dimanche 1 juillet 2018

Sergiu Comissiona: une réédition exemplaire à sa mémoire

"Sans la musique..."
Les chroniques musicales de Jean Lacroix


Sergiu Comissiona: une réédition exemplaire à la mémoire du chef d'orchestre décédé en 2005

Si vous aimez la direction d’orchestre, vous irez sans hésiter vers un CD Vox (MCD 10044). Il salue la mémoire d’un chef de haut niveau, Sergiu Comissiona, à la tête du Symphonique de Baltimore, dans les symphonies 4 et 5 de Mendelssohn. Né en Roumanie, naturalisé israélien et américain, Comissiona (1928-2005) devait décéder d’une crise cardiaque dans une chambre d’hôtel, juste avant un concert. Il est un peu oublié aujourd’hui. Pourtant, cet élève de Constantin Silvestri - autre géant de la direction d’orchestre, à découvrir dans un fabuleux coffret de 15 CD paru chez EMI dans la série Icon il y a cinq ans - mérite cette remise en lumière entamée par Vox qui a déjà inscrit à son catalogue ses versions d’œuvres de Tchaïkowski, Kodaly ou Enesco. 
Comissiona fut lauréat du Concours de Besançon pour chefs d’orchestre en 1956, il fonda en 1960 l’Orchestre de Chambre d’Israël. A cette époque, les USA avaient le nez fin, engageant des chefs comme Szell, Dorati, Reiner ou Ormandy pour porter au plus haut leurs nombreuses phalanges. New-York, Boston ou Philadelphie tenaient le haut du pavé, mais Cleveland, Houston ou Detroit étaient aussi d’un niveau remarquable ; Baltimore le fut tout autant pendant près de quinze ans, de 1970 à 1984, sous la baguette de Comissiona, réputé pour la qualité de ses nuances virtuoses, la précision de ses timbres et l’élégance de ses interprétations. 
Après Baltimore, il fit briller le Symphonique de Houston pendant six ans ; il devint chef permanent de la Radio néerlandaise à Hilversum, puis directeur musical du New York City Opera et, enfin, de l’Orchestre de la Radio Télévision espagnole. Un parcours exemplaire, illustré, pour sa période Baltimore, par la présente réédition d’un disque paru en 1976, des prises de studio datant de juin et septembre 1974. Le report de ces versions superbes est excellent. La 4e Symphonie de Mendelssohn, l’Italienne de 1833, chante ici avec une jubilation lumineuse, elle respire avec l’ivresse joyeuse que réclame cette partition aux lignes claires. Le chef, conscient de la qualité de l’orchestration, laisse ses instrumentistes s’épanouir dans l’Allegro vivace initial, pris largement, puis dans un Andante con moto rêveur. On est ensuite happé par le rythme insufflé aux deux derniers mouvements, le Saltarello final s’achevant dans l’euphorie. La 5e symphonie, la « Réformation », éditée plus de vingt ans après le décès de Mendelssohn qui n’en était pas satisfait, aurait dû célébrer les 300 ans de la Confession d’Augsbourg en 1830. Le compositeur prit du retard dans son travail et l’œuvre ne fut pas prête à temps. Solennelle, elle fait la part belle à une orchestration grave et cuivrée, qui trouve en Comissiona un défenseur de premier ordre. Sa vision grandiose met en valeur les qualités de discipline qu’on lui attribuait. Il dirige avec fougue et enthousiasme. Ce feu rejaillit sur un orchestre galvanisé par une force ascendante qui se développe et conclut la symphonie sous la forme d’une apothéose. Si ces deux versions participaient à une écoute en aveugle, ne créeraient-elles pas une étonnante surprise ?  

Jean Lacroix