jeudi 20 décembre 2018

Café Zimmermann: un coffret de 16 CD pour célébrer ses vingt ans

Un somptueux coffret de 16 CD pour célébrer les vingt ans du Café Zimmermann


Lorsque Jean Lacroix évoque l’ensemble de musique baroque Café Zimmermann, il trouve les formulations à la fois justes, précises et instruites, mais aussi lyriques et enthousiastes  qui nous transmettent l’envie et la curiosité de le suivre à l’écoute du coffret de 16 CD qui ponctue vingt années d’existence de cet ensemble qui a choisi un nom particulièrement évocateur. Il s’agit en effet de l’enseigne de l’établissement créé au XVIIIème siècle à Leipzig par Gottfried Zimmermann, où se réunissaient amateurs de café et de musique venus écouter le Collegium Musicum, dirigé notamment par Johann Sebastian Bach. Ce chapeau éditorial nous permet de saluer les contributions de Jean Lacroix à ces LIVRaisons auxquelles il appalique avec ferveur la phrase de Nietzsche, qu’il a fait sienne  : "Sans la musique, la vie serait une erreur".  Et que nous faisons nôtre... Jean Jauniaux


Le lien vers le coffret  Café Zimmermann


Un somptueux coffret de 16 CD pour célébrer les vingt ans du Café Zimmermann

Faisons un rêve : nous sommes un vendredi des années 1730 dans la cité prospère de Leipzig. Comme chaque semaine, le Collegium Musicum y donne un concert au « Café Zimmermann », l’élégant établissement de l’importateur de café dont l’enseigne porte le nom, situé dans la Catherinenstrasse, l’artère commerçante principale, et nous allons y assister ! Certes, ce sera par le biais de disques puisque l’établissement a été détruit par les bombes alliées en décembre 1943 ; mais avec un tant soit peu d’imagination, on peut recréer  l’ambiance de ces soirées musicales, fondées par Telemann en 1702 lors des ses études dans la ville qui verra naître Wagner au siècle suivant. Au début, c’était la réunion de jeunes musiciens en formation et de professionnels débutants, mais peu à peu, l’ensemble s’est étoffé, il a convaincu par la qualité de ses instrumentistes et la découverte des nouveautés musicales du temps, mais aussi par le décor cossu et confortable et les boissons de qualité. Bonne société, intellectuels et gens de lettres s’y côtoient avec plaisir. C’est la naissance des concerts publics ; ils vont bientôt se développer dans d’autres villes allemandes, puis européennes.

Si elle avait pu se concrétiser, notre soirée n’aurait pas été banale : depuis 1729, c’est le maître Jean-Sébastien Bach qui a pris la direction du Collegium Musicum. Il va diriger cet ensemble instrumental et vocal pendant une dizaine d’années, choisir lui-même les artistes et les programmes (qui ne nous sont connus que par des gazettes du temps), s’occuper avec soin des répétitions et veiller à ce que la qualité, grandissante, soit toujours au rendez-vous. Il s’occupera même des aspects administratifs et financiers ! Chaque concert est une aubaine : on peut y découvrir les partitions orchestrales et instrumentales du Cantor ou ses cantates profanes (« la Cantate du Café », bien sûr), mais aussi de bien d’autres compositeurs, notamment italiens. Avec un peu de chance, on peut même entendre, parmi les invités du jour, sa seconde épouse, la cantatrice Anna-Magdalena, ou l’un de ses fils si doués.

Le nom de cet établissement renommé en son temps ne serait plus qu’un souvenir nostalgique si un ensemble baroque français, sous l’impulsion du violoniste Pablo Valetti et de la claveciniste Céline Frisch, n’avait décidé en 1998 de le ressusciter. Un ensemble qui s’est constitué non pas à Leipzig, mais à Bâle, où plusieurs membres du futur groupe étudient dans les années 1990. Une approche collégiale de la musique baroque, la volonté de construire un langage qui puise aux sources des partitions, des musiciens issus de cultures variées, mais unis par la même passion et un travail acharné, puis la rencontre avec Jean-Paul Combet, le fondateur du label Alpha, tout converge vers la parution d’un premier disque, dont la vente est un grand succès. Dès lors, les enregistrements se succèdent. Aujourd’hui, un coffret de 16 CD (Alpha 434) regroupe les moments forts d’un parcours déjà long de vingt ans qui n’est pas près de s’arrêter (comme en témoigne notre article récent sur la sortie des concertos de l’opus 7 de Geminiani, non inclus dans cette somme).

A tout seigneur, tout honneur, c’est Jean-Sébastien Bach qui est l’objet des six premiers CD, placés sous le titre général de « concerts avec plusieurs instruments ». Afin de varier les plaisirs, dans chaque production, le Café Zimmermann propose une alternance de suites, de concertos brandebourgeois, de concertos pour clavecin, violon, flûte ou hautbois d’amour, afin de permettre un éventail des sonorités et un voyage diversifié à travers l’univers de Bach. Le jeu de l’ensemble sera salué à chaque fois par une critique enthousiaste. Les volumes IV, V et VI bénéficieront du label « Diapason d’or » qui couronnent chaque mois les meilleurs enregistrements ; le volume VI sera même revêtu du titre de « Diapason d’or de l’année 2011 ». C’est dire le niveau d’excellence. Le Café Zimmermann se caractérise par une virtuosité complice et sans complexe, un esprit d’urgence, un investissement et un perfectionnisme dans le geste collégial, un art supérieur du mouvement, une énergie de chaque instant convertie en tempi endiablés. Mais aussi, quand la partition le réclame, par une délicatesse, une douceur ou une fluidité, traduites par un esprit de finesse qui se renouvelle aussi bien dans la flamboyance que dans la pulsation ou la gestion des contrastes. Un Bach auquel on adhère sans hésiter, tant il nous transporte d’allégresse. On ne peut détailler chaque CD, tant il y a foison. On trouve trois autres disques dédiés à Bach : les Variations Goldberg, de la claveciniste Céline Frisch, au trait acéré, puis les séduisants 14 Canons sur les premières notes de basse de l’aria des mêmes Variations. On y ajoute deux splendides cantates laïques, les BWV 30a et BWV 207, qui sont destinées à des circonstances festives ou solennelles ; on a le plaisir d’y retrouver Gustav Leonhardt à la direction de l’ensemble, auquel se sont joints les Chantres du Centre de Musique baroque de Versailles.  Mais il y a d’autres merveilles : deux CD sont voués à Carl Philip Emanuel Bach, dans un choix de pièces virevoltantes au cours desquelles les violons, les violoncelles ou les altos nous rappellent combien le fils du Cantor était lui aussi un très remarquable compositeur.

Cet univers Bach est complété par l’ouverture du Café Zimmermann à d’autres trésors baroques : le vif argent de Vivaldi et de son second livre de l’Estro Armonico, puis un programme décoiffant de l’Anglais Charles Avison qui transcrivit des sonates de Scarlatti dans la perspective orchestrale du concerto grosso ; elles sont servies avec une effervescence qui force l’admiration. Les Français ne sont pas oubliés non plus : Céline Frisch déploie toute sa finesse et sa fantaisie dans des suites pour clavecin ou des fugues pour orgue de d’Anglebert. Le Café Zimmermann se lance ensuite dans des extraits d’œuvres chatoyantes de Lully. Nous avons gardé pour la fine bouche un CD qui porte pour titre Don Quichotte… Cantates et concertos comiques. Il s’agit d’œuvres pleines d’ironie et d’humour du grand XVIIIe siècle français, dues à Michel Corrette, Pierre de la Garde, Marin Marais, Nicolas Racot de Grandval ou Philippe Courbois. Le contre-ténor Dominique Visse y déploie sa verve et sa subtilité. C’est en tous points délectable. On en sort l’esprit et le cœur ragaillardis.

On signalera enfin que le Café Zimmermann bénéficie la plupart du temps de la complicité de techniciens de haut niveau, notamment de la compétence reconnue et indiscutable de la directrice artistique et ingénieure du son Aline Blondiau. Les prises sont chaleureuses, la définition des instruments est claire et pleine de vitalité, tout sonne avec élégance et raffinement. Ce coffret somptueux, auquel on reviendra chaque fois que l’on voudra s’enivrer de virtuosité ou de charme, est un cadeau à (s’) offrir, d’autant plus qu’il est présenté à un prix des plus compétitifs.  Aucun mélomane digne de ce nom ne pourra y résister.   

Jean Lacroix