Isang Yun, le destin musical et politique d’un compositeur sud-coréen
La vie de Isang Yun relève du roman. Fils de poète, il
naît en 1917 en Corée du Sud, alors sous domination japonaise. Il étudie aux
Conservatoires d’Osaka puis de Tokyo. Politiquement engagé, il fait partie de
la résistance contre le Japon pendant la deuxième guerre mondiale, est arrêté
et emprisonné jusqu’à la fin du conflit. On le retrouve ensuite dans diverses
institutions, notamment à l’Université de Séoul en qualité de lecteur. En 1956,
il tente l’aventure européenne et se rend à Berlin où il côtoie notamment Boris
Blacher et fréquente la Musikhochschule. Après un voyage effectué en Corée du
Nord (il prônera toujours la réconciliation entre les deux entités), il est
enlevé par les services secrets sud-coréens, mis en prison, torturé puis
condamné en 1967 à la détention perpétuelle pour ses liens avec le communisme
et pour haute trahison. Il sera libéré deux ans plus tard grâce à un mouvement
international de protestation, mené par des compositeurs (Dallapiccola, Henze,
Kagel, Stockhausen, Stravinsky…) et par des chefs d’orchestre (Karajan,
Klemperer…). Il obtient la nationalité allemande en 1971 et enseigne à Berlin.
Quelques années plus tard, il fonde à Pyongyang un institut musical qui porte
son nom. Il décède en 1995. Isang Yun laisse une œuvre considérable :
quatre opéras, de nombreuses partitions orchestrales, dont cinq symphonies, des
concertos divers, de la musique de chambre et une kyrielle de pièces pour un ou
plusieurs instruments. Sa production est tout à fait méconnue chez nous, pour
ne pas dire inconnue. On ne peut donc que se féliciter de voir le label
Pentatone proposer un panorama de sa production dans un coffret de 2 CD (PTC
5186 693), qui porte pour titre : SunriseFalling.
Ce coffret est un éventail significatif d’un langage
insolite, mystérieux, voire même secret, qui fait souvent usage d’une écriture
douloureuse et intense, aux contrastes fortement marqués mais qui peut aussi se
manifester par une intériorisation proche du silence. On y trouve deux
concertos, l’un pour violoncelle (1976), l’autre pour violon (1981) et la Fanfare et Mémorial pour orchestre qui
date de 1979 et dans lequel une harpe déploie des arpèges. C’est le Bruckner
Orchester Linz, dirigé par Dennis Russel Davies, qui officie pour ces trois
partitions, les solistes étant Yumi Hwang-Williams pour le violon et Matt
Haimowitz pour le violoncelle ; ils font corps avec les intentions d’Isang
Yun, ce dernier expérimentant les ressources des instruments avec beaucoup
d’imagination. La musique est fascinante, elle suscite un intérêt constant. Sa
découverte est plus qu’une heureuse surprise : elle séduit par une
inventivité de tous les instants et une richesse sonore qui interpelle, avec
des expérimentations de timbres ou de tonalités, et de temps à autre, mais en demi-teinte, des
accents qui rappellent les origines orientales d’Isang Yun. Le reste du
programme est dévolu à des instruments solistes : Kontraste (1987), deux pièces pour violon au lyrisme éperdu, Glissées
(1970) pour violoncelle, qui nous entraîne dans un monde ésotérique, un Interlude pour piano (1982), dont les
arabesques sinueuses sont défendues par Maki Namekawa, et Gasa, référence à un genre littéraire coréen du XVIe siècle, une
partition énigmatique de 1963 pour violon et piano, où l’on retrouve le chef
d’orchestre au clavier. Les solistes sont les mêmes que pour les œuvres
concertantes, ils s’investissent dans ce projet avec talent. Cette découverte
d’un compositeur au destin si particulier est un parcours à accomplir sans a
priori : il se révèle d’une profondeur et d’une intensité qui méritent que
l’on s’y attarde.
Jean
Lacroix