La biographie de Pierre Mertens par l'écrivain Jean-Pierre Orban
"Pierre Mertens, le siècle pour mémoire"
Editions Les Impressions Nouvelles
"Pour arriver à un tel livre, en plus de beaucoup de travail, de sérieux, d'intelligence, et de patience, il faut un don de double-vue. Et c'est ce qui rend vibrant le livre de Jean-Pierre Orban!" (Jacques De Decker)
Lors d'une rencontre littéraire organisée à l'occasion de la sortie du livre de Jean-Pierre Orban "Pierre Mertens: le siècle pour mémoire", nous avons enregistré l'analyse enthousiaste qu'en proposa l'écrivain et critique littéraire Jacques De Decker. L'intégralité de cet enregistrement peut s'écouter sur sound cloud
L'ouvrage dont il est question ici est exceptionnel à plusieurs titres. Le pari n'était pas gagné d'avance: comment en effet retracer à la fois la vie et l'oeuvre d'une des figures les plus engagées de la littérature belge francophone contemporaine, comment entrelacer l'une et l'autre et explorer les cordons nourriciers qui les relient? Il fallait davantage que l'érudition d'un historien ou l'analyse d'un critique. C'est en cela sans doute que l'approche littéraire de Jean-Pierre Orban fut l'instrument idéal de ce travail de longue haleine qui aboutit à la double parution d'un gros volume papier et d'une version numérique complémentaire, tous deux parus aux Impressions Nouvelles.
Cette biographie littéraire ne manquera pas de donner l'envie de lire (relire) les nouvelles et romans de Pierre Mertens, un des écrivains majeurs de la francophonie.
L'occasion nous est donnée ici d'évoquer plusieurs entretiens avec Pierre Mertens que nous avions eu l'occasion d'enregistrer chez lui, et qui sont bien sûr toujours accessibles sur la webradio www.espace-livres.be .
Au cours de ces onze enregistrements, nous évoquions avec Pierre Mertens chacune des étapes de sa carrière littéraire, suivant le fil chronologique de la publication ou de la ré-édition de ses livres (notamment dans la collection patrimoniale Espace- Nord) : "Les Bons offices", "A la proue" , " Une paix royale" , " L'Inde ou l'Amérique", " Les éblouissements" , "L'ami de mon ami" , " Terre d'asile" , ainsi que des auteurs qui l'avaient marqué et auxquels il souhaitait rendre hommage, comme Simon Leys , Günter Grass , ou Charles Plisnier . Figure aussi dans cette ensemble sonore l'enregistrement d'un long entretien entre Jacques De Decker et Pierre Mertens réunis à l'occasion d'une conférence du Jeune Barreau en 2010.
Pierre Mertens est aussi un écrivain par la parole: l'écouter évoquer son travail d'écrivain, ses sources d'inspiration, ses combats et ses engagements provoque un éveil stimulant de la curiosité et de la conscience.
Jean Jauniaux/ Edmond Morrel , le 11 octobre 2018
" Je voudrais dire d'emblée que ce livre est un formidable livre. Et je le dis ici à son auteur. J'ai beaucoup lu de biographies, j'en ai écrit moi-même... Mais il faut se dire qu'écrire une biographie...c'est impossible. Celle que Jean-Pierre Orban consacre à Pierre Mertens est une étape dans la vie de ce dernier. La biographie est toujours une espèce de pari. Il y a des auteurs qui sont des biographes professionnels, notamment des anglo-américains. Certains ont été des écrivains plus qu'honorables et de bons biographes, je pense à Henri Troyat, dans un style très classique. Dans le cas de Jean-Pierre Orban, nous avons affaire à un biographe qui n'oublie pas qu'il est écrivain. Il a à son actif au moins deux romans qui sont de très beaux romans: "Véra" (qui a eu le Prix européen du roman en 2014) et "Toutes les îles et l'océan" (Mercure de France, 2018). Dans le cas de la biographie de Pierre Mertens, Orban se trouve confronté à une sorte de monstre, loin de l'auteur flatté d'être l'objet d'une biographie. D'ailleurs il aurait pu l'écrire lui-même. Or si on lit attentivement son oeuvre, on s'aperçoit que son oeuvre littéraire est biographique, et j'irais jusqu'à dire autobiographique. A partir de là, le travail du biographe consiste à séparer le bon grain de l'ivraie. Je me suis souvent demandé pour quelles raisons ce sont souvent les écrivains qui engendrent le plus de biographies... qu'on écrive la biographie d'un astronaute est parfaitement respectable et justifié. Il n'aura d'ailleurs jamais lui-même la tentation d'écrire son autobiographie...ou alors tout au plus des souvenirs. Et pourtant, on écrit beaucoup de biographies d'écrivains. Pourquoi? Parce qu'on les soupçonne tous! Nous nous trouvons dans l'ère du soupçon généralisé. Nous savons très bien que la formule clé de la littérature a été dite par Aragon, le mentir-vrai... Ce qui est stimulant c'est de savoir comment on sépare les deux éléments de cette formule. Pour y arriver, il faut en plus de beaucoup de travail, de sérieux, d'intelligence, et de patience, il faut un don de double-vue. Et c'est ce qui rend vibrant le livre de Jean-Pierre Orban: ce supplément de vue. J'aimerais ici évoquer la figure de Malraux. Un personnage héroïque...dont je relis la biographie par Olivier Todd. On ne peut pas dire cela de Pierre Mertens! Il n'a jamais pris les commandes d'un avion, prétendu avoir dirigé une escadrille pendant la guerre d'Espagne, ni avoir dépouillé des temples en Extrême-Orient... Il n'y a rien d'épique dans sa vie, hormis bien sûr les missions juridiques menées sous l'égide d'organisations internationale... A cet égard, un des textes les plus extraordinaires de Mertens est un texte qu'il n'aurait pas écrit s'il n'était l'expert en droit international quel est: L'ami de mon ami. C'est un texte d'une puissance philosophique inimaginable sur le fonctionnement du mal. Il y a donc des expériences concrètes, mais qui n'ont pas l'aspect spectaculaire de celles vécues et relatées par Malraux. Dans ces biographies, il suffit de suivre l'histoire... Dans le cas du "Siècle pour mémoire", on sait qu'on ne pourra tout dire, mais ce qu'on dira passera par une forme d'intuition et par la profonde compréhension tacite entre l'écrivain et son lecteur. Il s'agit donc bien d'une biographie d'écrivain par un écrivain. Et par un écrivain qui n'oublie pas qu'il est écrivain. Dans le cas de mes biographies consacrées à Ibsen ou Wagner, je considère qu'il s'agit d'un travail d'essayiste ou de journaliste. Ici, en revanche, nous ne sommes pas dans le journalisme. A cet égard, on aurait pu craindre que les chapitres consacrés aux "affaires" Bart de Wever et "Une paix royale" n'intéressent pas le public non-belge. Eh bien, tel n'est pas le cas. La manière dont Jean-Pierre Orban traite ces deux affaires, les rendent accessibles au niveau universel. On s'aperçoit aussi que la Belgique est encore une monarchie. n s'aperçoit aussi que la division culturelle de la Belgique a quelque chose de véritablement dramatique, qui peuvent revêtir une dimension philosophique très grande. Tout ceci donne à cette biographie de Pierre Mertens, une richesse et un intérêt réel pour tous les lecteurs."
Jacques De Decker , extrait de l'enregistrement d'une rencontre littéraire avec Pierre Mertens, Jean-Pierre Orban et Monique Toussaint, le 9 octobre 2018)
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