jeudi 2 mars 2017

Grande biographie: "Jorge Semprun, L'écriture et la vie"

Le titre original espagnol de la biographie que Soledad Fox consacre à l'auteur de "La guerre est finie" pourrait se traduire par "Aller-retour: la vie de Jorge Semprun". 

Cet aller-retour correspond aussi à la démarche dans laquelle la biographe inscrit son travail: "La forme de cette biographie et les questions qu'elle soulève n'ont pas été conçues a priori. Elle sont le résultat des documents que j'ai trouvé au fil des ans e de ma lecture des oeuvres de Semprun". Il reflète aussi le destin d'une personnalité inclassable tant Semprun a abordé avec intelligence, engagement, conviction les événements dont il fut tour à tour protagoniste, victime et témoin. 

Quant à sa biographe, tout en évoquant les liens de parenté lointaine qui lient sa famille et celle de l'écrivain, elle regrette de ne pas l'avoir davantage rencontré, n'osant l'appeler de peur de déranger l'intimité de celui qui était "une légende espagnole du XXème siècle, un archétype du talent créatif, de l'engagement politique, et une personnalité charismatique(...), devenu une vedette de l'intelligentsia parisienne, un intellectuel élégant aux manières aristocratiques, un héros et un survivant des camps(...)" Comme nous partageons ce regret même si s'agissant d'un homme aussi présent par le biais d'interviews, de conférences et d'articles, notre frustration est tempérée par l'accès aux ressources documentaires. ( A titre d'exemple, l'émission "Apostrophes" en 1980)

Le défi d'écrire une biographie d'un "génie polymorphe" confirme davantage encore dans le cas de Semprun l'impossibilité de tout connaître, de tout raconter. Soledad Fox cite à bon escient Régis debray qui disait à propos de l'ancien ministre espagnol de la Culture: "Aime-t-on Jorge Semprun pour ce qu'il a été ou pour ce qu'il a fait de ce qu'il fut?" 

Semprun "est aussi ce qu'il écrit" répond la biographe au terme d'un ouvrage qui se lit d'une traite, hormis ces instants où l'on se surprend à noter les références des livres que l'on se promet de lire, des films, dont Semprun fut le scénariste, dont on parle à la recherche des copies DVD, mais aussi des livres d'Histoire qui nous replongeront dans ces événements qui ont fait le XXème siècle et dont la mémoire doit, davantage aujourd'hui que jamais, être ravivée, ranimée, étudiée...

Parmi les essais, citons l'un ou l'autre livre qui renoue avec l'actualité : "Une tombe au creux des nuages" (histoire de l'Europe au XXème siècle) et "L'homme européen" (co-écrit avec Dominique de Villepin).
Parmi les romans, nous aimerions les citer tous et les placer dans la bibliothèque idéale à la suite de "L'écriture ou la vie" dont le titre de la biographie de Soledad Fox est la paraphrase. 

Entre le "ou" et le "et" résident le vertige et l'infini d'une vie.

Edmond Morrel, le 3 mars 2017 


La vie de Jorge Semprún reflète presque tous les épisodes de l’histoire de l’Europe au XXe siècle. Depuis sa naissance, en 1923, dans une famille de la grande bourgeoisie madrilène, en passant par le traumatisme de la Guerre civile et de l’exil, jusqu’au maquis et à la déportation au camp de Buchenwald, sans oublier l’aventure communiste, Jorge Semprún a tous les traits des "voyageurs déracinés" des grands intellectuels du siècle, selon l’expression de l’historien Tony Judt. Écrivain, scénariste, Jorge Semprún a construit une œuvre singulière – Le Grand Voyage, Quel beau dimanche, L’écriture ou la vie, Une tombe au creux des nuages –, qui traite de la mémoire, de l’essor des totalitarismes et du poids de l’Histoire sur les individus. Il est mort à Paris en 2011. Voici la première biographie d’un homme dont la vie ne ressemble à aucune autre.