mardi 11 février 2020

Quand Andris Nelsons dirigeait le Symphonique de Birmingham…

     
Quand Andris Nelsons dirigeait le Symphonique de Birmingham…

Né à Riga dans une famille de musiciens en 1978, le Letton Andris Nelsons se voit confier dès 2003 la responsabilité de la direction de l’Orchestre National de Lettonie, poste qu’il occupera pendant quatre ans. Attribution logique, pourrait-on ajouter. Après une formation au piano et à la trompette, diplôme obtenu à l’âge de douze ans, il choisit la direction d’orchestre à Saint-Pétersbourg auprès d’Alexander Titov, né en 1954, que l’on a souvent vu à la tête du Bolshoï ou du Mariinski. Il assiste à des masterclasses de Neeme Järvi et de Jorma Panula et est très vite parrainé par son compatriote Mariss Jansons. Dès 2010, Nelsons, admirateur de Wagner depuis son enfance (il a été émerveillé par l’audition de Tannhaüser à l’âge de cinq ans), est chargé d’un Lohengrin à Bayreuth. Après un passage de quatre ans à la tête de la phalange de Herford, il est nommé à Birmingham. Il va prendre en charge le Symphonique pendant sept ans. Ce sera ensuite, à partir de 2015, l’Orchestre de Boston et le Gewandhaus de Leipzig, charges entre lesquelles il partage son agenda. On reconnaîtra qu’à un peu plus de 42 ans, la carte de visite de Nelsons est des plus significatives. Le 1er janvier 2020, c’est lui que des millions de téléspectateurs ont pu voir à la tête du Philharmonique de Vienne dans le traditionnel concert du Nouvel An. Le label Orfeo vient d’avoir la bonne idée de documenter dans un coffret de 9 CD (C 987 199) ses années passées à Birmingham, avec des enregistrements en studio et en live, à travers des témoignages du répertoire consacrés à quatre compositeurs : Tchaïkowsky, Richard Strauss, Stravinsky et Shostakovitch.
Pour Tchaïkowsky, le programme est copieux. Il comprend les symphonies 4 à 6, la Symphonie Manfred, la Marche slave, l’ouverture Hamlet, l’ouverture-fantaisie Roméo et Juliette et le poème symphonique Francesca da Rimini. Un bel éventail, au cours duquel le chef letton peut exprimer pleinement son amour pour le compositeur russe. Le texte de la notice du livret (en allemand et en anglais) porte comme titre « Extase, brillance et sincérité » pour définir l’approche globale de la vision orchestrale de Nelsons. Les termes sont bien adaptés en la circonstance, car la souplesse de la formation anglaise, qui, rappelons-le, a connu déjà une ère fastueuse avec Simon Rattle de 1980 à 1998 - avant la nomination de ce dernier à la Philharmonie de Berlin où il a succédé à Claudio Abbado -, ne s’est jamais démentie sous l’ère Nelsons. Le niveau d’excellence s’est maintenu, sans défaillances. On le constatera peut-être encore plus avec les pages qui s’ajoutent aux symphonies de 4 à 6 de Tchaïkowsky ; dans le cas de ces dernières, le chef s’inscrit dans la tradition de son apprentissage, celle d’une ligne claire et résolument romantique, où l’expressivité et le pathos dominent. Avec Francesca da Rimini et Roméo et Juliette, Nelsons est en plein dans le psychodrame, qu’il portera à incandescence dans une passionnante version de Manfred (par la force communicative d’un concert public ?) qui contient de forts moments de tension et de violence.

Trois CD ensuite pour Richard Strauss :  on y sent Nelson porté par un univers dans lequel la magnificence, la science de l’orchestration et la beauté du son comptent parmi les premières préoccupations. Don Juan et Till Eulenspiegel sont, l’un après l’autre, élégants et sarcastiques à souhait. Also sprach Zarathustra propose une dynamique permanente et un effet absolu des contrastes. La préférence ira à la Symphonie des Alpes, grandiose, lyrique et évocatrice, les instrumentistes s’y taillant des instants de gloire. On sera par contre plus réservé avec la Symphonie n° 7 de Shostakovitch, dont l’avancée manque de puissance dans le premier mouvement ; la mise en place implacable tarde à se manifester, sans doute en raison de tempi trop peu serrés.

La perle de ce coffret est le CD n° 8, consacré à Stravinsky. Si la Symphonie des psaumes est abordée dans la dimension qu’elle réclame (le chœur impressionne par sa clarté architecturale), c’est dans L’Oiseau de feu qu’’éclatent les indéniables qualités de Nelsons : fougue, incisivité, sonorités détaillées avec précision. Voilà un coffret des plus intéressants qui montre l’évolution fulgurante d’un directeur musical, dont la carrière va sans doute nous valoir encore des enregistrements de haut niveau. 


 Jean Lacroix