lundi 3 février 2020

Une plongée dans la musique espagnole du XVIe siècle

              
Voici un CD à la fois séduisant et déconcertant (Alpha 563). Il fait entrer l’auditeur dans l’univers de Diego Ortiz, né à Tolède vers 1510 et décédé à Naples en 1570. Ce compositeur, qui est aussi un théoricien, entre vers 1560 au service du duc d’Albe, à la cour du vice-roi de Naples, en qualité de maître de chapelle. Quelques années auparavant, en 1553, il a publié, dans sa langue natale et en italien, un ouvrage sur l’art instrumental espagnol, « Dans lequel on traite des Gloses sur les Cadences et autres sortes de notes dans la Musique de Viole nouvellement mis au jour », comme le précise la notice (savante et érudite) qu’il est conseillé de lire avant audition. Ce Trattado de Glosas est divisé en deux parties ; dans la première, on trouve « une source quasi inépuisable de tournures musicales, véritable trésor pour le langage instrumental et l’art d’improviser ». C’est la musique de la deuxième partie du traité qui est proposée ici, à travers une série de recercadas (« essais-recherches ») mettant en évidence Bruno Cocset et Guido Balestracci, qui alternent sur des dessus et basses de violes.


Les Basses réunies, ensemble fondé en 1996 et animé par Bruno Cocset, se destine à la mise en valeur du patrimoine spécifique aux basses d’archet. Il compte à son actif des enregistrements de Boccherini, Geminiani, Vivaldi, Bach, Hume, Purcell ou Gabrieli ; Balestracci a déjà participé à certains d’entre eux (ce virtuose vient aussi de faire paraître chez Ricercar un superbe enregistrement de la Sonate pour Arpeggione de Schubert). Le programme Ortiz fait l’objet de la redécouverte d’instruments disparus ou recréés à cet effet, inspirés d’anciens luthiers, de gravures ou de peintures de la Renaissance, comme celles du Greco. On y trouve non seulement les dessus et basses de viole, mais aussi une vihuela, une guitare Renaissance, un orgue de table (joué par Maude Gratton), un clavecin italien (tenu par Bertrand Cuiller). CD a priori déconcertant pour le profane, car il relève d’une certaine austérité qui pourrait engendrer à l’écoute en continu une sensation de monotonie, mais ce risque a été maîtrisé et écarté non seulement par la diversité de couleurs des interprètes, mais aussi par l’habileté de la construction sonore. Dans les blocs de pièces extraites du Trattado d’Ortiz, riches en variations ornementales, sont introduits de courts morceaux de compositeurs du XVIe siècle espagnol : Luis Milan (deux fantaisies pour vihuela), Antonio de Cabezon (orgue et clavecin) ou Tomas Luis de Victoria (dans une transcription pour violes de ses polyphonies). Ce parcours équilibré donne de la lumière à l’affiche et la rend bien séduisante, d’autant plus que les musiciens jouent avec aisance, liberté et profond investissement. A l’audition, se dévoile un univers de plus en plus attractif, qui vaut le détour pour se plonger dans une époque que Les Basses Réunies ressuscitent pour notre plus grand plaisir.

Jean Lacroix