Le nom de Charles-Marie Widor (1844-1937) brille en lettres d’or dans le
grand livre des compositeurs et des interprètes de l’orgue. Qui se souvient
encore que cet Alsacien d’origine hongroise a débuté son apprentissage à
Bruxelles auprès de Lemmens pour l’orgue et de Fétis pour la composition ?
A seize ans, il est déjà organiste à Lyon et donne des concerts. Il a un peu
plus de vingt-cinq ans lorsqu’il prend en charge un poste à Saint-Sulpice à
Paris, dont il va devenir le titulaire en 1871 pour une durée de 64 ans !
Chargé d’enseignement, il compte parmi ses élèves Charles Tournemire, Louis
Vierne, Marcel Dupré ou Albert Schweitzer. Avec ce dernier, il participe à
l’édition des cinq premiers volumes de l’édition complète des œuvres pour orgue
de Bach, édition qui comprendra huit volumes. Sa production est
abondante : partitions pour la scène, pour orchestre, en musique de
chambre et pour le piano, méconnues pour la plupart, mais aussi production pour
orgue, dont dix symphonies, publiées de 1872 à 1900. Le label Naxos propose le
premier volet d’une intégrale (8.574161), confiée à Wolfgang Rübsam, un
virtuose dont le choix ne souffre pas de contestation.
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Les quatre premières symphonies pour orgue de Widor sont regroupées dans
son opus 13. Ecrites en 1872, elles ont été révisées par le compositeur en
1887, puis en 1901. La Symphonie n° 1 est plutôt à considérer comme une
suite, avec un Prélude solennel, hommage à Bach, un Allegretto
rhapsodique, suivi d’un Intermezzo aux figures obstinées, où des
commentateurs retrouvent l’esprit de Schumann. Un Adagio de type choral
précède ensuite une brillante Marche pontificale, pompeuse et
triomphante, avant une courte Méditation mélancolique, page bien connue
des mélomanes, qui débouche sur un Finale au crescendo majestueux. La Symphonie n° 2,
qui comporte un mouvement de moins, relève de la même esthétique. Elle s’ouvre
par un Praeludium circulare, genre modulant et chromatique déjà expérimenté
par Bach, puis par une Pastorale exubérante et un Andante en
forme de rondo. Rübsam utilise ensuite le Salve Regina à couleur
grégorienne qui a remplacé en 1901 le Scherzo originel. Un Adagio
mendelssohnien séduisant offre au Finale une atmosphère à la dimension
spectaculaire au cours de laquelle Widor laisse libre cours au rythme et à la
pulsation. La fête est complète !
L’interprète, Wolfgang Rübsam, organiste, pianiste, compositeur et
pédagogue, né à Giessen en 1946 s’est formé à Fulda avant de suivre
l’enseignement de Helmut Walcha à Francfort-sur-le-Main. Il a ensuite entrepris
des études complémentaires auprès de Marie-Claire Alain. En 1973, il remporte
le Grand prix d’Interprétation de Chartres. On le retrouve aux Etats-Unis
pendant plus de vingt ans : après un poste dans l’Illinois, il devient
organiste de la Rockefeller Memorial Chapel de l’Université de Chicago. Il
poursuit ensuite sa carrière comme pédagogue à Sarrebruck. Sa discographie est
abondante, il compte à son actif plus de cent trente enregistrements : des
intégrales de l’œuvre d’orgue de Bach, Buxtehude, Mendelssohn, Franck, Vierne
ou Jehan Alain, mais aussi des pages de Liszt, Pachelbel, Reger et bien
d’autres. Il a aussi donné une version sur piano moderne des partitions de
Bach. La firme Naxos lui a confié la fonction d’ingénieur du son pour sa série
consacrée à l’orgue historique.
L’orgue de la Rockefeller Memorial Chapel de Chicago a été construit en
1928 et inauguré le 1er novembre de cette même année devant 2
500 spectateurs ; il fait partie des quatre instruments installés dans des
universités américaines par le facteur E.M. Skinner, les trois autres se
situant à Yale, Princeton et Michigan. Ces orgues sont considérés comme des
modèles romantiques du XXe siècle en raison de leurs qualités sonores. Celui de
Chicago, composé au départ de 6 610 tuyaux, présente une impressionnante
profondeur orchestrale. Depuis sa restauration en 2008, il compte 8 565 tuyaux
et est couplé avec une galerie pour un chœur éventuel. Influencé par les
techniques des facteurs d’orgue anglais et français, Skinner a réalisé un orgue
qui est capable de servir avec autant de vérité la musique baroque comme les
grands débordements de la période romantique.
L’intégrale Widor par Rübsam débute donc sous les meilleurs auspices quant
au choix de l’instrument. Dans ce répertoire inouï au sens plein du terme,
l’organiste allemand déploie la palette de ses qualités à la fois visionnaires
et méditatives. On lui sait gré d’épargner à ces partitions la boursouflure que
certains seraient tentés d’y injecter, mais surtout de mettre l’accent sur la
splendeur mélodique, les trouvailles harmoniques et l’équilibre des formes. Dans
cette excellente prise de son de Mars 2019, Rübsam fait résonner son Skinner
avec hauteur et noblesse et en souligne l’esthétique équilibrée. On ne se
hasardera pas encore aux comparaisons discographiques, ce CD n’étant qu’un
superbe début qui crée en tout cas une vraie impatience de découvrir la suite.
Jean Lacroix