"Sans la musique..."
Suite des chroniques musicales de Jean Lacroix
Premier lauréat du Concours Reine Elisabeth en 2013, le pianiste israélien Boris Giltburg, né en 1984, poursuit une belle carrière. Il était déjà titulaire de nombreuses récompenses quand il a remporté la palme. On compte à son actif plusieurs CD dans le catalogue Naxos : des pièces pour piano de Schumann (un sidérant Carnaval), les sonates 8, 21 et 32 de Beethoven, les concertos 1 et 2 de Chostakovitch, qui lui valurent un Diapason d’or. Rachmaninov ne pouvait le laisser indifférent : il s’est attelé aux Etudes-tableaux et aux Moments musicaux (CD du mois de la revue anglaise Gramophone en 2016), puis au Concerto pour piano n° 2, qu’il a servi avec brio. C’est au troisième des concertos du compositeur russe qu’il consacre un nouvel enregistrement (Naxos 8.573630). Ce tube de la littérature pianistique est un défi pour chaque interprète. On ne compte plus les gravures célèbres, depuis celle, légendaire, du compositeur lui-même, jusqu’à celles de Wild, Janis ou Horowitz parmi les anciens, d’Andsness ou de Volodos pour de plus récents. Au milieu de ce gratin de la spécialité, il faut faire entendre sa voix (ou plutôt ses doigts) d’une manière originale ou hautement novatrice. Boris Giltburg semble avoir réussi le pari. Sa version ne rejoindra pas la masse des oubliés ; elle va s’inscrire dans la ligne des partisans d’une virtuosité poétique et d’une introspection réfléchie. On s’en convainc dès l’Allegro ma non tanto initial, qui bénéficie d’un tempo large, ce qui permet à Giltburg de faire chanter son clavier d’une manière narrative magnifiée jusqu’à l’irrésistible cadence, très maîtrisée, et vers la conclusion qui prépare un second mouvement plein de tendresse et de sentiments feutrés. Le Finale va droit devant lui ; il s’achève avec grandeur sans sombrer dans le spectaculaire. Placé sous la direction du Mexicain Carlos Miguel Prieto, le Royal Scottish National Orchestra, laisse le jeu de Giltburg se déployer, avec une réelle complicité. Certains considéreront que cette version connaît des lenteurs qui lui font perdre un certain dynamisme ou que, parfois, le pianiste se perd dans une forme de contemplation. Ce ne sera pas notre avis. Giltburg a une conception lyrique de la partition, et il la défend. La version « spectaculaire » en public de Volodos/Berlin/Levine, en juin 1999, portée aux nues par beaucoup (nous en faisons partie) prenait elle aussi l’option de l’amplitude, il faut le rappeler, mais utilisait l’autre voie, celle du grand panache. Ne reprochons pas à Giltburg le versant de la poésie, qu’il assume si bien ! En complément de programme, il joue les Variations sur un thème de Corelli, qui datent de 1931. Elles procurent une petite vingtaine de minutes distinguées au cours desquelles l’équilibre de la forme le dispute à la souplesse du propos. Giltburg confirme par son approche qu’en ce qui le concerne, Rachmaninov est bien autre chose qu’un faire-valoir.
Suite des chroniques musicales de Jean Lacroix
Premier lauréat du Concours Reine Elisabeth en 2013, le pianiste israélien Boris Giltburg, né en 1984, poursuit une belle carrière. Il était déjà titulaire de nombreuses récompenses quand il a remporté la palme. On compte à son actif plusieurs CD dans le catalogue Naxos : des pièces pour piano de Schumann (un sidérant Carnaval), les sonates 8, 21 et 32 de Beethoven, les concertos 1 et 2 de Chostakovitch, qui lui valurent un Diapason d’or. Rachmaninov ne pouvait le laisser indifférent : il s’est attelé aux Etudes-tableaux et aux Moments musicaux (CD du mois de la revue anglaise Gramophone en 2016), puis au Concerto pour piano n° 2, qu’il a servi avec brio. C’est au troisième des concertos du compositeur russe qu’il consacre un nouvel enregistrement (Naxos 8.573630). Ce tube de la littérature pianistique est un défi pour chaque interprète. On ne compte plus les gravures célèbres, depuis celle, légendaire, du compositeur lui-même, jusqu’à celles de Wild, Janis ou Horowitz parmi les anciens, d’Andsness ou de Volodos pour de plus récents. Au milieu de ce gratin de la spécialité, il faut faire entendre sa voix (ou plutôt ses doigts) d’une manière originale ou hautement novatrice. Boris Giltburg semble avoir réussi le pari. Sa version ne rejoindra pas la masse des oubliés ; elle va s’inscrire dans la ligne des partisans d’une virtuosité poétique et d’une introspection réfléchie. On s’en convainc dès l’Allegro ma non tanto initial, qui bénéficie d’un tempo large, ce qui permet à Giltburg de faire chanter son clavier d’une manière narrative magnifiée jusqu’à l’irrésistible cadence, très maîtrisée, et vers la conclusion qui prépare un second mouvement plein de tendresse et de sentiments feutrés. Le Finale va droit devant lui ; il s’achève avec grandeur sans sombrer dans le spectaculaire. Placé sous la direction du Mexicain Carlos Miguel Prieto, le Royal Scottish National Orchestra, laisse le jeu de Giltburg se déployer, avec une réelle complicité. Certains considéreront que cette version connaît des lenteurs qui lui font perdre un certain dynamisme ou que, parfois, le pianiste se perd dans une forme de contemplation. Ce ne sera pas notre avis. Giltburg a une conception lyrique de la partition, et il la défend. La version « spectaculaire » en public de Volodos/Berlin/Levine, en juin 1999, portée aux nues par beaucoup (nous en faisons partie) prenait elle aussi l’option de l’amplitude, il faut le rappeler, mais utilisait l’autre voie, celle du grand panache. Ne reprochons pas à Giltburg le versant de la poésie, qu’il assume si bien ! En complément de programme, il joue les Variations sur un thème de Corelli, qui datent de 1931. Elles procurent une petite vingtaine de minutes distinguées au cours desquelles l’équilibre de la forme le dispute à la souplesse du propos. Giltburg confirme par son approche qu’en ce qui le concerne, Rachmaninov est bien autre chose qu’un faire-valoir.
Jean Lacroix