Les cantates arcadiennes d’Alessandro Scarlatti ?
Un régal
raffiné…
Plus de 700 cantates, c’est le nombre sur lequel
s’accordent les spécialistes qui examinent le répertoire de ce compositeur né à
Palerme en 1660 et mort à Naples en 1725, auteur d’une œuvre prolifique qui
compte aussi 115 opéras, des sonates, des concertos, des motets, des messes,
des oratorios… C’est dire si l’on est loin d’avoir fait le tour de sa
production. Parmi ces centaines de cantates, le label Ricercar en a choisi six
(RIC 396), enregistrées au Museum Begijnhofkerk de Saint-Trond en janvier 2018,
pour la plupart inédites, qui évoquent les émotions et les sentiments de
nymphes ou de bergers dont l’être aimé est éloigné. Alessandro Scarlatti, le
père de Domenico que l’on ne confondra pas avec lui, a passé l’essentiel de sa
carrière entre Naples et Rome ; c’est dans cette dernière cité qu’ont été
composées ces « cantates arcadiennes » dont la beauté exerce sur
l’auditeur une magie et un émerveillement inégalables. Ce programme délicat et
varié, à l’inspiration constante et soutenue, est d’une poésie de chaque
instant. On est sous le charme de ces mélodies raffinées, mais aussi lumineuses
en raison de leur sensibilité et de leur effet dramatique, des qualités qui
pourraient s’opposer mais se complètent ici avec une rare évidence. Le
programme est construit autour de cantates pour voix et continuo, où l’on
retrouve aussi deux violons, un clavecin italien, deux archiluths, un théorbe
et parfois un violoncelle, une harpe ou une guitare.
L’ensemble Scherzi musicali officie, avec, à sa tête, le
baryton Nicolas Achten. Il est le soliste de trois cantates, dont la première, Imagini d’orrore, a pour thème la
crainte d’être victime d’un amour trompeur ; elle se révèle d’emblée
touchante et donne à l’ensemble du programme cette touche intimiste durable qui
le caractérise. Place ensuite à la soprano louvaniste Deborah Cachet, lauréate
de plusieurs concours, dont la voix émerge avec cette saveur délicate et
onctueuse, comme le demandent ces petits bijoux. Elle chante l’amour sans
espoir, vécu en songe, mais que le réveil ramène à la réalité. C’est à la fois
douloureux et bienfaisant. L’audition des autres cantates, parmi lesquelles O penosa lontananza requiert les deux
voix en parfaite symbiose, plonge l’auditeur dans un bain sonore de toute
beauté, dans lequel il s’immerge avec un réel bonheur sensible.
La notice, que l’on lira avec attention pour bien entrer
dans le corps du projet avant de se laisser bercer par la musique, souligne le
fait que Scherzi musicali « entend contribuer à explorer l’univers de ces
cantates arcadiennes, tout en appliquant au pied de la lettre les pratiques
exubérantes du suonar pieno en vogue
à l’époque d’Alessandro Scarlatti ». Cette pratique est définie par
Francesco Gasparini dans un traité publié à Venise en 1708, intitulé L’armonico pratico al cimbalo. Sans
entrer dans le détail, il s’agit de trouver des couleurs nouvelles pour
enrichir le spectre harmonique du clavecin, voire des dissonances étrangères
pour plaire à l’oreille. Dans la présente approche, la volonté déclarée est de
toucher « cet art du continuo « épicé » et sensuel ». A
n’en pas douter, c’est une réussite, qui donne envie d’approfondir un univers
si captivant.
Jean
Lacroix