Dans cette chronique Jean Lacroix évoque la musique classique contemporaine telle que la Finlande en est prodigue... L'occasion nous est donnée d'explorer avec lui les pièces musicales de Kalevi Aho. Décidément, "sans la musique..."
Jean Jauniaux
Dans le domaine de la musique classique de notre temps, la
Finlande est un pays heureux. Aux côtés de Lindberg, Salonen ou Kuusisto, pour
ne citer qu’eux, Kalevi Aho, né en 1949, mène une carrière féconde, au retentissement
international. Il est l’auteur d’œuvres orchestrales, de 17 symphonies dont
certaines sont de vastes dimensions, de cinq opéras et de nombreuses partitions
vocales, chambristes ou pour instruments solistes. Sans oublier près de trente
concertos, du hautbois à la clarinette, de la flûte au tuba, du cor au violon,
du violoncelle au piano. Il est par ailleurs impliqué dans des organes
officiels de la vie culturelle finlandaise. En 2015, il a composé un concerto
pour timbales et orchestre, objet d’un passionnant CD Bis (2306) couplé avec
son premier concerto pour piano de 1988-89. La notice laisse la parole à Aho
pour évoquer ses œuvres. On y apprend que c’est à la demande du timbalier de
l’Orchestre Philharmonique de Turku, Ari-Pekka Mäenpää, qu’il a entrepris ce
nouvel ouvrage. Il a rencontré le soliste à plusieurs reprises pour comprendre
les subtilités des timbales ; l’audition confirme qu’il en a saisi toute
la complexité et toute la richesse. Il livre une œuvre spectaculaire en cinq mouvements,
d’une profonde énergie et d’un élan irrésistible qui n’oublient pas la poésie.
Le timbalier est placé devant l’orchestre, comme s’il s’agissait d’un violon ou
d’un piano ; dans la phalange, deux autres percussionnistes s’occupent de
leur côté de divers instruments de leur art. Le tout commence dans une
atmosphère calme avec un arrière-fond de trente mesures aux timbales avant que
celles-ci ne se déploient peu à peu dans un crescendo impressionnant et dans un
rythme qui alterne aussi bien la force que le retour à des intermèdes plus
feutrés. Il y a des sommets d’intensité, notamment le vigoureux Presto du
premier mouvement qui fait la part belle au soliste dans une cadence effrénée.
Cette partition a été créée en avril 2016 par le dédicataire, Ari-Pekka Mäenpää.
C’est lui qui la joue ici ; son bonheur de se produire est évident et il
bénéficie en plus d’une prise de son superlative. Il est soutenu par le
Philharmonique de Turku, qui est le plus ancien orchestre en activité en
Finlande ; Sibelius l’a dirigé à maintes reprises. Son chef permanent est
Leif Segerstam depuis 2012, mais ici, il laisse la baguette à l’un de ses
élèves, Erkki Lasonpalo. En complément de programme, le concerto pour piano n°
1, qui date déjà de près trente ans, est basé sur des recherches faites par Aho
dans le domaine de la numérologie. On lira dans la notice les détails de sa
fascination pour les nombres cycliques. On est en tout cas séduit par une
partition inventive, qui utilise des instruments peu courants, comme le
heckelphone, qui a une forme de hautbois baryton, ou la clarinette contrebasse.
C’est une œuvre de contrastes, qui, on s’en doute, est peu jouée en raison de
l’introduction de ces éléments techniques inhabituels. Une raison de plus pour
découvrir une partition dramatique et foisonnante que sert sans complexe la
pianiste Sonja Fräki, avec le même orchestre de Turku, dirigé cette fois par
une autre élève de Segerstam, Eva Ollikainen, que l’on retrouve régulièrement à
la tête de formations allemandes ou suédoises ; sauf erreur, elle est même
déjà passée par Bruxelles en 2007. Ce CD ouvre bien des horizons. Il montre à
quel point la musique de notre temps recèle des talents de grand format ;
il suffit d’avoir l’envie et la curiosité d’aller à leur rencontre.
Jean Lacroix