Lorsque la voix nous enchante…
Dmitri Hvorostovsky...
A tout seigneur, tout
honneur ! Le baryton Dmitri Hvorostovsky est décédé le 22 novembre 2017
d’une tumeur au cerveau. Il était âgé d’à peine 55 ans. Une perte irréparable
pour le chant, car cet artiste qui bénéficiait d’un legato très dominé et était
passé maître dans l’art de la respiration était l’incarnation même de
l’élégance et de l’art russe. Ses prises de rôle dans Mozart, Bellini, Rossini,
Prokofiev, Verdi ou Tchaïkowski étaient des chefs-d’œuvre, tant ses effets
dramatiques étaient d’une absolue pertinence. On se souviendra avec émotion de
ses débuts dans Rigoletto, de ses
concours gagnés à Toulouse (en 1988, ce qui lui valut un premier engagement
pour La Dame de pique) ou à Cardiff,
de son comte Almaviva à la Bastille ou de son Germont dans La Traviata, mais aussi de récitals au cours desquels dominaient
son impeccable ligne de chant et les couleurs de sa voix. Le label Orfeo (C 966
181 B) lui rend hommage en publiant un CD qui propose un choix de ses
prestations à l’Opéra de Vienne entre 1994 et 2016, dans des airs de Bellini,
Rossini, Verdi ou Tchaïkowski (une grande partie de son répertoire à eux deux),
sous la baguette de Placido Domingo, Seiji Ozawa, Jesus Lopez Cobos et de
quelques autres. Un CD à thésauriser parce qu’il montre l’étendue d’un talent
hors du commun et l’ampleur d’une voix magnifique, mais surtout pour se
convaincre que Hvorostovsky continuera de vivre dans la mémoire des mélomanes.
Lulu par Barbara Hannigan |
Barbara Hannigan, Vienna |
Barbara Hannigan...
On n’en finira jamais de
découvrir Barbara Hannigan, ni de succomber à l’enchantement qu’elle suscite en
nous ! Alors que sa carrière
s’oriente vers la direction d’orchestre et la mise en place de projets
scéniques, elle nous offre (car c’est un cadeau précieux) un récital intitulé Vienna fin de siècle (Alpha 393). Il
regroupe des lieder de Schoenberg, Webern, Berg, Zemlinsky, Alma Mahler et Hugo
Wolf, tous inscrits dans la période 1890-1910, apogée d’un romantisme tardif à
la limite de la tonalité. On sait que cette soprano à la grande sensibilité
dramatique a incarné une Lulu
troublante à la Monnaie en 2012 (disponible sur DVD). Ici, les moments riches
et intenses au cours desquels on retrouve un nombre conséquent de poèmes de
Dehmel, mais aussi de Lenau, Rilke, Heine, Goethe, Morgenstern et quelques
autres écrivains du XIXe siècle, sont servis par une voix émouvante, qui ravit
l’oreille par la beauté de son expressivité et un pastel de couleurs sans cesse
renouvelées. La voix est parfois fragile, certains diront : « pas toujours
celle qu’il faudrait », mais elle traduit, à travers sa fragilité même, un
goût parfait et un absolu respect du texte. Pour ces compositeurs, il s’agit de
partitions de jeunesse, à l’exception de Wolf, la frontière entre l’harmonie et
la dissonance est mince et elle nourrit le propos musical avec les questions
que l’on se pose à leur écoute. Ces questions sont vite balayées par la qualité
d’une interprétation superbe, servie par un duo qui collabore depuis de longues
années. L’accompagnateur, on devrait dire le complice, est Reinbert De Leeuw,
pianiste, chef d’orchestre et compositeur. On peut parler ici d’osmose entre
les partenaires, l’émotion de l’apport mutuel est toujours présente. On se
souviendra de leur Socrate de Satie
de 2016, si juste, si mesuré. Dans le livret du nouveau CD, deux photographies
montrent De Leeuw, âgé de 80 ans, serrant sur son cœur Hannigan, qui n’a que 47
printemps. Des images qui se passent de commentaires, car elles sont le symbole
même de cet enregistrement qui a tout juste un an. Elles donnent un sens à ce
que la musique apporte au texte : un surplus de beauté.
Julien Behr...
Julien Behr, Confidence |
Le ténor Julien Behr aurait pu
s’inscrire au barreau de sa ville natale de Lyon dans l’université de laquelle
il a obtenu un master de droit des affaires. Mais le chant était sa voie et dès
2009, il débutait à Aix-en-Provence dans Offenbach. Ce fut ensuite Mozart,
Haendel, Lehar, Fauré,
Rameau, Gluck, Verdi ou
Donizetti, dans l’Hexagone mais aussi en Allemagne, en Suisse, à Londres ou à
New York. Une délicieuse Ciboulette
de Reynaldo Hahn, enregistrée en février 2013 à l’Opéra-Comique avec Julie
Fuchs, est un régal à ne pas manquer, puisque la firme Fra Musica a eu la bonne
idée de la mettre à la disposition des mélomanes sous la forme d’un délectable
DVD. Aujourd’hui âgé de 35 ans, Julien Behr propose au disque un premier
récital (Alpha 401), dans lequel sa voix aux inflexions souples et limpides
fait merveille. Sous le titre général de « Confidence », accompagné
par l’Orchestre de l’Opéra de Lyon sous la direction attentive de Pierre
Bleuse, il déploie un indiscutable talent et la séduction d’une diction claire
et précise. Au programme, des airs bien cernés : de Gounod à Messager,
Thomas, Joncières ou Godard, le répertoire français domine, en particulier dans
des extraits qui lui vont comme un gant. On mettra en évidence un Delibes
méconnu, Jean de Nivelle (1880),
ouvrage qui montre aussi la facette héroïque de Julien Behr, une subtile Jolie fille de Perth de Bizet ou un
adorable extrait de La Veuve joyeuse.
Tout cela est fin, racé et respire l’intelligence du choix (même si le Trenet
final, « Vous qui passez sans me
voir », ne convainc pas face à l’original). Le CD est complété par des
intermèdes orchestraux peu courants, qui tissent entre les airs une toile ludique :
La Nuit et l’Amour de Augusta Holmès,
la Habanera de Chabrier et Aux
étoiles de Duparc. Un récital bien venu, au cœur duquel le goût et la
fraîcheur dominent.
Jean Lacroix