vendredi 23 novembre 2018

Arabella Steinbacher & Eldbjorg Hemsing: le violon en état de grâce

Le violon en état de grâce

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Dans l’actuelle génération de jeunes violonistes de talent, Arabella Steinbacher s’est taillée une place de choix. Née en 1981 d’un père allemand, pianiste, et d’une mère japonaise, chanteuse, elle s’illustra dès l’âge de 19 ans au Concours de violon Joseph Joachim de Hanovre. Elle a étudié à Munich avec Anna Chumachenko, avant de se perfectionner auprès d’Ivry Gitlis. Depuis lors, elle ne cesse de s’imposer sur les scènes internationales ; on l’a retrouvée à Londres, Dresde, Boston ou Chicago, accompagnée par des chefs prestigieux comme Colin Davis ou Charles Dutoit. Elle a déjà à son actif une discographie qui ne cesse de s’étoffer et se produit aussi en musique de chambre. Le label Pentatone vient de lui offrir l’occasion d’enregistrer un répertoire peu fréquenté, celui du concerto pour violon et orchestre de Richard Strauss (PTC 5186 653). Il s’agit de l’opus 8 du compositeur de Don Juan, une partition de jeunesse d’une trentaine de minutes en trois mouvements, que son auteur renia par la suite. Cela avait toutefois démarré sous les meilleurs auspices puisque, composé en 1881-1882 (Richard Strauss avait 17 ans !), le concerto fut créé dans une transcription violon/piano à Vienne en décembre 1882 par le dédicataire Bruno Walter, Strauss assurant la partie de piano. La première avec orchestre eut lieu à Leipzig en 1889. Arabella Steinbacher, toute en grâce, subtilité et distinction, sert à merveille cette œuvre souvent négligée et dont la discographie est peu fournie. On épinglera la version d’Ulf Hoelscher, accompagné par la Staatskapelle de Dresde sous la direction de Rudolf Kempe en 1975, mais il faut la chercher dans un gros coffret EMI. Le style romantique de la partition, qui évoque Bruch, Mendelssohn et Brahms sans parvenir à leur niveau d’inspiration, alterne des moments solennels avec des instants intimistes ; on perçoit le futur génial orchestrateur, mais le métier est en gestation. Saluons donc la prestation de la soliste qui réussit à élever le niveau par la séduction et la finesse de son jeu, servi par son Stradivarius, le Booth de 1716 prêté par la Nippon Music Foundation. Délicatesse et distinction sont aussi les caractéristiques des compléments de programme, des miniatures du même Richard Strauss. Elles proposent des transcriptions de lieder, qui datent pour la plupart d’avant 1900, mais aussi de l’opéra Arabella de 1933, dont l’extrait donne son titre au CD : « Aber der Richtige… ». Cette allusion au prénom de la soliste indique bien que cette musique est « faite pour elle ».  L’orchestre symphonique de la WDR, sous la baguette de Lawrence Foster, offre à Arabella Steinbacher l’écrin requis pour sa musicalité et le charme qui se dégage de son archet.

La violoniste norvégienne Eldbjorg Hemsing, née en 1990, tient elle aussi une place de choix dans le contexte international, même si elle n’a pas encore atteint la notoriété d’Arabella Steinbacher. Invitée régulière de festivals internationaux, elle joue sur un Guadagnini de 1754, prêt de Dextra Music Foundation. La firme Bis (BIS-2246) lui offre l’opportunité d’un programme tchèque dans lequel sa virtuosité peut se déployer avec aisance. Le célèbre concerto de Dvorak, qui date de l’été 1879, est un classique du répertoire. La concurrence discographique est grande, d’Oïstrakh à Perlman et à beaucoup d’autres. Hemsing fait chanter le lyrisme et l’exubérance des mélodies, en se jouant des pièges introduits par le compositeur en termes d’expressivité, de rythmes de danses et d’arabesques. Mais c’est dans le complément de programme moins joué que la soliste convainc vraiment. La Fantaisie pour violon et orchestre en un mouvement de Josef Suk, le gendre de Dvorak, date de 1902. Un peu moins de vingt-cinq minutes de plénitude sonore, d’un romantisme mesuré, au cours desquelles la filiation avec le beau-père coule de source. Suk nous entraîne dans un univers où le lyrisme bénéficie du charme des mélodies et de la solidité d’une indiscutable inspiration ; ce morceau mériterait une plus large audience dans les programmes de concert. Eldbjorg Hemsing sert cette arche à la fois brillante et nostalgique d’un geste ample et noble. La transcription de six pièces pour piano de Suk, effectuée par Stephan Loncz, violoncelliste du Philharmonique de Berlin, ajoute à ce beau CD une note harmonieuse, sous le titre de Liebeslied, qu’il est inutile de traduire. Attardons-nous encore sur la performance de l’Antwerp Symphony Orchestra, qui s’appelait autrefois Philharmonie royale des Flandres, et dont la qualité des pupitres est à saluer. Il est placé ici sous la direction du chef principal de la maison d’opéra d’Astana au Kazakhstan, Alan Buribayev, né en 1979, qui fut lauréat du Concours de direction Lovro von Matacic à Zagreb. Par sa précision et son sens du dosage des timbres, il permet à la phalange anversoise et à la soliste de signer un CD bien attrayant. 


Jean Lacroix