Voici un CD à la fois séduisant et déconcertant
(Alpha 563). Il fait entrer l’auditeur dans l’univers de Diego Ortiz, né à
Tolède vers 1510 et décédé à Naples en 1570. Ce compositeur, qui est aussi un
théoricien, entre vers 1560 au service du duc d’Albe, à la cour du vice-roi de
Naples, en qualité de maître de chapelle. Quelques années auparavant, en 1553,
il a publié, dans sa langue natale et en italien, un ouvrage sur l’art
instrumental espagnol, « Dans lequel on traite des Gloses sur les
Cadences et autres sortes de notes dans la Musique de Viole nouvellement mis au
jour », comme le précise la notice (savante et érudite) qu’il est
conseillé de lire avant audition. Ce Trattado de Glosas est divisé en
deux parties ; dans la première, on trouve « une source quasi
inépuisable de tournures musicales, véritable trésor pour le langage
instrumental et l’art d’improviser ». C’est la musique de la deuxième
partie du traité qui est proposée ici, à travers une série de recercadas
(« essais-recherches ») mettant en évidence Bruno Cocset et Guido
Balestracci, qui alternent sur des dessus et basses de violes.
Les Basses réunies, ensemble fondé en 1996 et
animé par Bruno Cocset, se destine à la mise en valeur du patrimoine spécifique
aux basses d’archet. Il compte à son actif des enregistrements de Boccherini, Geminiani,
Vivaldi, Bach, Hume, Purcell ou Gabrieli ; Balestracci a déjà participé à
certains d’entre eux (ce virtuose vient aussi de faire paraître chez Ricercar
un superbe enregistrement de la Sonate pour Arpeggione de Schubert). Le
programme Ortiz fait l’objet de la redécouverte d’instruments disparus ou
recréés à cet effet, inspirés d’anciens luthiers, de gravures ou de peintures
de la Renaissance, comme celles du Greco. On y trouve non seulement les dessus
et basses de viole, mais aussi une vihuela, une guitare Renaissance, un orgue
de table (joué par Maude Gratton), un clavecin italien (tenu par Bertrand
Cuiller). CD a priori déconcertant pour le profane, car il relève d’une
certaine austérité qui pourrait engendrer à l’écoute en continu une sensation de
monotonie, mais ce risque a été maîtrisé et écarté non seulement par la
diversité de couleurs des interprètes, mais aussi par l’habileté de la
construction sonore. Dans les blocs de pièces extraites du Trattado
d’Ortiz, riches en variations ornementales, sont introduits de courts morceaux
de compositeurs du XVIe siècle espagnol : Luis Milan (deux fantaisies pour
vihuela), Antonio de Cabezon (orgue et clavecin) ou Tomas Luis de Victoria (dans
une transcription pour violes de ses polyphonies). Ce parcours équilibré donne
de la lumière à l’affiche et la rend bien séduisante, d’autant plus que les
musiciens jouent avec aisance, liberté et profond investissement. A l’audition,
se dévoile un univers de plus en plus attractif, qui vaut le détour pour se
plonger dans une époque que Les Basses Réunies ressuscitent pour notre plus
grand plaisir.
Jean
Lacroix