mercredi 1 mars 2017

Serge Meurant en visite dans l'atelier d' Arié Mandelbaum


 (Dans le cadre des activités de PEN Club Belgique, nous publions des articles consacrés à l'actualité littéraire des écrivains membres du centre belge francophone de PEN International. Edmond Morrel avait rencontré la plupart d'entre eux à l'occasion d'interviews radio qui sont renseignées en fin de rubrique et qui sont toujours accessibles à l'écoute et au podcast sur www.espace-livres.be 
(Jean Jauniaux, Président de PEN Club Belgique )

Nous avons, à différentes reprises, évoqué les publications de Serge Meurant et les ouvrages publiés dans l'entrelacement de la littérature et de l'image par les Editions L'esperluète. A chaque nouvel ouvrage, une manière d'enchantement envahit le lecteur: celui suscité par le double exercice auquel il est chaque fois invité, lire et regarder. 
Ce double mouvement s'accompagne de bien d'autres qui sont autant de croisements et de métissages entre les images suscitées par le texte à sa lecture et celles offertes par l'image à leur contemplation. Le plus enrichissant de ces allers-retours est sans doute le paysage mental qu'ils font naître. 
Le texte, transformé par la lecture, en imaginaire multiple (on sait combien la poésie de Serge Meurant, pour ne citer que lui en cette occasion, est lumière et musique, contrastes et harmonies) et l'image, dont on essaie de formuler la sensation qu'elle irradie, se mêlent sans jamais se confondre, s'entrelacent sans s'annihiler. Aucun des deux composants ne supplante l'autre. Ils sont comme des miroirs face à face, créant un infini dont le spectateur est le visiteur infatigable. 


Le meilleur moyen d'évoquer le dernier livre de Serge Meurant serait-il d'adopter sa méthode et son titre: rendre visite au lieu de rendre compte? 
La chronologie nous viendra-t-elle en aide pour structurer ce que nous aimerions dire de ces visites que Serge Meurant a effectuées dans les ateliers d'Arié Mandelbaum en 1977, 1984-1989, 1995, 2011 et 2014? 
Peut-être sont-ce les photographies et leurs auteurs qui doivent nous servir de guides? 

Essayons. Philippe Vindal photographie l'atelier de la rue du Major René Dubreucq (1977) et l'édition nous donne des images où le noir prédomine, pour mieux rendre compte du blanc et de la lumière? Comme lorsqu'apparaît le visage de Mandelbaum orné encore de cheveux noirs en crinière. Comme lorsqu'un projecteur découpe des fragments de la photographie, ces lieux où le peintre fait face à la toile. L'image la plus représentative de ce contraste intense est sans doute la dernière: une théière en terre cuite est posée au centre de la photographie, sur un tas de charbon comme un terril miniature déposé aux pieds d'un poêle de fonte. A l'arrière plan, flous, un mur clair et des toiles posées contre lui, un escalier menant à la mansarde.

La photographie comme guide? 
Sans doute était-ce le bon choix pour cette année 1977: Serge Meurant évoque les oeuvres de Mandelbaum, réalisées à partir de photographies principalement d'inspiration politique, comme le portrait de Julien Lahaut, député communiste assassiné en août 1950.

Au cours d'une autre visite de 1977, le poète est "saisi" par le portrait que l'artiste réalise de sa  propre mère. Ici, le poète nous donne à ressentir, à travers sa perception du visage tel que le représente le peintre, le travail du peintre: "L'étonnement me saisit devant cette toile qui, me semble-t-il, a été mise à nu, dépouillée du masque d'absence, de l'effacement qui conférait à l'image de la mère ce voile insaisissable (...) qui défend l'intimité de la personne d'une représentation vécue comme un viol." 

De 1984 à 1989, choisissons plutôt un texte qui représente d'une certaine manière la démarche de Meurant à travers celle du cinéaste Boris Lehman dont il nous livre un fragment: "(Le cinéaste) a choisi de tracer le portrait du peintre endormi, tout à la fois livré et défendu dans son sommeil, protégeant so n visage d'une main souillée de peinture..." 

A nouveau, le visage et sa représentation intriguent le poète. Nous sommes ici dans l'atelier de la rue Rodenbach dont les photographies d'Elie Gross (1985) et de Marc Tripier (1984) explorent les espaces, vides de toute présence physique de l'artiste.

Il faudra attendre les visites de 2014, et les photographies de Bérengère Gimenez (2016) à l'atelier des Grands Carmes pour voir à nouveau l'artiste dont les cheveux blanchis éclairent le visage, à l'instar de la lumière qui envahit l'atelier, tombant d'une verrière d'où elle enveloppe l'artiste debout, face à une toile.

Meurant évoque ici les "espaces imaginaires" qu'inspire Kafka au peintre. Evocation du visage de Kafka , "ce portrait très connu de Kafka dont le regard semble nous scruter. Le visage est empreint d'une grande sévérité, d'une indéfinissable tristesse. (...) Presque un masque ce portrait, où le bas du visage est escamoté." Envahissement alterné du blanc et du noir...

Emmené dans une méditation nourrie, à partir du visage de Kafka, d'un poème de Giacometti ("Aucune figure humaine ne m'est aussi étrangère qu'un visage"), de lettres de Kafka, de commentaires de Walter Benjamin, de Levinas, philosophe du visage, et d'autres qu'une "attention flottante" éveille dans la mémoire du poète.

Livre de vagabondage sensible, "Visites à l'atelier du peintre Arié Mandelbaum", doit se lire au gré de cette "attention flottante" à laquelle le poète lui-même s'est laissé aller. Il faut alors fermer le livre, le laisser reposer dans les méandres de notre mémoire fugitive, le ré-ouvrir et au hasard d'une photographie ou d'une phrase, aller au-delà du visage, vers l'inconnu.

Edmond Morrel, le 1 mars 2017

Nous avions rencontré et interviewé Serge Meurant à différentes reprises. Ces entretiens sont toujours accessibles à l'écoute sur la webradio www.espace-livres.be  :

Evocation d'Elisabeth Ivanovsky et René Meurant à l'occasion de  la publication de "Conversation" d’Elisabeth Ivanovsky (avec Serge Meurant, Editions Tandem) et de la ré-édition de "Gages et autres poèmes" de René Meurant (Le Taillis Pré)


"L'orient des chemins" de Serge Meurant et Jacques Vilet




Esperluète est une maison d'édition placée sous le signe typographique de la rencontre. 
Ce & est un lien, entre écrivains et plasticiens, entre le livre et son lecteur. 
Les collections Littéraires font la part belle à l’écriture et à la fiction, alors que les collections Imagées donnent carte blanche à des artistes qui sortent des sentiers battus. 
Depuis plus de 20 ans, les éditions Esperluète ont développé des initiatives et des modes de diffusion originaux : expositions thématiques, rencontres littéraires, lectures musicales, soirée un repas-un livre, animations dans les bibliothèques, lieux culturels ou insolites…

"Visites à l'atelier du peintre Arié Mandelbaum" 
Serge Meurant textes • Arié Mandelbaum peintures et atelier 
Philippe Vindal, Elie Gross, Marc Trivier et Bérengère Gimenez photographies

"J’ai rassemblé  les textes que j’avais écrits sur le travail d’Arié Mandelbaum depuis 1977. Ces visites à l’atelier du peintre reconstituent chacune un décor, presque immuable, mais dont l’éclairage à chaque fois varie. Elles restituent une époque, les figures d’un théâtre, les peintures dans leur évolution. Paysages d’après la chute, portraits palimpsestes de la mère du peintre et de ses contemporains, ces textes témoignent des variations infinies  d’un travail dans la durée, de gestes de commencement et d’effacement.
Les photographies de Philippe Vindal, de Marc Trivier, d’Elie Gross et de Bérengère Gimenez en constituent les archives, dans la singularité des regards."  (Serge Meurant)                                                                          
Issu d’un long compagnonnage entre le peintre Arié Mandelbaum et l’écrivain Serge Meurant, ce livre fait état des visites de l’un dans l’atelier de l’autre. Ces visites, commencées dans les années ‘70, se poursuivent encore aujourd’hui, et les textes qui chaque fois en sont issus sont tout à la fois un constat à un moment donné, le reflet de cette relation et la perception sensible du travail en mouvement.