Van Imschoot et Anne-Laure Pigache ⎪
avec : Patrice Rousseau, Laurent d'Ursel, Vanessa Crasset, Chris Aertsen, Éric
Ransart, Didier van Innis, Danielle Borremans, Jean-François Jans, David
Trembla, Nicolas Marion ⎪ son additionnel : Fabrice Osinski ⎪
montage : Simon Arazi, Effi & Amir ⎪ assistanat montage :
Salvatore Fronio ⎪ montage son : Kwinten Van Laethem ⎪
mixage : Rémi Gérard - Empire digital ⎪ etalonnage : Miléna
Trivier ⎪ animation 3D : Yichai Gassenbauer ⎪
matériel image et son : C3J, CVB ⎪ DCP : Stempel ⎪
sous-titrage : Des Airs ⎪ producteur délégué : Cyril Bibas – CVB,
Amir Borenstein - C3J ⎪ assistante de production : Jeanne Humbert
- CVB ⎪ administrateur de production : Saidou Diallo -CVB ⎪
promotion & diffusion : Philippe Cotte & Claudine Van O - CVB ⎪
responsables technique : Benjamin Sion, Frédéric Leroy, Stéphan Samyn – CVB ⎪
production Centre Vidéo de Bruxelles – CVB - Michel Steyaert, La chose à trois
jambes ⎪ coproduction BX1 - producteur associé
Marc de Haan, CBA - Centre de l'Audiovisuel à Bruxelles - producteur associé
Javier Packer-Comyn ⎪ avec l'aide du Centre du Cinéma et de
l'audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, de la Loterie nationale et
de la Commission communautaire française ⎪ avec le soutien de
Vlaamse Gemeenschapscommissie, Beursschouwburg, Cultuurraad Gemeentebestuur
Anderlecht