dimanche 11 août 2019

Cantates de Jean-Sébastien Bach et de ses ancêtres chez Ricercar


Les ancêtres de Bach ? Pas facile de s’y retrouver ! Par chance, dès l’âge de 50 ans, le Cantor s’était lui-même penché sur la question et grâce aux informations qu’il a recueillies, il est possible de reconstituer l’arbre généalogique de la famille. Tout commence avec le meunier Vitus  Bach qui serait né en Hongrie et mort dans le dernier quart du XVIe siècle. Vitus a eu deux fils, Hans, qui fut musicien à Wechmar en Thuringe, et un autre dont on ne sait rien, même pas le prénom. De son côté, Hans a eu trois fils, Johan, Christoph et Heinrich. Christoph est le père d’Ambrosius, Heinrich celui de Johann Christoph et Johann Michael. Ambrosius et les deux fils d’Heinrich sont donc cousins. Quant à notre Jean-Sébastien, il est le fils d’Ambrosius. Vous suivez toujours ?
Lien vers le CD
Le passionnant label Ricercar a déjà proposé une intégrale des motets d’ancêtres de Bach (RIC 347), plus précisément de Johann Christoph (1642-1703) et de Johann Michael (1648-1694). Les mêmes prédécesseurs, ainsi que leur père Heinrich (1615-1692), se voient gratifiés par la même maison (RIC 401) d’un enregistrement de concerts spirituels et de cantates, auxquels ont été ajoutés, dans sa version originale, la cantate BWV 4 du plus illustre compositeur de la famille.
L’ensemble de ces pièces forme un ensemble à portée religieuse avec une forte connotation émotionnelle. L’audition est un parcours que l’on pourrait qualifier d’initiatique, comme si les ancêtres de Bach préparaient peu à peu, par leur propre talent, le génie futur de leur descendant. La lecture de la belle et érudite notice signée par Jérôme Lejeune s’impose avant de se lancer dans cette aventure. Nous nous en inspirons.

Heinrich, qui fut organiste à Arnstadt, n’a droit qu’à une seule et courte partition, Ich danke der Gott. Il est vrai qu’il n’existe de lui qu’un très petit nombre de pièces ; celle-ci, introduite par une Sinfonia, est dévolue à cinq voix, un ensemble de cordes, deux violons et deux altos qui dialoguent entre eux, et une basse continue. La composante spirituelle, de louange, est basée sur le texte d’un verset du psaume 139 pour le 17e dimanche de la Trinité
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Deux partitions ensuite pour Johann Michael, qui est celui dont il reste la plus importante quantité de compositions, y compris pour orgue. La cantate Ach bleib bei uns, Herr Jesu Christ qui ouvre le CD est destinée à un chœur de quatre voix mixtes, avec trois violons, deux altos et basse, avec un texte en forme de motet qui la situe dans le genre du motet funèbre. On sent l’habileté technique chez ce musicien, qui se confirme dans Herr, der König freuet sich, un concert sprituel au cours duquel cinq voix solistes et cinq voix de « ripieno » sont sollicitées, doublant les voix de solistes dans les tutti. S’y ajoutent la basse continue et cinq parties instrumentales.

Johann Christoph Bach, pour sa part, bénéficie de trois partitions. Il travailla longtemps à Eisenach et est considéré comme le jalon le plus important de la famille avant Jean-Sébastien, qui l’a qualifié de « compositeur profond ». Jérôme Lejeune indique que ses compositions nous conduisent d’une façon plus nette vers le principe des cantates en plusieurs sections. Une page de circonstance, Die Furcht des Herren, est un hommage au conseil municipal de la ville d’Eisenach. Un premier chœur rassemble sous forme soliste les notables qui y sont représentés, ainsi que la figure de la Sagesse (une soprano) ; l’autre chœur symbolise le conseil dans son entier. Cette disposition théâtrale est accompagnée par les cordes dans les passages vocaux. Autre scène, avec Herr, wende dich und sei mir Gnädig, qui fait appel à quatre voix et aux cordes. Ici, il s’agit de repentance à l’approche de la mort, la quatrième voix symbolisant la consolation, le Christ. En guise de conclusion au CD, on trouve encore une cantate brillante, composée pour la Saint-Michel,  Es erhub sich ein Streit. Des trompettes et des timbales s’ajoutent aux cordes, avec deux chœurs à cinq voix, pour rappeler la victoire sur le dragon et celle du Royaume de Dieu.

Jean-Sébastien est lui aussi présent à travers sa Cantate BWV 4 Christ lag in Todesbanden, sur un texte de Luther, œuvre somptueuse s’il en est, dont la date de composition est discutée : 1707, 1708, ou même un peu antérieure. Elle était considérée comme importante par Bach lui-même qui en donna une version révisée en 1724. C’est la version originale qui est ici gravée ; composée à Arnstadt sans que l’on sache si elle y a été exécutée, elle pourrait être la seule pièce vocale de cette période à avoir survécu. Jérôme Lejeune développe avec force détails à découvrir les composantes  de la question.

Ce superbe panorama de concerts spirituels et de cantates, dont la prise de son a été effectuée à l’église Notre-Dame de Gedinne en septembre 2018, a été confié à Vox Luminis, placé sous la direction artistique de Lionel Meunier. Fondé en 2004, cet ensemble vocal belge spécialisé dans la musique ancienne compte à son actif des enregistrements salués par la critique : Purcell, Buxtehude, Haendel, Fux, Scheidt, Kerll, Schütz… Né à Clamecy en France, Lionel Meunier est venu poursuivre ses études dans notre pays, à l’IMEP de Namur, dont il est sorti avec une licence de flûte à bec. Il a aussi perfectionné ses qualités vocales au Conservatoire de La Haye. L’approche passionnée et équilibrée des partenaires fait merveille dans ce répertoire ; le compliment va à tous les intervenants, chanteurs ou instrumentistes. Cela nous vaut un très beau et très utile CD. 

La JS Bach Stiftung   
Nous n’allons pas quitter Bach sans évoquer le travail effectué depuis une vingtaine d’années par la fondation qui porte son nom, établie à Saint-Gall, au nord-est de la Suisse, dont le but est de soutenir et de promouvoir la connaissance et l’exécution des œuvres vocales du Cantor. Cette association, la JS Bach Stiftung, dont le directeur artistique est l’organiste Rudolf Lutz depuis 2006, maintient un orchestre et un chœur et fait appel à des solistes internationaux pour ses concerts ; elle produit des DVD et des CD. Pour ces derniers, elle en est déjà au 27e volume (B669) des cantates, qui comprend les BWV 51, 59 et 136. Il s’agit de partitions pour des dimanches après la Trinité ou le jour de la Pentecôte (la BWV 59), composées entre 1723 et 1730.
La cantate BWV 51 Jauchzet Gott in allen landen !, qui peut être programmée aussi tous les jours de l’année liturgique, magnifie la jubilation universelle, faisant la part belle à une combinaison entre la trompette et une soprano solo, des cordes et un continuo, mais sans chœur. L’adoration du Christ est ici prioritaire. La cantate BWV 59 Wer mich liebet, der wird mein Wort halen, dont on soulignera la curieuse brièveté vu sa destination festive, fait dialoguer soprano et basse avec les groupes d’instruments, avant un choral brillant qui salue le Saint-Esprit. Quant à la BWV 136, Erfosche mich, Gott, und erfahre mein Herz, qui s’appuie sur le discours sur la Montagne de l’Evangile, elle est destinée à trois solistes, alto, ténor et basse, à un chœur qui reprend un verset du psaume 138 et à des interventions du hautbois, du hautbois d’amour et du cor. Ces instruments s’inscrivent dans le parcours des cordes ou des voix, donnant à la partition une atmosphère poétique et une dimension pastorale. Ce programme un peu court (un peu plus de 43 minutes seulement) est issu de concerts publics donnés en l’église réformée de Trogen, dans le canton d’Appenzell, en 2011, 2012 et 2016. Nous ne détaillerons pas le nom des différents chanteurs, dont la ferveur vocale et l’investissement correspondent à ce que l’on peut attendre dans des contextes locaux, au cœur d’une démarche qui mérite le respect. Les chœurs et l’Orchestre de la JS Bach Stiftung les soutiennent ou les accompagnent avec un bel élan qui fait une grande place à la séduction immédiate ; les interventions instrumentales solistes sont soignées. Le tout est dirigé avec conviction par Rudolf Lutz, qui officie aussi à l’orgue. A signaler un copieux livret en anglais et en allemand. Il ne s’agit pas ici d’un achat prioritaire, mais un détour vaut la peine : on ne néglige pas la volonté déclarée de servir Bach dans sa dimension la plus recueillie.

Jean Lacroix