"Sans la musique..."
Les chroniques musicales de Jean Lacroix
Sergiu Comissiona: une réédition exemplaire à la mémoire du chef d'orchestre décédé en 2005
Les chroniques musicales de Jean Lacroix
Sergiu Comissiona: une réédition exemplaire à la mémoire du chef d'orchestre décédé en 2005
Si vous aimez la direction
d’orchestre, vous irez sans hésiter vers un CD Vox (MCD 10044). Il salue la
mémoire d’un chef de haut niveau, Sergiu Comissiona, à la tête du Symphonique
de Baltimore, dans les symphonies 4 et 5 de Mendelssohn. Né en Roumanie,
naturalisé israélien et américain, Comissiona (1928-2005) devait décéder
d’une crise cardiaque dans une chambre d’hôtel, juste avant un concert. Il est
un peu oublié aujourd’hui. Pourtant, cet élève de Constantin Silvestri - autre
géant de la direction d’orchestre, à découvrir dans un fabuleux coffret de 15
CD paru chez EMI dans la série Icon il y a cinq ans - mérite cette remise en
lumière entamée par Vox qui a déjà inscrit à son catalogue ses versions
d’œuvres de Tchaïkowski, Kodaly ou Enesco.
Comissiona fut lauréat du Concours
de Besançon pour chefs d’orchestre en 1956, il fonda en 1960 l’Orchestre de
Chambre d’Israël. A cette époque, les USA avaient le nez fin, engageant des
chefs comme Szell, Dorati, Reiner ou Ormandy pour porter au plus haut leurs
nombreuses phalanges. New-York, Boston ou Philadelphie tenaient le haut du
pavé, mais Cleveland, Houston ou Detroit étaient aussi d’un niveau
remarquable ; Baltimore le fut tout autant pendant près de quinze ans, de
1970 à 1984, sous la baguette de Comissiona, réputé pour la qualité de ses
nuances virtuoses, la précision de ses timbres et l’élégance de ses
interprétations.
Après Baltimore, il fit briller le Symphonique de Houston
pendant six ans ; il devint chef permanent de la Radio néerlandaise à
Hilversum, puis directeur musical du New York City Opera et, enfin, de
l’Orchestre de la Radio Télévision espagnole. Un parcours exemplaire, illustré,
pour sa période Baltimore, par la présente réédition d’un disque paru en 1976,
des prises de studio datant de juin et septembre 1974. Le report de ces
versions superbes est excellent. La 4e Symphonie de Mendelssohn,
l’Italienne de 1833, chante ici avec une jubilation lumineuse, elle respire
avec l’ivresse joyeuse que réclame cette partition aux lignes claires. Le chef,
conscient de la qualité de l’orchestration, laisse ses instrumentistes
s’épanouir dans l’Allegro vivace initial, pris largement, puis dans un Andante
con moto rêveur. On est ensuite happé par le rythme insufflé aux deux derniers
mouvements, le Saltarello final s’achevant dans l’euphorie. La 5e
symphonie, la « Réformation », éditée plus de vingt ans après le
décès de Mendelssohn qui n’en était pas satisfait, aurait dû célébrer les 300
ans de la Confession d’Augsbourg en 1830. Le compositeur prit du retard dans
son travail et l’œuvre ne fut pas prête à temps. Solennelle, elle fait la part
belle à une orchestration grave et cuivrée, qui trouve en Comissiona un
défenseur de premier ordre. Sa vision grandiose met en valeur les qualités de
discipline qu’on lui attribuait. Il dirige avec fougue et enthousiasme. Ce
feu rejaillit sur un orchestre galvanisé par une force ascendante qui se
développe et conclut la symphonie sous la forme d’une apothéose. Si ces deux
versions participaient à une écoute en aveugle, ne créeraient-elles pas une
étonnante surprise ?
Jean Lacroix