Une fois n'est pas coutume, je voudrais attirer l'attention sur la personnalité attachante et sensible de son auteur, dont je n'ai pas encore lu le dernier livre en date. Je souhaite ainsi réparer l'absence de chroniques à propos de ses précédents ouvrages que je n'avais pas(pris) le temps d'évoquer dans ce blog ou dans www.espace-livres.be où j'avais espéré mettre en ligne un entretien avec celui qui a déjà à son actif un travail considérable d'écriture: Harry Bleiberg.
Harry Bleiberg a consacré sa carrière à la médecine. Comme pour nombre de ses confrères, la fréquentation quotidienne de la souffrance et de l'humanité - il est oncologie - a exacerbé une sensibilité que la médecine (étymologiquement "medicina", signifie « art de guérir" ), une fois l'âge de la retraite atteint, ne parvenait plus à exprimer avec toute la complexité, l'humanisme et l'empathie qu'allait bientôt permettre l'écriture littéraire, sous la forme de récits ou de romans.
Dans les articles publiés sur le Hufington Post, qui héberge son blog, Bleiberg le scientifique mais aussi le philosophe s'exprime régulièrement sur des questions liées aux politiques de santé et à l'éthique. Il y donne rendez-vous régulièrement à celles et ceux qu'il convie à une sollicitation constante de la conscience et au questionnement du monde.
Dans deux récits biographiques, l'écrivain a exploré l'énigme fondamentale et tragique du xxème siècle dans laquelle s'est inscrite la lignée dont il est issu: né d'une famille juive, il ne cesse d'être hanté par le génocide juif, ce qui y a conduit, ce que signifie d'y avoir survécu, ce qu'il faut sans cesse en dire.
Sans doute évoque-t-il ce devoir de mémoire dans un récent article qu'il consacre à l'écriture de soi: "
Écrire c'est parler de soi, c'est s'aventurer
dans les territoires de l'inconscient, c'est plonger dans un espace qui ne
peut-être ressenti que comme infini, à l'image des déserts qu'il m'est arrivé
de parcourir. Écrire, c'est tenter de se comprendre, de s'expliquer, de se
révéler à soi-même, c'est fondamentalement une aventure personnelle qui parfois
permet à d'autres, les lecteurs, de décrypter leur propre vie. On aimerait,
être musicien, peintre... trouver d'autres voies créatrices mais l'écrivain,
comme Sisyphe, est condamné à pousser son texte au plus haut pour finalement
être obligé de redescendre en soi, jamais satisfait, toujours à la recherche de
sens... comme s'il devait en permanence recréer sa propre histoire, sa propre
vie... à l'infini.
Ma vie m'échappe... elle s'estompe dans le
brouillard. Du film de ma vie il ne subsiste que des fragments, des bribes de
souvenirs qui s'étirent tout au long d'une histoire mentalement reconstruite et
se projettent en désordre sur l'écran de ma mémoire."
Dans un récent ouvrage, "Maman je ne veux plus être Juif" que nous avions omis de chroniquer, faute de temps, Bleiberg évoque, explore, investigue ce "sentiment tragique de la vie" (pour paraphraser Unamuno) qu'il sait ne jamais pouvoir exprimer.
A la manière du médecin qu'il a été - combattant mille fois, dix mille fois la maladie scélérate- il sait qu'il n'y a pas de fin à l'écriture de ce qui, au-delà de l'Histoire juive, appartient à la mémoire collective de l'humanité. Il évoquait ainsi la pulsion d'écrire: " Ecrire relève de la pulsion. Aujourd'hui, plus
de 70 ans après les évènements, je suis encore submergé par les émotions, les
absences, les peurs... les 'je ne sais quoi' qui me traversent l'âme. Il n'y a
pas de passé. Il n'existe qu'un présent dans lequel les évènements que j'ai
vécu s'activent toujours mystérieusement en moi. Ce livre est un roman qui, sur
des bribes de mémoire, navigue entre réalité et fiction pour tenter de faire
vivre de l'intérieur ce que vivaient les protagonistes. 'Maman, je ne veux plus
être Juif' est le cri vraisemblable de l'enfant dont l'identité chavire sous la
violence du quotidien, les brutalités de la Gestapo, l'obligation de se cacher,
l'interdiction de parler sa langue, de dire qui il est, l'obligation de prier à
l'église, de rester seul à attendre le retour de A. (son père) et de F. (sa
mère). Le roman dévoile l'inconnu, démasque les replis de la mémoire." (in Hufington Post) Ce sont aussi des lambeaux de mémoire qui surgissent à la surface de celui qui avait 6 ans en 1942 quand la Gestapo est venue frapper à la porte de la maison, emmener le père et les oncles et laisser, par on ne sait quel miraculeux concours de circonstance, la mère, Feigele, et l'enfant, Harry, échapper au destin...
"Malines! Mille neuf cent quarante deux, j'ai
presque six ans, je suis devant une grande esplanade pavée, la caserne et ses
fenêtres alignées sur deux étages, une large porte d'entrée, une guérite, un
garde et j'attends avec Feigele, ma mère. Souvenirs déformés, en lambeaux dont
je doutais presque de la véracité car, lors de quelques visites précédentes, je
n'avais pas retrouvé cet espace de mes souvenirs, ce lieu où j'étais venu,
accompagnant ma mère rechercher mon père Arthur, mes oncles, Bernard et Nahmed
et mes tantes Gretl et Mariette qui venaient d'y être internés." (in Hufington Post)
Coûte que coûte
Le dernier livre, un roman, de Bleiberg vient de sortir de presse: " Ce roman raconte, l’histoire d’un homme pour qui vivre dangereusement s’imposait comme une nécessité. Le destin va le rattraper et la mort se coller à ses basques." nous dit l'écrivain à propos de ce livre, disponible dès à présent à la librairie TROPISMES et sur AMAZON qui publie sur son site la présentation que voici:
"Le sol était jonché de mégots de cigarettes et il se dégageait des bas-côtés des escaliers des effluves de vieux tabac et de transpiration. Assis sur les marches, quelques malades, en pyjama et peignoir flottant sur leurs corps amaigris, fumaient en discutant de la défaite de l’équipe belge de football, 1-3 contre la Suisse au Championnat d’Europe des Nations. Il ne savait pas pourquoi il s’était frotté à l’héroïne. Pourquoi n’avait-il pas suivi l’exemple de Cécile ? Elle fumait un joint, mais avait toujours refusé de toucher à l’héroïne. Ils deviennent tous des épaves, disait-elle, regarde-les, c’est de cela que tu auras l’air. Il y avait les vols, le commerce de la drogue. Etait-ce par goût de l’aventure ? L’impression que vivre dangereusement s’imposait comme une nécessité dans son existence. Trompe la mort ! Il se voulait indestructible, éternel. Mais lorsque la maladie s’est installée, pesante, exténuante, il sut que ce n’était plus un jeu. Les combats ne pouvaient être que violents. Il suffit parfois de si peu de choses pour que tout chavire, ... Peut-il l’emporter ? Entre réalité et fiction le récit se cherche, s’accroche, suspendu…tellement réel Quand la vie se transforme en destin, quand elle cesse d’être un long fleuve tranquille, quand on devine qu’elle pourrait s’arrêter après le prochain virage alors le regard devient plus aigu, identifie l’essentiel et refuse l’accessoire. Ilya est un héros du quotidien, il est balayé par la maladie qui le confronte à la mort. Il témoigne pour tous ceux qui, chaque jour, se battent pour survivre. Le monde va disparaître, il ne persiste qu’un halo autour de son corps et parfois, la douleur le réduit encore au simple souffle de sa respiration. … et pourtant, … par moment, … il se remet à marcher, à lever le regard sur le monde qui l’entoure, médecins, famille, amis … Il les voit d’un regard neuf, tels qu’ils sont quand ils se confrontent, à travers lui, à l’idée de la maladie et de leur propre mort. Il les force à bras le corps. Mais l’amour se cache là où on ne l’attendait pas, il résout tout … presque tout. Il doit vaincre. Son combat est une leçon de vie"
Puisse cette chronique, en forme de croisée des chemins auxquels je vous invite à vous engager, vous emmener à la librairie Tropismes. Vous vous y arrêterez face aux rayonnages et allez, comme je m'apprête à le faire, sortir le livre de son emplacement et l'emporter; à moins qu'auparavant, vous n'alliez visiter les pages du Huffington Post auxquelles l'écrivain Harry Bleiberg consacre les fragments d'une exploration littéraire originale, sincère et inspirante.
Jean Jauniaux, le 19 avril 2018