Le Palazzetto Bru Zane, dont il a
déjà été question dans nos chroniques pour la résurrection d’œuvres de Halévy,
Gounod ou Messager, ne pouvait pas passer à côté de la commémoration du
bicentenaire de la naissance du roi de l’opérette française. C’est chose faite
avec une version dirigée par Marc Minkowski, insérée dans un nouveau livre/CD
élégant (BZ 1036), qui vient s’ajouter à une collection qui en est déjà à sa
vingt-et-unième réalisation, ressuscitant des ouvrages méconnus ou oubliés. Ce
qui n’est pas le cas de la Périchole !
On ne reviendra pas sur
l’intrigue de cet opéra-bouffe, inspiré, comme Carmen de Bizet, d’une pièce de Prosper Mérimée, Le Carrosse du Saint-Sacrement,
transposée en livret encore une fois par Meilhac et Halévy. Rappelons
simplement que l’action se passe au Pérou : elle met en scène une
chanteuse des rues, La Périchole, fiancée à Piquillo, à laquelle le Vice-Roi,
Don Andrès, propose de devenir sa « demoiselle d’honneur ». Pour
sauver les apparences de sa nouvelle fonction de favorite, elle doit être
mariée. Ce sera, sans qu’il ne se rende compte de l’identité de son épouse,
avec Piquillo après une séance d’agapes arrosées. Après la découverte de la
supercherie, Piquillo insulte le Vice-Roi, aboutit en prison, d’où la Périchole
le fait évader avec un complice. Elle n’a pas cédé aux avances du souverain.
Les amoureux sont finalement arrêtés, mais, touché par leur idylle, le Vice-Roi
leur rend la liberté.
Une caractéristique des
productions du Bru Zane réside dans les copieux textes de qualité qui
accompagnent le livre/CD. Alexandre Dratwicki rappelle en ouverture que lors de
sa création en 1868, l’accueil de La Périchole
fut mitigé. L’œuvre était alors en deux actes. Offenbach la retravailla, une
fois le calme revenu après la guerre franco-allemande, et la reprise de 1874,
qui comportait trois actes, connu le succès. Dratwicki explique l’évolution de
la partition, les suppressions dans la version de 1868 et les nouveautés de la
mouture ultérieure. Pour le présent enregistrement, Minkowski, qui a dirigé les
deux version intégrales, propose « sa » version qui mélange
l’écriture initiale et les meilleurs moments des tableaux de 1874. Une autre
vision en quelque sorte, plus courte (moins de deux heures), mais une première
sur instruments historiques. On lira avec intérêt les détails de ces
transformations, trop longues à détailler ici. Dans un autre texte, Gérard Condé
évoque « La Périchole, pas à
pas », s’intéresse au titre de l’œuvre et rappelle qu’il y a une base
historique, qui remonte au XVIIIe siècle, celle de la créole Michaela Villegas,
qui fut à 19 ans la maîtresse du Vice-Roi. Au cours d’une dispute passagère, ce
dernier l’affubla du surnom de « perra
colla » (chienne de métis), qu’il prononçait à l’espagnole « perri
colli ». Mérimée s’en inspira dès 1828. Condé agrémente son approche
de réflexions autour de Carmen et de Manon, mais aussi de Flaubert et de ce qu’il
appelle la « règle de trois », analysant les motifs, la
diversification des chansons de rue, les airs de caractère opposé ou
caractérisé, ainsi que les trois chœurs. Cette lecture des plus intéressantes
est complétée par « les amours espagnoles du Second Empire », un
texte dans lequel Waldemar Kamer se plonge dans les frasques de Napoléon III et
dans les arcanes de sa relation avec l’impératrice Eugénie. Tout cela est
passionnant. Pour faire moins sérieux, un article du Figaro du 25 janvier 1877 évoque « comment Offenbach fait
répéter », insistant sur les exigences du compositeur, ses manies et son
engagement lors de la mise en place de ses œuvres. On l’aura compris, voilà un
livret exemplaire, à découvrir avec délectation.
La prestation proposée est tout
aussi délectable. Elle a été réalisée lors de la création scénique à l’Opéra
National de Bordeaux, en octobre 2018, les Musiciens du Louvre et les choeurs
de la maison étant placés sous la direction experte et mordante de Marc
Minkowski. A plusieurs reprises, on entend le public s’amuser, s’esclaffer et
réagir avec un vif plaisir à ce qu’il voit et entend. Avouons-le : notre
plaisir est à l’aune du sien. Car tout cela pétille, rayonne, étincelle, éclate
en maintes phases comiques et détendues, nous faisant passer des moments de
vrai bonheur musical. Alors peu importe la stricte musicologie et les libertés
prises dans l’agencement , ce qui compte c’est la joie distillée. Dans les
rôles principaux, on trouve Aude Extrémo en Périchole effrontée, avec un timbre
solaire qui nous enjôle, le distingué et pimpant Stanislas de Barbeyrac en
Piquillo, qui offre bien de temps à autre un aigu un peu tendu qui ne nous gêne
guère, ou encore un très amusant Alexandre Duhamel en Vice-Roi. Autour d’eux,
on trouve de belles voix, francophones s’il vous plaît, ce qui n’est pas rien,
les dialogues parlés sont parfaitement audibles. Le bonheur, c’est encore dans
les chœurs qu’on le trouve, leur prestation est séduisante, tout comme celle
des Musiciens du Louvre qui, rompus aux gestes de Minkowski, le suivent comme
un seul homme. En cette année Offenbach, qui, en fin de compte, ne nous a pas
encore émerveillé par des nouveautés qui décoiffent, en voici une à ne pas
rater !
Jean Lacroix