vendredi 3 avril 2020

La bonne nouvelle 9 : une nouvelle de Jean-Claude Bologne dans le Marginales




C'est dans le Marginales n° 233 que j'aimerais signaler à votre attention le texte  Un homme euros
de Jean Claude Bologne dont voici les premières lignes:

"« Bonne et eurose année ! » 
La formule commence à être éculée, mais elle lui plaît. Et puis, en dehors de l’entreprise, on n’a pas encore pris l’habitude de saluer de manière si fine et financière l’année 1999. « Bon an neuf, neuf, neuf », lui a répondu sa crémière. Moins original, pour sûr. Ou peut-être fallait-il comprendre… « n’œuf » ? Chacun voit le calembour dans son bourg. 
Et pour Alain, le calembour européen s’impose. Il a accepté de passer le week-end du jour de l’an à son bureau pour surveiller les dernières conversions avant l’ouverture de la bourse le lundi 4. La première bourse en euros. La moindre erreur risque d’avoir des répercussions incalculables. On se sent tour à tour Superman ou Fantômas, appelé à sauver l’humanité ou à l’anéantir, qu’importe si le pouvoir est le même ? Six mois qu’il y travaille, et en un jour, en une nuit, il verra ses efforts couronnés ou balayés, son travail justifié ou inutile. Quoiqu’il soit sûr d’avoir tout contrôlé, il déroule mentalement les programmes dans lesquels aurait pu se glisser une erreur, ou un oubli. Il s’est voué à tous les saints d’athées en quittant son bureau, le dimanche soir, laissant l’ordinateur ruminer tout seul ses fichiers."  (JC Bologne, avril 1999) 

L'intégralité du récit est accessible sur le site de MARGINALES  , ainsi bien sûr que l'éditorial de Jacques De Decker qu'il termine de façon fulgurante par ces phrases :

« Non, l’Europe, à travers sa traduction la plus vénale, mais qui semble être son principal souci, n’est pas une promesse de bonheur pour les écrivains. C’est ce qui ressort des textes qui se sont très spontanément agglomérés autour du thème de ce numéro. Ils contiennent leur pesant de mélancolie, ils mettent un vibrato autour d’un motif qui n’avait pas, jusqu’à présent, été traité sous cet angle. Ils déplacent le problème, en fait, et lui font aborder des zones où on ne l’attendait pas. Ils rappellent que l’argent n’est pas seulement le nerf de la guerre, mais une composante tout sauf neutre de nos vies, qui est en train d’y occuper une place disproportionnée, de boucher les horizons, de boucher les issues. Et que le fonctionnement d’une monnaie unique est difficilement concevable sans une pensée du même type, c’est-à-dire sans tension, sans débat, sans réelle dynamique dans l’échange. Ce qui serait bien le pire ! Sommes-nous entrés dans l’ère de la monnaie du non-échange ? » (JDD, avril 1999)



Parmi les autres écrivains inspirés par la thématique de ce numéro figurent Luc Dellisse, Anne-Marie Lafère, Yves Wellens, Jacques Cels et d'autres encore...
A nouveau, la lecture de ce texte, mais aussi des récits que nous ont donné les autres contributeurs à ce numéro"historique", démontre cette pérennité sensible du regard littéraire sur le monde. Aujourd'hui, le confinement nous donne une opportunité d'explorer davantage encore ce que la littérature nous offre comme instruments de compréhension du temps et de l'espace réels, aussi chargés soient-ils de noirceur et d'angoisse.

Jean Jauniaux, 1 avril 2020

Petit rappel historique...
MARGINALES  ??

MARGINALES est  la plus ancienne revue littéraire belge encore publiée. Elle a été fondée en 1945 par Albert Ayguesparse, un grand de la littérature belge, poète du réalisme social, romancier (citons notamment Simon-la-Bonté paru en 1965 chez Calmann-Lévy), écrivain engagé entre les deux guerres (proche notamment de Charles Plisnier), fondateur du Front de littérature de gauche (1934-1935). Comment douter, avec un tel fondateur, que MARGINALES se soit dès l’origine affirmé comme la voix de la littérature belge dans le concert social, la parole d’un esprit collectif qui est le fondement de toute revue littéraire, et particulièrement celle-ci, ce qui l’a conduite à s’ouvrir à des courants très divers et à donner aux auteurs belges la tribune qui leur manquait.
Jacques De decker et Albert Ayguesparse

MARGINALES, c’est d’abord 229 numéros jusqu’à son arrêt en 1991. C’est ensuite sept ans d’interruption et puis la renaissance en 1998, lorsque Jacques De Decker - succédant à Albert Ayguesparse à l’Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique – décide de reprendre le flambeau et de donner une nouvelle impulsion à la revue. Il propose d’en faire un rendez-vous littéraire où, par des fictions, les écrivains sont invités à raconter le monde, l’Europe, la Belgique, la société… Le n°230, sort en pleine affaire Dutroux, dont l’évasion manquée avait bouleversé la Belgique et fourni son premier thème à la revue nouvelle formule. Jacques De Decker demandera en 2009 à Jean Jauniaux de devenir rédacteur en chef de la revue et de  l’assister dans cette entreprise littéraire.

MARGINALES reprit ainsi son chemin par une publication régulière de 4 numéros par an. Elle est éditée par KER Editions.