Le violon en état de grâce
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Dans l’actuelle génération de
jeunes violonistes de talent, Arabella Steinbacher s’est taillée une place de
choix. Née en 1981 d’un père allemand, pianiste, et d’une mère japonaise,
chanteuse, elle s’illustra dès l’âge de 19 ans au Concours de violon Joseph
Joachim de Hanovre. Elle a étudié à Munich avec Anna Chumachenko, avant de se
perfectionner auprès d’Ivry Gitlis. Depuis lors, elle ne cesse de s’imposer sur
les scènes internationales ; on l’a retrouvée à Londres, Dresde, Boston ou
Chicago, accompagnée par des chefs prestigieux comme Colin Davis ou
Charles Dutoit. Elle a déjà à son actif une discographie qui ne cesse de
s’étoffer et se produit aussi en musique de chambre. Le label Pentatone vient
de lui offrir l’occasion d’enregistrer un répertoire peu fréquenté, celui du
concerto pour violon et orchestre de Richard Strauss (PTC 5186 653). Il s’agit
de l’opus 8 du compositeur de Don Juan,
une partition de jeunesse d’une trentaine de minutes en trois mouvements, que
son auteur renia par la suite. Cela avait toutefois démarré sous les meilleurs
auspices puisque, composé en 1881-1882 (Richard Strauss avait 17 ans !),
le concerto fut créé dans une transcription violon/piano à Vienne en décembre
1882 par le dédicataire Bruno Walter, Strauss assurant la partie de piano. La
première avec orchestre eut lieu à Leipzig en 1889. Arabella Steinbacher, toute
en grâce, subtilité et distinction, sert à merveille cette œuvre souvent
négligée et dont la discographie est peu fournie. On épinglera la version d’Ulf
Hoelscher, accompagné par la Staatskapelle de Dresde sous la direction de
Rudolf Kempe en 1975, mais il faut la chercher dans un gros coffret EMI. Le
style romantique de la partition, qui évoque Bruch, Mendelssohn et Brahms sans
parvenir à leur niveau d’inspiration, alterne des moments solennels avec des
instants intimistes ; on perçoit le futur génial orchestrateur, mais le
métier est en gestation. Saluons donc la prestation de la soliste qui réussit à
élever le niveau par la séduction et la finesse de son jeu, servi par son
Stradivarius, le Booth de 1716 prêté par la Nippon Music Foundation.
Délicatesse et distinction sont aussi les caractéristiques des compléments de
programme, des miniatures du même Richard Strauss. Elles proposent des
transcriptions de lieder, qui datent pour la plupart d’avant 1900, mais aussi
de l’opéra Arabella de 1933, dont
l’extrait donne son titre au CD : « Aber der Richtige… ». Cette
allusion au prénom de la soliste indique bien que cette musique est
« faite pour elle ».
L’orchestre symphonique de la WDR, sous la baguette de Lawrence Foster,
offre à Arabella Steinbacher l’écrin requis pour sa musicalité et le charme qui
se dégage de son archet.
La violoniste norvégienne
Eldbjorg Hemsing, née en 1990, tient elle aussi une place de choix dans le
contexte international, même si elle n’a pas encore atteint la notoriété
d’Arabella Steinbacher. Invitée régulière de festivals internationaux, elle
joue sur un Guadagnini de 1754, prêt de Dextra Music Foundation. La firme Bis
(BIS-2246) lui offre l’opportunité d’un programme tchèque dans lequel sa
virtuosité peut se déployer avec aisance. Le célèbre concerto de Dvorak, qui
date de l’été 1879, est un classique du répertoire. La concurrence
discographique est grande, d’Oïstrakh à Perlman et à beaucoup d’autres. Hemsing
fait chanter le lyrisme et l’exubérance des mélodies, en se jouant des pièges
introduits par le compositeur en termes d’expressivité, de rythmes de danses et
d’arabesques. Mais c’est dans le complément de programme moins joué que la
soliste convainc vraiment. La Fantaisie
pour violon et orchestre en un mouvement de Josef Suk, le gendre de Dvorak,
date de 1902. Un peu moins de vingt-cinq minutes de plénitude sonore, d’un
romantisme mesuré, au cours desquelles la filiation avec le beau-père coule de
source. Suk nous entraîne dans un univers où le lyrisme bénéficie du charme des
mélodies et de la solidité d’une indiscutable inspiration ; ce morceau
mériterait une plus large audience dans les programmes de concert. Eldbjorg
Hemsing sert cette arche à la fois brillante et nostalgique d’un geste ample et
noble. La transcription de six pièces pour piano de Suk, effectuée par Stephan
Loncz, violoncelliste du Philharmonique de Berlin, ajoute à ce beau CD une note
harmonieuse, sous le titre de Liebeslied,
qu’il est inutile de traduire. Attardons-nous encore sur la performance de
l’Antwerp Symphony Orchestra, qui s’appelait autrefois Philharmonie royale des
Flandres, et dont la qualité des pupitres est à saluer. Il est placé ici sous
la direction du chef principal de la maison d’opéra d’Astana au Kazakhstan,
Alan Buribayev, né en 1979, qui fut lauréat du Concours de direction Lovro von
Matacic à Zagreb. Par sa précision et son sens du dosage des timbres, il permet
à la phalange anversoise et à la soliste de signer un CD bien attrayant.
Jean Lacroix