Le label Pavane fête ses 40 ans avec une nouvelle
collection
Il n’y a pas que la firme Dynamic
qui fête ses quarante ans d’existence ; c’est le cas aussi du label
Pavane, fondé en 1978 par Antoine de Wouters d’Oplinter. Après son décès, son
fils a repris le flambeau de cette maison belge, que tout mélomane digne de ce
nom connaît, puisque Bertrand de Wouters d’Oplinter est aussi l’un des rares
disquaires de métier qui honorent encore la profession. Fréquenter « La
Boîte à musique », située au Coudenberg, tout près du Palais des
Beaux-Arts de Bruxelles, est un passage obligé. Le copieux catalogue de la
maison Pavane s’était enrichi il y a quelques années d’une section
« Musica Ficta » consacrée à la musique ancienne. Aujourd’hui, ce
dynamique label quadragénaire inaugure une collection, « Pavane
Anthologia », avec une série de rééditions consacrées à quatre pianistes
qui ont pour point commun d’avoir participé au Concours Reine Elisabeth et de
figurer comme lauréats à son palmarès. A l’abri de pochettes d’une élégante
sobriété, on trouve des enregistrements de Youri Egorov, Cyprien Katsaris,
Alexander Melnikov et Evgueny Moguilevsky. Une brochette de grands talents à un
prix démocratique !
Né en 1951, Cyprien Katsaris fut
lauréat du Concours Reine Elisabeth en 1972. On connaît le fil de sa brillante
carrière. C’est à Gand en 1974, sur un piano Steinway, que furent gravées les
six Sonatines viennoises de Mozart
(ADW 4002) dont la genèse est décrite dans une notice qui accompagne ce CD et à
laquelle nous renvoyons le lecteur. Ces œuvres ne portent pas de numéros du
catalogue Köchel, il s’agit en réalité d’arrangements de Divertimenti qui ne
furent publiés qu’en 1805, après la mort de Mozart, et connurent quelques péripéties
éditoriales ultérieures. Ce disque de 1974 était une première mondiale. Ces
pièces à l’écoute agréable ne figurent sans doute pas au nombre des
chefs-d’œuvre mozartiens, mais Katsaris parvient à en faire miroiter le charme
et la subtilité.
Evgueny Moguilewsky, né en 1945,
remporta le Concours Reine Elisabeth en 1968, après avoir joué en finale le
Concerto n° 3 de Rachmaninov. A Moscou, ses professeurs furent Heinrich Neuhaus
puis Iakov Zak. Après s’être produit en soliste, notamment avec Svetlanov lors
d’une tournée européenne, il fut interdit de sortie d’URSS à partir de 1980 par
les autorités communistes, et ce pendant plusieurs années. Après la chute du
mur de Berlin, on le retrouva dès 1992 dans notre pays, où il devint professeur
au Conservatoire de Bruxelles. C’est son Chopin (ADW 4003), enregistré au
Studio Flagey en 1991, que Pavane propose dans un copieux programme : la
Polonaise-fantaisie op. 61, la Berceuse op. 57, les Mazurkas op. 17 n° 4 et op.
68 n° 2, le Scherzo n° 3 op. 39, et l’intégrale
des Préludes op. 28. Au-delà de la grande maîtrise technique, on est séduit par
la capacité expressive et la profondeur de sentiment de Moguilewsky, ainsi que
par une juste compréhension de la complexité de ces pièces, intimistes ou
tourmentées, qui respirent sous ses doigts avec la magie d’un toucher dépouillé
de toute emphase.
Alexander Melnikov fut un proche
de Sviatoslav Richter qui appréciait son jeu et l’invita à plusieurs reprises
en concert à Moscou ou à la grange de Meslay. Il fut lauréat du Concours Reine
Elisabeth en 1991 ; né en 1973, il était âgé d’à peine dix-huit ans.
Familier de nombreux festivals internationaux, salué par la critique
internationale, il a signé quelques beaux enregistrements, en grande partie
sous le label Harmonia Mundi (les 24 Préludes
et Fugues de Chostakovitch, une
merveille !). C’est aussi un excellent chambriste : une intégrale des
sonates de Beethoven avec Isabelle Faust en témoigne. Pour Pavane, dans la
foulée de son prix au Concours Reine Elisabeth, Melnikov enregistra trois
sonates, à la Salle Delvaux de l’Université de Bruxelles, sur un piano Fazioli
(ADW 4004). Au programme, Mozart et sa Sonate K. 457, œuvre de solitude et de
passion, dédiée à une élève et composée à la fin de 1784, qui contraste avec le
lumineux Concerto n° 18 K. 456 écrit quelques jours auparavant ; le pianiste fait bien sentir que cette
partition annonce déjà les élans beethoveniens. Elle est suivie par la Sonate
n° 13 D. 664 de Schubert, dont Melnikov traduit tout le dépouillement et la
gravité avec une sonorité pleine. Quant à la Sonate n° 3 de Chopin, c’est un
bouquet final au cours duquel la beauté plastique le dispute à la tenue
stylistique. Le futur grand interprète s’y affirme déjà avec éloquence.
Mais c’est avant tout le CD consacré
à Youri Egorov, trop tôt disparu (1954-1988) que l’on privilégiera, pour le
poids de regrets qu’il fait peser sur nous. Cet admirable pianiste fut
troisième du Concours Reine Elisabeth en 1975. L’année suivante, il demandait
l’asile politique en Italie avant de s’établir à Amsterdam. Sa carrière se
développa très vite et il donna des concerts en Europe, aux USA et jusqu’à
Hong-Kong. Entre autres choix, il avait une prédilection pour Bach, même si son
répertoire des partitions du Cantor fut en fin de compte assez limité. La
notice jointe précise qu’il ne jouait que la Partita n° 6 et la Fantaisie
chromatique, ainsi que les œuvres proposées aujourd’hui. Le présent CD (ADW
4001) reprend à l’identique un enregistrement fait en studio en 1975 et même
s’il ne dure que 37 minutes, il est à thésauriser sans hésitation. Il contient
trois extraits du premier Livre du Clavier
bien tempéré, les préludes et fugues n° 5, 13 et 24 BWV 850, 857 et 869,
ainsi que le Concerto italien BWV
971. Dès le début, on est saisi par la souplesse du jeu, la poésie et la
couleur qui s’en dégagent, la pudeur et la retenue, ainsi que par le traitement
de l’équilibre et de la mesure. Egorov montre un absolu respect pour ces pièces
qui nous font regretter le vide que cette disparition prématurée a laissé, en
particulier pour Bach qu’il aurait sans doute servi de manière plus étoffée.
Jean Lacroix
Jean Lacroix
Pour avoir accès aux liens vers les cd:
ADW4004 :
https://www.laboiteamusique.eu/mozart-schubert-chopin-three-sonatas-alexander-melnikov-p-141971.html