jeudi 16 avril 2020

Carmignola, Antonini et Brunello, enchanteurs de la musique baroque

            

Vers le CD
En cette période de confinement, la meilleure solution pour conserver un moral de temps à autre défaillant est de s’immerger dans un bain de musique réjouissant et enthousiasmant. Deux CD d’une musique baroque émerveillée nous tend les bras à cet effet. Le premier d’entre eux est consacré à plusieurs concerti pour flûte d’une absolue splendeur, qui respirent la joie de vivre et le dynamisme permanent (Alpha 364). Il faut dire qu’ils sont servis par Giovanni Antonini, ce flûtiste magicien d’une rare dextérité qui est à la tête de son ensemble Il Giardino Armonico, dont les disques parus depuis la fondation du groupe en 1985 ne cessent de nous transporter d’allégresse. Celle-ci est à son comble dans un programme étincelant qui propose les concertos RV 441 à 445, couplés au RV 433, qui fait partie de l’opus X et porte le titre de « La Tempesta di Mare ». Ce dernier est la réécriture d’un concerto de chambre RV 98, et il figure en tête de l’édition du recueil publié en 1729. La virtuosité est étincelante ; Antonini transforme tout cela en d’invraisemblables pièces de bravoure, se jouant de toutes les difficultés techniques avec une aisance confondante. Le reste du programme se compose de trois partitions, RV 443 à 445, un triptyque pour flautino (flûte à bec sopranino) ; ces pages sont d’une limpidité et d’une finesse étourdissantes. Quant aux RV 441 et 442, ils forment un duo dont l’atmosphère plus veloutée et plus sereine à la fois emporte l’auditeur dans un monde de rêve quasi intemporel. Un extrait du Nisi Dominus RV 608, chef-d’œuvre de la musique sacrée de Vivaldi, vient s’ajouter à l’ensemble ; il s’agit du mouvement Cum dederit, la voix de contralto étant ici remplacée par un chalumeau, ancêtre de la clarinette, dans un climat recueilli et spirituel. Ce CD magistral, pur moment de bonheur, bénéficie en plus de la présence du violoniste Enrico Onofri, qui intervient dans quatre concertos, avec les couleurs généreuses qui conviennent.
Il ne faut pas s’arrêter en si bon chemin vers le bain de réjouissances. Un autre CD procure des sensations musicales aussi fortes. Intitulé Sonar in Ottava (« Jouer à l’octave »), il prolonge le miracle vivaldien de la gravure Alpha par une Sinfonia pour cordes RV 125 et par deux Concerti pour violon et violoncelle piccolo RV 508 et 515, interprétés par Giuliano Carmignola et Mario Brunello sur leurs instruments respectifs, accompagnés par l’Accademia dell’Annunciata, orchestre sur instruments d’époque fondé en 2009 à Abbiategrasso, non loin de Milan et dirigé par Riccardo Doni (Arcana A472). Cette formation a déjà enregistré avec les deux prestigieux solistes ; la complicité est si frappante entre tous ces partenaires qu’elle semble couler de source. La notice nous livre le projet de ce programme : « Le jeu consiste à concilier le somptueux violonisme « baroque » avec le son intrigant d’un grand violon, ténor, ou violoncelle piccolo à quatre cordes mi-la-ré-sol, les mêmes que le violon, mais une octave plus bas.» Le texte précise : « Avec ces deux voix éloignées d’une octave, le dialogue n’est plus d’égal à égal, l’interaction s’apaise, les imitations prennent de nouvelles couleurs, la voix supérieure essaie de faire la grosse voix et la voix grave s’amuse à devenir subtile. »  Les deux solistes se lancent ainsi dans un parcours qui peut s’assimiler à une promenade à travers les petites places et les ruelles de Venise, avec des couleurs variables et nuancées. C’est encore la notice qui suggère cette balade au cœur de la Sérénissime, ce qui fait fantasmer en ce temps de retraite à domicile imposée par les circonstances.

On découvre aussi sur ce CD jouissif deux concertos de Bach BWV 1043 et 1060, dans une transcription au sein de laquelle le dialogue est plus complexe, dans un contexte de lyrisme intense. Le destinataire présumé des variations qui portent son nom, Johann Gottlieb Goldberg (1727-1756), qui fut un élève de Bach, est, pour sa part, représenté par une jolie Sonate pour cordes. La qualité sonore de ce disque, enregistré en juin 2018, est plus qu’exemplaire, les basses révélant un frémissement qui se prolonge même dans le silence.



Jean Lacroix