dimanche 11 août 2019

Bijoux musicaux chez Ricercar : Johannes de Lymburghia et Josquin Des Prez


Il existe une aura autour du nom de Josquin Des Prez (c. 1450-1521). Elle est amplement justifiée. Il était admiré par ses contemporains qui le considéraient comme le plus grand créateur de son époque et son influence a été si fondamentale que l’un de ses élèves le surnomma « princeps musicorum ». C’était pourtant un artiste solitaire qui écrivait des chansons au caractère mélancolique et d’une grande élégance, représentatives de l’art de la Renaissance. Si on sait peu de choses de la jeunesse de ce compositeur franco-flamand né dans le Hainaut, sans doute élève d’Ockeghem, on sait par contre qu’il a été chanteur à Milan, à la cathédrale puis à la cour des Sforza, ce qui le conduira à Rome, sous le règne des papes Innocent VIII et Alexandre VI. On le retrouve aussi à Florence, à Ferrare, puis en Bourgogne, à Saint-Quentin avant Condé-sur-Escaut, où il sera prévôt de la collégiale. C’est dans cette dernière cité qu’il décédera. Des Prez bénéficia de la naissance de l’imprimerie musicale qui prit son ampleur italienne au début du XVIe siècle, mettant son répertoire en valeur et à disposition grâce à la diffusion que permettait le nouveau procédé.
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Son œuvre comporte de la musique sacrée (messes, dont celle, célèbre, de « L’Homme armé », et des motets), mais aussi des chansons. C’est ce dernier genre que l’on retrouve, sous le titre Adieu mes amours, sur un splendide CD du label Ricercar (RIC403). Sous le nom de Dulces Exuviae (Douces reliques), on trouve deux interprètes, le baryton Romain Bockler, formé à Lyon et que l’on a déjà pu retrouver en concert avec l’ensemble La Fenice ou le Concert Spirituel, et le luthiste slovène Bor Zuljan, qui a étudié à Ljubljana, à Coblence et à Genève, où il s’est installé. Tous deux se sont penchés sur des chansons intimes de Des Prez, baignées de douces mélodies, embellies par des ornementations, dans un contexte de délicatesse où l’émotion affleure à chaque instant. Il s’agit ici de chansons polyphoniques dont une ligne mélodique est mise en évidence par la réduction dans l’accompagnement des autres voix. Ce qui devient alors un récitatif accompagné est plein de charme et de raffinement. Dans le livret, Philippe Canguilhem précise : « Sélectionner l’une des parties de la polyphonie et réduire les autres à un accompagnement instrumental permettait ainsi d’apprécier tout à la fois les qualités de la mélodie composée (l’«air ») et la beauté de la voix (« la belle manière ») chargée de l’interpréter. Cette pratique, bien attestée à l’époque de Josquin, pouvait être mise en œuvre de deux manières : soit par un chanteur suffisamment habile au luth pour s’accompagner lui-même, soit par deux musiciens. » Cette dernière pratique choisie par nos deux interprètes est un véritable enchantement. Au programme, une vingtaine de chansons, bel éventail représentatif, à la fois virtuose et plein de séductions. Les inflexions de la voix de Romain Bockler sont émaillées de belles couleurs changeantes qui traduisent bien l’état d’esprit de chaque air. Quant au luth de Bor Zuljan, il sait jouer son rôle d’accompagnateur discret, tout en lui donnant sa part de présence spontanée. Une note de l’instrumentiste signale que dans quelques airs, le luth choisi est le « luth à harpions », offrant ainsi à celui-ci son premier enregistrement commercial. Ce luth utilise des frettes simples qui donnent un son brillant préférable à ce que produit le son bourdonnant des frettes doubles. La prise de son, soignée, a été effectuée à Notre-Dame de Ceilles, à Siran, dans l’Hérault, en octobre 2018.

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Un autre CD Ricercar nous fait faire un bond de près de cent ans en arrière, dans l’univers du méconnu Johannes de Lymburghia (c.1380-c.1440), sous le titre Gaude felix Padua (RIC402), qui est celui d’un air glorifiant Saint-Antoine de Padoue et sa ville. Ce musicien que nous découvrons, auquel on peut attribuer une cinquantaine de compositions, serait par ce fait même, l’un des créateurs importants de la musique sacrée de la première moitié du XVe siècle. Johannes de Lymburgia serait originaire, comme son nom l’indique, de Baelen, petite ville à quelques kilomètres de Limbourg. Il est fait mention de son passage à Liège et peut-être à Huy, mais aussi en Italie, à Padoue et à Vicenza. Le présent enregistrement est effectué d’après un manuscrit du Musée de la musique de Bologne qui contient 46 compositions en latin attribuées à notre compositeur. Ce manuscrit, explique la notice de Baptiste Romain, est « une source extrêmement importante  pour notre connaissance de la musique qui circulait en Italie du Nord-Est au début du XVe siècle, qu’elle soit originaire de l’Europe du Nord, de Vénétie ou d’Angleterre. Il est à la musique religieuse ce que la Chansonnier d’Oxford […] est à la chanson bourguigonne. » Nous laisserons le soin au mélomane d’aller plus loin dans l’approfondissement des savantes précisions apportées pour nous centrer sur le contenu du programme et ses interprètes. En une quinzaine de plages, nous découvrons des motets, des hymnes, des antiennes à la gloire de la Vierge ou des Saints, avec des textes provenant du Cantique des Cantiques, des adaptations d’un texte marial remontant au XIIe siècle ou des moments de service religieux et des chants strophiques associés à la tradition italienne des laudes. C’est l’ensemble Le Miroir de musique, basé à Bâle, spécialisé dans le répertoire de la fin du Moyen Age et de la Renaissance qui officie. Dans le cas présent, cinq chanteurs (soprano, mezzo-soprano, ténor et deux barytons, le dirigeant Baptiste Romain étant l’un d’eux) se partagent les pièces choisies, avec pour soutien instrumental, selon les séquences, luth, harpe, vielle ou organetto. Effectué en octobre 2018 dans l’Abbaye de Saint-Guilhem-le-Désert, située en Aquitaine dans le val de Gellone, sur la route des pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle, cet enregistrement est le reflet du langage franco-flamand de l’époque et de sa richesse harmonique et mélodique. Au-delà de la découverte d’un méconnu, il ravira les amateurs de la musique du XVe siècle.