C'est à partir de trois de ses récents livres que le romancier et réalisateur Kenan Gorgün a composé la pièce "J'habite un pays fantôme" , mise en scène par Daniel Simon.
Nous avions rencontré l'écrivain belgo-turc à la sortie du premier volet de ce qui deviendra une trilogie: "Anatolia Rhapsody" (Editions Vents d'Ailleurs).
Nous sommes allés au théâtre "Le Public", à Bruxelles, voir la pièce qui sera, à nouveau jouée en janvier à Liège.
De Kenan Gorgün nous savons qu'il est écrivain (sa première nouvelle publiée l'a été dans la revue littéraire MARGINALES qui exerçait là avec on ne peut plus de justesse sa vocation de découvrir et de valoriser de nouveaux talents), qu'il est scénariste (primé) de cinéma et réalisateur. Avec "J'habite un pays fantôme", nous découvrons deux nouvelles facettes de cet auteur protéiforme: comédien et dramaturge.
Cette pièce, mise en scène par l'écrivain Daniel Simon (dont on doit une nouvelle fois déplorer le peu d'intérêt et d'attention que son oeuvre d'écrivain et son travail d'éditeur rencontrent parmi les critiques et observateurs de la vie littéraire) met en scène trois personnages. Le premier est le double de Gorgün (et joué avec une maturité étonnante dans le jeu de comédien) jeune homme turc, écrivain en devenir, s'essayant à créer un univers, persuadé que l'écriture lui donnera les clés de compréhension du destin qu'il veut se donner et lui permettra de sortir du carcan de la tradition familiale - celle de sa famille d'origine ancrée au village d'Anatolie dont elle est issue depuis des générations. Le deuxième est le personnage qui naît de ses premières tentatives romanesques, mais en même temps le miroir de ce que l'écrivain voudrait devenir interprété par le comédien Othmane Moumen,. Ce dernier, grâce à un un jeu subtil, nuancé et toujours juste, fait apparaître les doutes qui entourent le projet de son créateur, les difficultés qu'il y a à sortir de la feuille de papier et des mots pour s'arracher à son destin, prendre la route, aller à la ville d'abord, puis plus loin, à l'étranger, chercher un pays d'accueil pour y vivre, pour y écrire, pour y épanouir son identité et la libérer de la pression des traditions de la Communauté, du village et de la famille. Celle-ci est incarnée par le troisième personnage, un mannequin représentant le père, le Pater Familial devrions-nous dire, présence muette et oppressante dont il faut bien se détacher pour vivre, mais qui reste toujours, immobile et silencieuse comme le subconscient, dans un retrait obscur de la scène et de la vie, de la réalité et du rêve.
Gorgün assume avec émotion le risque d'une certaine fragilité. Après tout, il joue doublement sur scène: à la fois sa vie et son texte. En cela, Daniel Simon a fait des miracles de dramaturgie. Le lieu scénique (au Public la pièce se joue dans la petite salle, au sous-sol) est nu hormis côté Jardin, une table à repasser et, côté Cour, une table, une chaise et une machine à écrire. Chaque lieu est investi d'une fonction symbolique - le village d'un côté, le rêve de l'autre - . Le père, assis sur un tabouret haut, comme un arbitre des destins, veille sur la ligne de partage entre les deux mondes, cette ligne de fracture qu'alternativement l'un et l'autre des protagonistes essaient de franchir. Le travail irremplaçable sur la lumière, la musique, le chant (Gorgün, dans un moment particulièrement émouvant de la pièce, psalmodie un chant populaire dont l'écho n'a pas de sitôt cessé de nous envoûter) contribuent à faire de cette pièce une réussite tout à fait originale, née de la qualité du jeu, et, à n'en pas douter, de la complicité entre l'écrivain et le moteur en scène.
Si vous n'avez pas eu l'occasion de voir cette pièce à Bruxelles, prenez date pour les représentations qui auront lieu à Liège en janvier 2016.
De Kenan Gorgün nous savons qu'il est écrivain (sa première nouvelle publiée l'a été dans la revue littéraire MARGINALES qui exerçait là avec on ne peut plus de justesse sa vocation de découvrir et de valoriser de nouveaux talents), qu'il est scénariste (primé) de cinéma et réalisateur. Avec "J'habite un pays fantôme", nous découvrons deux nouvelles facettes de cet auteur protéiforme: comédien et dramaturge.
Cette pièce, mise en scène par l'écrivain Daniel Simon (dont on doit une nouvelle fois déplorer le peu d'intérêt et d'attention que son oeuvre d'écrivain et son travail d'éditeur rencontrent parmi les critiques et observateurs de la vie littéraire) met en scène trois personnages. Le premier est le double de Gorgün (et joué avec une maturité étonnante dans le jeu de comédien) jeune homme turc, écrivain en devenir, s'essayant à créer un univers, persuadé que l'écriture lui donnera les clés de compréhension du destin qu'il veut se donner et lui permettra de sortir du carcan de la tradition familiale - celle de sa famille d'origine ancrée au village d'Anatolie dont elle est issue depuis des générations. Le deuxième est le personnage qui naît de ses premières tentatives romanesques, mais en même temps le miroir de ce que l'écrivain voudrait devenir interprété par le comédien Othmane Moumen,. Ce dernier, grâce à un un jeu subtil, nuancé et toujours juste, fait apparaître les doutes qui entourent le projet de son créateur, les difficultés qu'il y a à sortir de la feuille de papier et des mots pour s'arracher à son destin, prendre la route, aller à la ville d'abord, puis plus loin, à l'étranger, chercher un pays d'accueil pour y vivre, pour y écrire, pour y épanouir son identité et la libérer de la pression des traditions de la Communauté, du village et de la famille. Celle-ci est incarnée par le troisième personnage, un mannequin représentant le père, le Pater Familial devrions-nous dire, présence muette et oppressante dont il faut bien se détacher pour vivre, mais qui reste toujours, immobile et silencieuse comme le subconscient, dans un retrait obscur de la scène et de la vie, de la réalité et du rêve.
Gorgün assume avec émotion le risque d'une certaine fragilité. Après tout, il joue doublement sur scène: à la fois sa vie et son texte. En cela, Daniel Simon a fait des miracles de dramaturgie. Le lieu scénique (au Public la pièce se joue dans la petite salle, au sous-sol) est nu hormis côté Jardin, une table à repasser et, côté Cour, une table, une chaise et une machine à écrire. Chaque lieu est investi d'une fonction symbolique - le village d'un côté, le rêve de l'autre - . Le père, assis sur un tabouret haut, comme un arbitre des destins, veille sur la ligne de partage entre les deux mondes, cette ligne de fracture qu'alternativement l'un et l'autre des protagonistes essaient de franchir. Le travail irremplaçable sur la lumière, la musique, le chant (Gorgün, dans un moment particulièrement émouvant de la pièce, psalmodie un chant populaire dont l'écho n'a pas de sitôt cessé de nous envoûter) contribuent à faire de cette pièce une réussite tout à fait originale, née de la qualité du jeu, et, à n'en pas douter, de la complicité entre l'écrivain et le moteur en scène.
Si vous n'avez pas eu l'occasion de voir cette pièce à Bruxelles, prenez date pour les représentations qui auront lieu à Liège en janvier 2016.
Edmond Morrel, au Théâtre Le Public, le 30 octobre 2015
Nous avions interviewé alors Kenan Gorgün: cet entretien est bien sûr toujours accessible sur la webradio www.espace-livres.be .
Voici ce que nous écrivions à propos du livre:
"Ce récit hors normes apporte un regard d’écrivain sur l’immigration turque en Belgique dont on commémore le cinquantième anniversaire. Appartenant à la deuxième génération, Gorgün aborde - pour la première fois dans son oeuvre de cinéaste et d’écrivain - un vécu qu’il nous restitue dans toute sa vérité et sa complexité. En filigrane, le portrait émouvant et sensible de son père et de sa famille emprisonnés dans la nostalgie et l’"exil immobile". On dit parfois que seule l’écriture littéraire dévoile vraiment la part de l’indicible : Gorgün en fait une bouleversante démonstration."
Edmond Morrel
J'HABITE UN PAYS FANTOME
De Kenan GörgünAvec Kenan Görgün et Othmane Moumen
DU 27/10/15 AU 31/10/15
Représentations du mardi au samedi à 20h30 - Petite Salle - Création
Durée : 1h20
Dans un dialogue universel, musical et poétique, un auteur et un acteur posent un regard sensible sur nos sociétés modernes et mêlées : ils mènent une réflexion éclairée sur nos racines, nos héritages, notre avenir… sur un pays fantôme dont il faut sans cesse redessiner la carte. A travers un désir commun d’ouvrir de nouveaux sentiers à l’avenir, les deux hommes nous offrent un moment précieux à vivre ensemble.
Dans le cadre des commémorations du cinquantenaire des immigrations turque et marocaine, toutes les représentations sont suivies de rencontres avec l'équipe artistique.
Un projet scénique de Kenan Görgün adapté de ses livres Anatolia Rhapsody (mars 2014) et Rebellion Park (octobre 2014) aux Editions Vents d’Ailleurs et J’habite un pays-fantôme (mai 2014) aux Editions Couleur Livres.
Coproduction : Théâtre de Liège, Centre dramatique de la Fédération Wallonie-Bruxelles - Centre européen de création théâtrale et chorégraphique et du Théâtre Le Public. Avec le soutien d'Europalia, de la commune de Saint-Josse-ten-Noode et de la COCOF.
Création au Centre culturel de Dison, le vendredi 9/10 à 20h, en collaboration avec Télévesdre qui en assurera la captation.
Mise en scène Daniel Simon
Assistanat François Bertrand
Stagiaire Pauline Daemen
Création lumière et direction technique Nathalie Borlée
Décors et accessoires Sandra Belloi et les ateliers du théâtre de Liège
Son David Thésias
Lumières Mathieu Ponte
Photos Fatma Yildiz