samedi 4 mars 2017

" Le mauvais rôle" de Jean-Baptiste Baronian


 (Dans le cadre des activités de PEN Club Belgique, nous publions des articles consacrés à l'actualité littéraire des écrivains membres du centre belge francophone de PEN International. Edmond Morrel avait rencontré la plupart d'entre eux à l'occasion d'interviews radio qui sont renseignées en fin de rubrique et qui sont toujours accessibles à l'écoute et au podcast sur www.espace-livres.be 
(Jean Jauniaux, Président de PEN Club Belgique )

JB Baronian (© J. Jauniaux)
             


                La notoriété de Jean-Baptiste Baronian s'est établie au fil des années et de plus de soixante livres au double titre d'écrivain et de passionné de littérature. La passion de la littérature, il la transmet au gré des articles critiques (notamment dans "Le Magazine littéraire" où il se spécialisera dans les compte-rendus de romans policiers) , des communications qu'il donne à l'Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique (où il succéda, on ne peut plus logiquement, au siège de Thomas Owen), des essais (les trois biographies de Verlaine, Baudelaire et Rimbaud parus chez Gallimard dans la collection "Folio-Biographie" sont un sésame irremplaçable pour se familiariser avec les trois grands poètes du XIXè siècle), des dictionnaires (il a coordonné celui que la collection "Bouquins" consacre à Rimbaud et vient de signer un "Dictionnaire amoureux de la Belgique" chez Plon, qui fait le régal, notamment, des émigrés français installés à Uccle et Ixelles). 
         Il est aussi "le" spécialiste de l'oeuvre de Simenon à laquelle il se consacre à travers l'Association des Amis de Georges Simenon qu'il a créée et dont un des membres les plus éminents est John Simenon lui-même. 
           Mais Baronian n'est pas seulement un passeur de passion littéraire, il est aussi un acteur du livre depuis son entrée chez Marabout où il crée une collection de littérature fantastique, dont il est, aussi, un éminent spécialiste.
           Il est, enfin pourrait-on dire, écrivain. Auteur de nouvelles (il contribue régulièrement à la revue MARGINALES) et de romans. Le premier, "L'un l'autre" paraît  en 1972  aux Editions Morel (avec un seul R) et sera bientôt suivi d'une impressionnante bibliographie romanesque, dont il signe  parfois les livres d'un pseudonyme (Alexandre Lou). 
          S'inscrit-il ainsi dans la tradition simenonienne ou owenienne? Un chercheur, intrigué par l'usage de pseudonymes, devrait un jour étudier cette double piste...
               Jean-Baptiste Baronian est aussi membre du Conseil d'Administration de PEN Club Belgique.

           Jean-Baptiste Baronian vient de publier son dernier roman, "Le mauvais rôle" chez Genèse Editions. 
             Le fil narratif en deux lignes: un petit employé du ministère de la Culture ("un fonctionnaire sans importance et pour ainsi dire sans qualification") est confronté à  une spirale angoissante de harcèlements dont il est la cible, sans qu'il n'en connaisse les raisons. Convoqué chez son supérieur hiérarchique il est interrogé sur la disparition de son ancienne maîtresse, puis enlevé pour un interrogatoire sans queue ni tête...Au fil des chapitres Alex Stevens, le narrateur, perd pied. Ce qui semblait être une enquête de routine, devient une manipulation de plus en plus perverse et sophistiquée. Le roman se déroule à Bruxelles, une ville dont Baronian aime à explorer (il l'a fait dans de nombreux romans) les rues et les lieux, s'inscrivant parfois dans les pas de ses auteurs fétiches (Baudelaire, Verlaine et Rimbaud n'ont-ils pas hanté la capitale belge ?) 
       Le narrateur, et le lecteur à sa suite, sont entraînés dans un labyrinthe où au départ d'une investigation policière, ils franchissent des seuils successifs, avançant dans l'absurde, l'irréel, le fantastique. Le romancier module de chapitre en chapitre la manière de conter, utilisant au départ la palette stylistique du polar, du roman noir, puis, petit à petit, obscurcissant le trait, il nous plonge dans un univers kafkaïen où la mémoire se trouble, le réel s'estompe derrière les fausses apparences, la schizophrénie plantant petit à petit d'inquiétantes balises dans l'esprit perdu d'Alex Stevens en prise à ses tortionnaires, à son passé, à des actes qu'il a peut-être commis. Peut-être pas. Il se sent "damné par l'arc-en-ciel", des mots dont il se souvient soudain, provenant d'Une saison en enfer, "autrefois (son) livre de chevet"
         Rimbaud n'est jamais loin de la folie...ni Kafka, car il y a du désespoir kafkaïen  dans ce roman. Mais pas seulement. Baronian n'est pas un écrivain attendu, il connaît trop bien les lois du genre pour s'y contraindre. A la manière d'un David Lynch en cinéma, ou d'un Gogol en littérature, il ne résiste pas à la jubilation d'insérer des situations ou des personnages risibles. Ainsi lorsque le narrateur, craignant à juste titre des écoutes, demande à sa voisine de 80 ans,  Clémentine Vermeulen, d'utiliser son installation téléphonique, et évoque la mort tragicomique de feu son époux, M. Vermeulen, vendeur de matelas: "il avait attrapé une balle de golf sur la tempe, alors qu'il se promenait paisiblement à proximité d'un bunker dans les environs de Waterloo et il était mort sur le coup".
          Jubilation aussi de décrire les crises de rage - crises purement mentales - d'Alex Stevens qui rêve de fracasser ses interlocuteurs ou, lorsqu'il ne parvient à entrer dans les bâtiments du Ministère de la Culture, où il est pourtant employé même si personne ne le reconnaît, il assimile le bâtiment éclairé à un paquebot..."Et voilà que le paquebot se met en branle et glisse sur le canal. Il remonte les Anvers, vers l'Escaut, vers la mer du Nord, vers le Pacifique..."...
        Baronian nous entraîne au fil des pages dans un Bruxelles faussement familier (Molenbeek, Anderlecht, l'avenue Winston Churchill, le restaurant Cirio...), arpenté par un Alex Stevens qui s'y perd, et qui pourrait devenir un piéton de  Bruxelles, à l'instar d'un certain Bloom à Dublin, et de son comparse Stephen Dedalus. 
            Stephen? 
            Cela sonne comme Stevens...non ?

Edmond Morrel. Bruxelles, le 4 février 2017


Nous avons interviewé à différentes reprises Jean-Baptiste Baronian. Ces entretiens sont toujours disponibles à l'écoute et au podcast sur la webradio littéraire www.espace-livres.be
En voici les titres:
"Dans les miroirs de Rosalie" 
"Dictionnaire Rimbaud"
"On ne voit pas la nuit tomber"
"Jean Ray"
Association Les amis de Georges Simenon
Biographies de Rimbaud, Verlaine et Baudelaire
"Le bureau des risques et périls"
"L'enfer d'une saison" 
"Le dictionnaire amoureux de la Belgique"