jeudi 8 février 2018

"Sous la douche, le ciel" , un documentaire éblouissant et sensible de Effi & Amir

 "Sous la douche , le ciel"
Un film de Effi & Amir 




Effi Weiss et Amir Bornstein présentaient hier 7 février 2018 leur dernier film :  Sous la douche , le ciel , un long métrage documentaire consacré à la réalisation du projet « Doucheflux » mené par une équipe de bénévoles bruxellois réunis autour de Laurent d’Ursel.
Il aura fallu cinq ans de démarches, de réunions, de déceptions, d’espoirs, de découragements, d’espérances déçues, de prises de risque (l’achat d’un immeuble à Anderlecht sans avoir l’argent pour le payer, est un des exemples des défis auxquels se confronte l’infatigable d’Ursel), de rires et de larmes (celles d’une des bénévoles qui évoque sa mère, dont la dépression profonde est à l’origine de son engagement pour les sans-abri).
Pendant ces cinq années, la caméra d’Effi et Amir (c’est de leurs deux prénoms qu’ils signent le film) a été présente, attentive, sensible à chacune des étapes cruciales de la mise en place d’un projet dont la simplicité, l’efficacité, l’humanité crèvent l’écran à chaque séquence. 
On en trouve aujourd’hui la description sur le site de Doucheflux  : « Le tout nouveau bâtiment du service d'accueil de jour (650m2) offre des douches, un salon lavoir, des consignes, des permanences médicales et psychosociales, des services bien-être... DoucheFLUX veut redonner énergie, dignité et estime de soi. Autant d’éléments indispensables pour accomplir de petits ou de grands pas dans l’existence. Comme sortir de la rue. Ou ne pas y (re)tomber. »
Tout au long du film, conduit par la verve de Laurent d’Ursel qui est à la fois acteur, protagoniste et Monsieur Loyal de ce stupéfiant parcours du combattant qui conduira notre homme et ses compagnons de route dans les méandres des administrations (ils renoncèrent à obtenir des fonds publics), dans la comédie des collectes de fonds auprès de mécènes (une scène surréaliste nous montre l’apprentissage de d’Ursel aux techniques de « pitching » commercial face à des investisseurs potentiels), dans le portrait infiniment sensible des celles et ceux qui deviendront les utilisateurs de Doucheflux, ( interviewés dans le cocon de la salle de bain, ils nous disent la dignité retrouvée, la liberté de rêver, l’apaisement pendant quelques heures des angoisses telluriques qu’engendrent, dans la rue, la honte, le froid, la mendicité, le mépris que chacun évoque ici avec des mots simples et vrais.
Effi et Amir inscrivent leur travail  de cinéastes dans une démarche plus globale (que l’on peut découvrir sur leur site ) d’interrogation par le cinéma sur la société vue à travers celles et ceux qui en sont les proies, mais aussi de partager (notamment à travers des workshops et des ateliers de formation) , leur savoir-faire, leur savoir-regarder et cette capacité irradiante de raconter au plus près les réalités auxquelles ils se confrontent.
Sous la douche, le ciel  est sans doute emblématique de leur démarche : il s’agit de raconter une histoire, d’inscrire dans cette narration les protagonistes en action, au moment où survient l’événement (ce qui implique une disponibilité de près de cinq années pour ce film ci), de filmer le récit en créant une dramaturgie (le film se regarde à certains moments comme un « thriller » dont les pics d’angoisse sont alimentés par l’attente des résultats des démarches adminitratives par exemple), en composant chaque plan en fonction d’une mise en place au service du récit et de l’esthétique de celui-ci (plans fixes dans lesquels se déroule l’ "action", cadrages conçus pour mettre en valeur le déroulement de la scène, sans pathos, sans voyeurisme (les témoignages des « baigneurs » sont d’une rigueur éthique qui décuple l’émotion de ces récits d’hommes et de femmes dans l’eau d’une baignoire), et enfin, un montage éblouissant souligné par une bande sonore exceptionnelle, et le rythme percutant donné à l’enchaînement de ces péripéties quichottesques. 
Et puis, il y a ces signatures sensibles et poétique qui, comme des balises ou des battements de cœur, surviennent au détour d’une séquence : un paysage urbain, le bas de l’image déploie des toits et le panorama de Bruxelles, le ciel bleu pigmenté de nuages immaculés, et dans cet espace que l’on dirait une longue respiration, surviennent des bulles métalliques, minuscules en lévitation dans l’azur, ou démesurées roulant entre les toits rouges. Il y a dans ces mouvements suspendus, une sorte de plénitude souriante, comme si la géométrie parfaite et ronde venait nous consoler des aspérités auxquelles nous venons de nous confronter avec telle absurdité administrative dont nous sommes les témoins, tel témoignage poignant d’un ancien journaliste alcoolique qui écrit encore, pour ne pas désespérer, des histoires irréelles, telle rencontre au micro d’une radio associative qui recueille les témoignages des clochards…

Effi et Amir créent ainsi un langage qui leur est propre, le mettent au service de notre conscience qui sort, alertée, grandie, émue de cette projection de 85 minutes d’un film hors-norme.

Si d’aventure vos pas vous conduisent (bientôt: projections prévues en mai)  au Cinema Nova à Bruxelles, ou à l’entrée d’un Festival de cinéma qui programmerait Sous la douche, le ciel , arrêtez tout, franchissez la porte, entrez dans ce qui fait de ce cinéma documentaire un art à part entière, c’est à dire une fenêtre ouverte sur le monde vu à travers l’empathie, l’émotion, le cœur battant de deux artistes d’une envergure comparable aux plus grands de leurs pairs, comme Frédéric Wiseman, Jean-Jacques Péché ("Faits-Divers"), Jean Rouch, Raymond Depardon, Jean Libon (dont on verra bientôt Ni juge, ni soumise )  et d’autres, engagés comme eux dans la sincérite qui est la véritable et indispensable éthique du cinéma vérité.

Dès que ce film sera programmé, nous relancerons la publication de cet article et des liens vers les projections et, nous en sommes persuadés, les prix qu’un tel film mérite au plus haut degré de la conscience qu’il contribue à éveiller.
Jean Jauniaux, Bruxelles le 8 février 2018
La fiche technique du film :

Synopsis :

Five years in the making, the start-up of DoucheFLUX unfolds as a real nail-biter.
For five years, a group of Brussels citizens tries to find, finance and renovate a building to accommodate sanitary facilities that will allow the most vulnerable members of the city to “get freshened up and hold their heads high again”. Their administrative and financial assault course gives the film the aspect of a thriller. In Shower Power we see an idea become reality, demonstrating that imagination can be the engine of citizen action when the political horizon is blocked.


BE | 2018 | 85' | ov fr – subs nl/en
avec la participation de : Patrice Rousseau, Pascale Standaert, Laurent d'Ursel, Vanessa Crasset, Chris Aertsen, Éric Ransart, Anne Löwenthal, Milena Mathé, Didier van Innis, Pierre de Ruette, Eric “Ricky Billy” Daneels, Maurice Cornet, Didier Lecroart, Danielle Borremans, Jean-François Jans, Jean-François van der Plancke scénario et réalisation, image et son : Effi & Amir  création vocale : Myriam Van Imschoot et Anne-Laure Pigache  avec : Patrice Rousseau, Laurent d'Ursel, Vanessa Crasset, Chris Aertsen, Éric Ransart, Didier van Innis, Danielle Borremans, Jean-François Jans, David Trembla, Nicolas Marion son additionnel : Fabrice Osinski  montage : Simon Arazi, Effi & Amir assistanat montage : Salvatore Fronio montage son : Kwinten Van Laethem mixage : Rémi Gérard - Empire digital etalonnage : Miléna Trivier animation 3D : Yichai Gassenbauer matériel image et son : C3J, CVB DCP : Stempel sous-titrage : Des Airs producteur délégué : Cyril Bibas – CVB, Amir Borenstein - C3J assistante de production : Jeanne Humbert - CVB administrateur de production : Saidou Diallo -CVB promotion & diffusion : Philippe Cotte & Claudine Van O - CVB responsables technique : Benjamin Sion, Frédéric Leroy, Stéphan Samyn – CVB production Centre Vidéo de Bruxelles – CVB - Michel Steyaert, La chose à trois jambes coproduction BX1 - producteur associé Marc de Haan, CBA - Centre de l'Audiovisuel à Bruxelles - producteur associé Javier Packer-Comyn avec l'aide du Centre du Cinéma et de l'audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, de la Loterie nationale et de la Commission communautaire française avec le soutien de Vlaamse Gemeenschapscommissie, Beursschouwburg, Cultuurraad Gemeentebestuur Anderlecht