lundi 3 février 2020

Charles-Marie Widor: les symphonies 1 et 2 pour orgue



Le nom de Charles-Marie Widor (1844-1937) brille en lettres d’or dans le grand livre des compositeurs et des interprètes de l’orgue. Qui se souvient encore que cet Alsacien d’origine hongroise a débuté son apprentissage à Bruxelles auprès de Lemmens pour l’orgue et de Fétis pour la composition ? A seize ans, il est déjà organiste à Lyon et donne des concerts. Il a un peu plus de vingt-cinq ans lorsqu’il prend en charge un poste à Saint-Sulpice à Paris, dont il va devenir le titulaire en 1871 pour une durée de 64 ans ! Chargé d’enseignement, il compte parmi ses élèves Charles Tournemire, Louis Vierne, Marcel Dupré ou Albert Schweitzer. Avec ce dernier, il participe à l’édition des cinq premiers volumes de l’édition complète des œuvres pour orgue de Bach, édition qui comprendra huit volumes. Sa production est abondante : partitions pour la scène, pour orchestre, en musique de chambre et pour le piano, méconnues pour la plupart, mais aussi production pour orgue, dont dix symphonies, publiées de 1872 à 1900. Le label Naxos propose le premier volet d’une intégrale (8.574161), confiée à Wolfgang Rübsam, un virtuose dont le choix ne souffre pas de contestation.

Vers le site de Naxos

Les quatre premières symphonies pour orgue de Widor sont regroupées dans son opus 13. Ecrites en 1872, elles ont été révisées par le compositeur en 1887, puis en 1901. La Symphonie n° 1 est plutôt à considérer comme une suite, avec un Prélude solennel, hommage à Bach, un Allegretto rhapsodique, suivi d’un Intermezzo aux figures obstinées, où des commentateurs retrouvent l’esprit de Schumann. Un Adagio de type choral précède ensuite une brillante Marche pontificale, pompeuse et triomphante, avant une courte Méditation mélancolique, page bien connue des mélomanes, qui débouche sur un Finale  au crescendo majestueux. La Symphonie n° 2, qui comporte un mouvement de moins, relève de la même esthétique. Elle s’ouvre par un Praeludium circulare, genre modulant et chromatique déjà expérimenté par Bach, puis par une Pastorale exubérante et un Andante en forme de rondo. Rübsam utilise ensuite le Salve Regina à couleur grégorienne qui a remplacé en 1901 le Scherzo originel. Un Adagio mendelssohnien séduisant offre au Finale une atmosphère à la dimension spectaculaire au cours de laquelle Widor laisse libre cours au rythme et à la pulsation. La fête est complète !

L’interprète, Wolfgang Rübsam, organiste, pianiste, compositeur et pédagogue, né à Giessen en 1946 s’est formé à Fulda avant de suivre l’enseignement de Helmut Walcha à Francfort-sur-le-Main. Il a ensuite entrepris des études complémentaires auprès de Marie-Claire Alain. En 1973, il remporte le Grand prix d’Interprétation de Chartres. On le retrouve aux Etats-Unis pendant plus de vingt ans : après un poste dans l’Illinois, il devient organiste de la Rockefeller Memorial Chapel de l’Université de Chicago. Il poursuit ensuite sa carrière comme pédagogue à Sarrebruck. Sa discographie est abondante, il compte à son actif plus de cent trente enregistrements : des intégrales de l’œuvre d’orgue de Bach, Buxtehude, Mendelssohn, Franck, Vierne ou Jehan Alain, mais aussi des pages de Liszt, Pachelbel, Reger et bien d’autres. Il a aussi donné une version sur piano moderne des partitions de Bach. La firme Naxos lui a confié la fonction d’ingénieur du son pour sa série consacrée à l’orgue historique.

L’orgue de la Rockefeller Memorial Chapel de Chicago a été construit en 1928 et inauguré le 1er novembre de cette même année devant 2 500 spectateurs ; il fait partie des quatre instruments installés dans des universités américaines par le facteur E.M. Skinner, les trois autres se situant à Yale, Princeton et Michigan. Ces orgues sont considérés comme des modèles romantiques du XXe siècle en raison de leurs qualités sonores. Celui de Chicago, composé au départ de 6 610 tuyaux, présente une impressionnante profondeur orchestrale. Depuis sa restauration en 2008, il compte 8 565 tuyaux et est couplé avec une galerie pour un chœur éventuel. Influencé par les techniques des facteurs d’orgue anglais et français, Skinner a réalisé un orgue qui est capable de servir avec autant de vérité la musique baroque comme les grands débordements de la période romantique.

L’intégrale Widor par Rübsam débute donc sous les meilleurs auspices quant au choix de l’instrument. Dans ce répertoire inouï au sens plein du terme, l’organiste allemand déploie la palette de ses qualités à la fois visionnaires et méditatives. On lui sait gré d’épargner à ces partitions la boursouflure que certains seraient tentés d’y injecter, mais surtout de mettre l’accent sur la splendeur mélodique, les trouvailles harmoniques et l’équilibre des formes. Dans cette excellente prise de son de Mars 2019, Rübsam fait résonner son Skinner avec hauteur et noblesse et en souligne l’esthétique équilibrée. On ne se hasardera pas encore aux comparaisons discographiques, ce CD n’étant qu’un superbe début qui crée en tout cas une vraie impatience de découvrir la suite.

                                                                                               
Jean Lacroix