« Parmi les gracieux recueils de mélodies que
l’année 1842 a vu éclore, nous devons ranger celui de M. Jacques Offenbach. Six
Fables de La Fontaine, mises en
musique par ce jeune artiste, forment les éléments de cet album. M. Offenbach
s’est acquitté de cette tâche avec autant de bonheur que de talent. »,
annonce la presse musicale de l’époque, comme le rapporte Jean-Claude Yon dans
sa passionnante biographie consacrée au compositeur (Paris, Gallimard, 2000, p.
55). Offenbach est encore un jeune homme - il est né en 1819 - et il est
surtout un inconnu, même s’il compte à son actif un petit nombre de pièces,
dont des danses qui ont un peu attiré l’attention. Ce sont les éditions Cotelle
qui publient cet hommage au fabuliste ; le recueil est chanté assez vite en
public et est diversement accueilli. Pourtant, Offenbach a eu le nez fin :
La Fontaine a la cote du temps. Le livret d’un nouveau CD Alpha (553), dont le texte
est signé par Hélène Cao, précise qu’« entre
1816 et 1850, on compte pas moins de 242 éditions de ses œuvres ». Le
choix s’est porté sur Le Berger et la Mer,
Le Corbeau et le Renard, La Cigale et la Fourmi, La Laitière et le Pot au lait, Le Rat des villes et Le Rat des Champs et Le
Savetier et le Financier. Un choix plaisant et porteur ! Robert Pourvoyeur,
autre spécialiste, précise que « la
facture des Fables en fait de
véritables petites pièces de théâtre. Offenbach suit de très près La
Fontaine ; comme lui, il réussit à être à la fois narquois, réaliste et
compréhensif. » (Offenbach,
Paris, Seuil, 1994, p. 48). Pourvoyeur considère que chaque fable « se divise en épisodes musicaux contrastés,
séduisants et coquins ». Et il marque sa préférence pour La Cigale et la Fourmi et Le Savetier et le Financier.
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Notre compatriote
Jean-Pierre Haeck, compositeur de nombreuses pièces pour orchestre d’harmonie,
a dirigé de multiples partitions lyriques et des pages symphoniques à la tête
d’un grand nombre de phalanges internationales. Il s’est chargé avec verve de
l’orchestration des six fables d’Offenbach, prévues initialement avec piano, ce
qui nous permet de les entendre en première mondiale avec l’Orchestre de
l’Opéra de Rouen-Normandie. La mezzo-soprano Karine Deshayes, dont on ne
présente plus la carrière sur les plus grandes scènes, se distingue tout autant
dans le domaine de l’opéra (rôles baroques, rossiniens, bel canto…) que dans
celui de la mélodie. Elle fait de ces six fables un éventail particulièrement
plaisant, leur conférant la malice sous-jacente, la finesse, la subtilité, la
ruse, l’astuce ou la délicatesse requises par les intentions du fabuliste. La
voix est souveraine, placée avec justesse, dans un registre idéal. La
cantatrice est au sommet de son art, mis ici au service de la fantaisie… et de
la morale qu’y distille La Fontaine.
Un vrai moment de
bonheur musical, accentué par un programme complémentaire enjoué et des plus
légers. Quelques ouvertures (de Boule de
neige, Les Bavards, Les deux aveugles, Madame Favart, Monsieur
Choufleuri), une polka et deux autres airs chantés par Karine Deshayes
achèvent de faire de ce CD un bouquet plein de vitalité sonore et de couleurs
vives qui nous réjouissent au plus haut point. Jean-Pierre Haeck mène tout cela
d’une baguette claire, précise et, cela va sans le dire, des plus enlevées.
Jean Lacroix