Philippe Herreweghe et l’héritage de Luther dans trois cantates de Bach
SONN UND SCHILD CANTATAS - Cantatas BWV 4 - 79 - 80 |
Depuis qu’avec son Collegium
Vocale Gent Herreweghe propose des versions de cantates de Bach sous son propre
label PHI, on est à chaque fois séduit par une pochette de présentation qui
représente un aspect végétal. Dans le cas du présent CD (LPH 030), qui réunit
trois cantates inspirées de Martin Luther, une délicate feuille de châtaignier
donne à l’album un côté automnal. C’est plastiquement bienvenu et, en fin de
compte, correspond tout à fait à l’état d’esprit qui anime les interprétations
de Herreweghe, passé maître dans l’art de la mesure et la retenue. Ce que
d’aucuns lui reprochent parfois (nous avouons en être). Trois cantates donc,
représentatives des années 1724-1725. C’est la n° 80 qui ouvre le bal, si l’on
ose dire ; son titre, Ein feste Burg
ist unser Gott, précise que « notre Dieu est une solide
forteresse ». Destinée à la fête de la Réforme, fixée au 31 octobre, elle
remonte à l’époque où le Cantor travaillait à Weimar et est basée, pour quatre
strophes, sur un choral éponyme de Luther, et pour les autres, sur un texte
d’un contemporain inspiré par un passage de l’Evangile selon Saint-Luc.
L’effectif ne comprend que des cordes et des hautbois, quatre solistes et un
chœur à quatre voix. A noter que la version avec trompettes, souvent programmée
de nos jours, est une révision due à Wilhelm Friedemann Bach dix ans après la
mort du père.
La cantate n° 79, Gott der Herr ist Sonn und Schild (« Dieu est soleil et bouclier »),
clôture le disque. Elle aussi a été écrite pour la fête de la Réforme, celle du
31 octobre 1725 et, quoique destinée à un univers liturgique comme celle qui la
suit dans la numérotation, elle a un caractère plus festif. En six mouvements
qui débutent par un prélude instrumental, bien agrémenté par les cors, elle se
déploie dans un univers sonore éclatant, dans lequel les hautbois, les timbales
et les cordes offrent un écrin somptueux aux solistes et aux chœurs.
Entre ces deux partitions, on
peut admirer une des cantates les plus célèbres de Bach, la n° 4, Christ lag in Todesbanden (« Le
Christ reposait dans les liens de la mort »). On pourrait s’étonner de la
retrouver là, car elle date de 1707-1708, mais Herreweghe la propose dans la
version révisée de 1725, qui ajoute trombones et cornets aux cordes initiales
et à la basse continue, mais aussi aux quatre solistes et aux chœurs. Les sept
mouvements qui suivent la sinfonia d’ouverture suivent scrupuleusement le poème
d’un cantique du XIe siècle adapté par Luther. L’hommage à ce dernier se révèle
en fin de compte significatif et cohérent en termes de moment d’écriture.
L’ordre des cantates dans
l’enregistrement crée une continuité d’esprit et de logique interne, mais on se
surprend parfois à éprouver l’envie d’un élan global plus vigoureux et d’un
geste plus appuyé du chef. On retrouve encore une fois la mesure et la retenue,
pour ne pas dire la pudeur, avec laquelle Herreweghe aborde son sujet. Nous
sommes loin de la fougue et de la théâtralité d’un Gardiner. Mais la conception
se défend, d’abord parce que le côté plastique est préservé, mais sans doute
aussi parce que, chez Herreweghe, la ferveur domine, ce qui est infiniment
respectable. Comme toujours, le Collegium Vocale Gent suit son meneur comme un
seul homme. Les solistes sont des habitués. On retrouve le métier de la basse
Peter Kooij (quarante ans de collaboration avec Herreweghe !), la finesse
de la soprano Dorothee Mields, la solidité du ténor Thomas Hobbs et la
fragilité du contreténor Alex Potter. Il est évident que les minimes réserves
que l’on pourrait opposer à ce CD de haut niveau ne sont que des broutilles par
rapport à la qualité du produit. Le reste est pure question de goût personnel.
Jean Lacroix