mardi 11 décembre 2018

Pavane: 40 ans et une nouvelle collection...


Le label Pavane fête ses 40 ans avec une nouvelle collection


Il n’y a pas que la firme Dynamic qui fête ses quarante ans d’existence ; c’est le cas aussi du label Pavane, fondé en 1978 par Antoine de Wouters d’Oplinter. Après son décès, son fils a repris le flambeau de cette maison belge, que tout mélomane digne de ce nom connaît, puisque Bertrand de Wouters d’Oplinter est aussi l’un des rares disquaires de métier qui honorent encore la profession. Fréquenter « La Boîte à musique », située au Coudenberg, tout près du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, est un passage obligé. Le copieux catalogue de la maison Pavane s’était enrichi il y a quelques années d’une section « Musica Ficta » consacrée à la musique ancienne. Aujourd’hui, ce dynamique label quadragénaire inaugure une collection, « Pavane Anthologia », avec une série de rééditions consacrées à quatre pianistes qui ont pour point commun d’avoir participé au Concours Reine Elisabeth et de figurer comme lauréats à son palmarès. A l’abri de pochettes d’une élégante sobriété, on trouve des enregistrements de Youri Egorov, Cyprien Katsaris, Alexander Melnikov et Evgueny Moguilevsky. Une brochette de grands talents à un prix démocratique !
 
Né en 1951, Cyprien Katsaris fut lauréat du Concours Reine Elisabeth en 1972. On connaît le fil de sa brillante carrière. C’est à Gand en 1974, sur un piano Steinway, que furent gravées les six Sonatines viennoises de Mozart (ADW 4002) dont la genèse est décrite dans une notice qui accompagne ce CD et à laquelle nous renvoyons le lecteur. Ces œuvres ne portent pas de numéros du catalogue Köchel, il s’agit en réalité d’arrangements de Divertimenti qui ne furent publiés qu’en 1805, après la mort de Mozart, et connurent quelques péripéties éditoriales ultérieures. Ce disque de 1974 était une première mondiale. Ces pièces à l’écoute agréable ne figurent sans doute pas au nombre des chefs-d’œuvre mozartiens, mais Katsaris parvient à en faire miroiter le charme et la subtilité.
 
Evgueny Moguilewsky, né en 1945, remporta le Concours Reine Elisabeth en 1968, après avoir joué en finale le Concerto n° 3 de Rachmaninov. A Moscou, ses professeurs furent Heinrich Neuhaus puis Iakov Zak. Après s’être produit en soliste, notamment avec Svetlanov lors d’une tournée européenne, il fut interdit de sortie d’URSS à partir de 1980 par les autorités communistes, et ce pendant plusieurs années. Après la chute du mur de Berlin, on le retrouva dès 1992 dans notre pays, où il devint professeur au Conservatoire de Bruxelles. C’est son Chopin (ADW 4003), enregistré au Studio Flagey en 1991, que Pavane propose dans un copieux programme : la Polonaise-fantaisie op. 61, la Berceuse op. 57, les Mazurkas op. 17 n° 4 et op. 68 n° 2, le Scherzo  n° 3 op. 39, et l’intégrale des Préludes op. 28. Au-delà de la grande maîtrise technique, on est séduit par la capacité expressive et la profondeur de sentiment de Moguilewsky, ainsi que par une juste compréhension de la complexité de ces pièces, intimistes ou tourmentées, qui respirent sous ses doigts avec la magie d’un toucher dépouillé de toute emphase.

Alexander Melnikov fut un proche de Sviatoslav Richter qui appréciait son jeu et l’invita à plusieurs reprises en concert à Moscou ou à la grange de Meslay. Il fut lauréat du Concours Reine Elisabeth en 1991 ; né en 1973, il était âgé d’à peine dix-huit ans. Familier de nombreux festivals internationaux, salué par la critique internationale, il a signé quelques beaux enregistrements, en grande partie sous le label Harmonia Mundi (les 24 Préludes et Fugues de Chostakovitch, une merveille !). C’est aussi un excellent chambriste : une intégrale des sonates de Beethoven avec Isabelle Faust en témoigne. Pour Pavane, dans la foulée de son prix au Concours Reine Elisabeth, Melnikov enregistra trois sonates, à la Salle Delvaux de l’Université de Bruxelles, sur un piano Fazioli (ADW 4004). Au programme, Mozart et sa Sonate K. 457, œuvre de solitude et de passion, dédiée à une élève et composée à la fin de 1784, qui contraste avec le lumineux Concerto n° 18 K. 456 écrit quelques jours auparavant ;  le pianiste fait bien sentir que cette partition annonce déjà les élans beethoveniens. Elle est suivie par la Sonate n° 13 D. 664 de Schubert, dont Melnikov traduit tout le dépouillement et la gravité avec une sonorité pleine. Quant à la Sonate n° 3 de Chopin, c’est un bouquet final au cours duquel la beauté plastique le dispute à la tenue stylistique. Le futur grand interprète s’y affirme déjà avec éloquence.
 
Mais c’est avant tout le CD consacré à Youri Egorov, trop tôt disparu (1954-1988) que l’on privilégiera, pour le poids de regrets qu’il fait peser sur nous. Cet admirable pianiste fut troisième du Concours Reine Elisabeth en 1975. L’année suivante, il demandait l’asile politique en Italie avant de s’établir à Amsterdam. Sa carrière se développa très vite et il donna des concerts en Europe, aux USA et jusqu’à Hong-Kong. Entre autres choix, il avait une prédilection pour Bach, même si son répertoire des partitions du Cantor fut en fin de compte assez limité. La notice jointe précise qu’il ne jouait que la Partita n° 6 et la Fantaisie chromatique, ainsi que les œuvres proposées aujourd’hui. Le présent CD (ADW 4001) reprend à l’identique un enregistrement fait en studio en 1975 et même s’il ne dure que 37 minutes, il est à thésauriser sans hésitation. Il contient trois extraits du premier Livre du Clavier bien tempéré, les préludes et fugues n° 5, 13 et 24 BWV 850, 857 et 869, ainsi que le Concerto italien BWV 971. Dès le début, on est saisi par la souplesse du jeu, la poésie et la couleur qui s’en dégagent, la pudeur et la retenue, ainsi que par le traitement de l’équilibre et de la mesure. Egorov montre un absolu respect pour ces pièces qui nous font regretter le vide que cette disparition prématurée a laissé, en particulier pour Bach qu’il aurait sans doute servi de manière plus étoffée.

Jean Lacroix

Pour avoir accès aux liens vers les cd: