Un somptueux
coffret de 16 CD pour célébrer les vingt ans du Café Zimmermann
Lorsque Jean Lacroix évoque l’ensemble de musique baroque Café
Zimmermann, il trouve les formulations à la fois justes, précises et instruites,
mais aussi lyriques et enthousiastes qui
nous transmettent l’envie et la curiosité de le suivre à l’écoute du coffret de
16 CD qui ponctue vingt années d’existence de cet ensemble qui a choisi un nom
particulièrement évocateur. Il s’agit en effet de l’enseigne de l’établissement
créé au XVIIIème siècle à Leipzig par Gottfried Zimmermann, où se réunissaient amateurs
de café et de musique venus écouter le Collegium Musicum, dirigé notamment par Johann
Sebastian Bach. Ce chapeau éditorial nous permet de saluer les contributions de
Jean Lacroix à ces LIVRaisons auxquelles il appalique avec ferveur la phrase de
Nietzsche, qu’il a fait sienne : "Sans la musique, la vie serait une
erreur". Et que nous faisons nôtre... Jean Jauniaux
Le lien vers le coffret Café Zimmermann |
Un somptueux
coffret de 16 CD pour célébrer les vingt ans du Café Zimmermann
Faisons un rêve : nous sommes un vendredi des années
1730 dans la cité prospère de Leipzig. Comme chaque semaine, le Collegium Musicum
y donne un concert au « Café Zimmermann », l’élégant établissement de
l’importateur de café dont l’enseigne porte le nom, situé dans la
Catherinenstrasse, l’artère commerçante principale, et nous allons y
assister ! Certes, ce sera par le biais de disques puisque l’établissement
a été détruit par les bombes alliées en décembre 1943 ; mais avec un tant
soit peu d’imagination, on peut recréer
l’ambiance de ces soirées musicales, fondées par Telemann en 1702 lors
des ses études dans la ville qui verra naître Wagner au siècle suivant. Au
début, c’était la réunion de jeunes musiciens en formation et de professionnels
débutants, mais peu à peu, l’ensemble s’est étoffé, il a convaincu par la
qualité de ses instrumentistes et la découverte des nouveautés musicales du
temps, mais aussi par le décor cossu et confortable et les boissons de qualité.
Bonne société, intellectuels et gens de lettres s’y côtoient avec plaisir.
C’est la naissance des concerts publics ; ils vont bientôt se développer
dans d’autres villes allemandes, puis européennes.
Si elle avait pu se concrétiser, notre soirée n’aurait
pas été banale : depuis 1729, c’est le maître Jean-Sébastien Bach qui a
pris la direction du Collegium Musicum. Il va diriger cet ensemble instrumental
et vocal pendant une dizaine d’années, choisir lui-même les artistes et les
programmes (qui ne nous sont connus que par des gazettes du temps), s’occuper
avec soin des répétitions et veiller à ce que la qualité, grandissante, soit
toujours au rendez-vous. Il s’occupera même des aspects administratifs et
financiers ! Chaque concert est une aubaine : on peut y découvrir les
partitions orchestrales et instrumentales du Cantor ou ses cantates profanes
(« la Cantate du Café », bien sûr), mais aussi de bien d’autres
compositeurs, notamment italiens. Avec un peu de chance, on peut même entendre,
parmi les invités du jour, sa seconde épouse, la cantatrice Anna-Magdalena, ou
l’un de ses fils si doués.
Le nom de cet établissement renommé en son temps ne
serait plus qu’un souvenir nostalgique si un ensemble baroque français, sous
l’impulsion du violoniste Pablo Valetti et de la claveciniste Céline Frisch,
n’avait décidé en 1998 de le ressusciter. Un ensemble qui s’est constitué non
pas à Leipzig, mais à Bâle, où plusieurs membres du futur groupe étudient dans
les années 1990. Une approche collégiale de la musique baroque, la volonté de
construire un langage qui puise aux sources des partitions, des musiciens issus
de cultures variées, mais unis par la même passion et un travail acharné, puis
la rencontre avec Jean-Paul Combet, le fondateur du label Alpha, tout converge
vers la parution d’un premier disque, dont la vente est un grand succès. Dès
lors, les enregistrements se succèdent. Aujourd’hui, un coffret de 16 CD (Alpha
434) regroupe les moments forts d’un parcours déjà long de vingt ans qui n’est
pas près de s’arrêter (comme en témoigne notre article récent sur la sortie des
concertos de l’opus 7 de Geminiani, non inclus dans cette somme).
A tout seigneur, tout honneur, c’est Jean-Sébastien Bach
qui est l’objet des six premiers CD, placés sous le titre général de
« concerts avec plusieurs instruments ». Afin de varier les plaisirs,
dans chaque production, le Café Zimmermann propose une alternance de suites, de
concertos brandebourgeois, de concertos pour clavecin, violon, flûte ou
hautbois d’amour, afin de permettre un éventail des sonorités et un voyage
diversifié à travers l’univers de Bach. Le jeu de l’ensemble sera salué à
chaque fois par une critique enthousiaste. Les volumes IV, V et VI
bénéficieront du label « Diapason d’or » qui couronnent chaque mois
les meilleurs enregistrements ; le volume VI sera même revêtu du titre de
« Diapason d’or de l’année 2011 ». C’est dire le niveau d’excellence.
Le Café Zimmermann se caractérise par une virtuosité complice et sans complexe,
un esprit d’urgence, un investissement et un perfectionnisme dans le geste
collégial, un art supérieur du mouvement, une énergie de chaque instant
convertie en tempi endiablés. Mais aussi, quand la partition le réclame, par
une délicatesse, une douceur ou une fluidité, traduites par un esprit de
finesse qui se renouvelle aussi bien dans la flamboyance que dans la pulsation
ou la gestion des contrastes. Un Bach auquel on adhère sans hésiter, tant il
nous transporte d’allégresse. On ne peut détailler chaque CD, tant il y a
foison. On trouve trois autres disques dédiés à Bach : les Variations
Goldberg, de la claveciniste Céline Frisch, au trait acéré, puis les séduisants
14 Canons sur les premières notes de basse de l’aria des mêmes Variations. On y
ajoute deux splendides cantates laïques, les BWV 30a et BWV 207, qui sont
destinées à des circonstances festives ou solennelles ; on a le plaisir
d’y retrouver Gustav Leonhardt à la direction de l’ensemble, auquel se sont joints
les Chantres du Centre de Musique baroque de Versailles. Mais il y a d’autres merveilles : deux
CD sont voués à Carl Philip Emanuel Bach, dans un choix de pièces virevoltantes
au cours desquelles les violons, les violoncelles ou les altos nous rappellent
combien le fils du Cantor était lui aussi un très remarquable compositeur.
Cet univers Bach est complété par l’ouverture du Café
Zimmermann à d’autres trésors baroques : le vif argent de Vivaldi et de
son second livre de l’Estro Armonico, puis un programme décoiffant de l’Anglais
Charles Avison qui transcrivit des sonates de Scarlatti dans la perspective
orchestrale du concerto grosso ; elles sont servies avec une effervescence
qui force l’admiration. Les Français ne sont pas oubliés non plus : Céline
Frisch déploie toute sa finesse et sa fantaisie dans des suites pour clavecin
ou des fugues pour orgue de d’Anglebert. Le Café Zimmermann se lance ensuite
dans des extraits d’œuvres chatoyantes de Lully. Nous avons gardé pour la fine
bouche un CD qui porte pour titre Don
Quichotte… Cantates et concertos comiques. Il s’agit d’œuvres pleines
d’ironie et d’humour du grand XVIIIe siècle français, dues à Michel Corrette,
Pierre de la Garde, Marin Marais, Nicolas Racot de Grandval ou Philippe
Courbois. Le contre-ténor Dominique Visse y déploie sa verve et sa subtilité.
C’est en tous points délectable. On en sort l’esprit et le cœur ragaillardis.
On signalera enfin que le Café Zimmermann bénéficie la
plupart du temps de la complicité de techniciens de haut niveau, notamment de
la compétence reconnue et indiscutable de la directrice artistique et
ingénieure du son Aline Blondiau. Les prises sont chaleureuses, la définition
des instruments est claire et pleine de vitalité, tout sonne avec élégance et
raffinement. Ce coffret somptueux, auquel on reviendra chaque fois que l’on
voudra s’enivrer de virtuosité ou de charme, est un cadeau à (s’) offrir,
d’autant plus qu’il est présenté à un prix des plus compétitifs. Aucun mélomane digne de ce nom ne pourra y
résister.
Jean Lacroix