vendredi 8 novembre 2019

La Toccata et le clavecin, de la fin du XVIe siècle à Jean-Sébastien Bach

Le célèbre Concours International Musica Antiqua de Bruges a couronné, dans le domaine du clavecin, des personnalités marquantes comme Scott Ross, Christophe Rousset, Blandine Rannou ou Justin Taylor. En 2018, c’est l’Italien Andrea Buccarella qui a été primé. Il a obtenu en même temps le prix Outhere Music. Suite à un partenariat entre ce producteur et le concours, un premier CD a été enregistré en mai 2019 par le lauréat en l’église Notre-Dame de Centeilles à Siran, dans le Minervois, un lieu enchanteur dont les origines remontent à l’époque romane, dans un paysage de vignes, de chênes, de pins et d’amandiers.
Lien vers le CD ICI

En guise de premier témoignage en soliste de son talent artistique, Andrea Buccarella, né à Rome en 1987, a choisi un programme tout aussi enchanteur que le site qui l’a accueilli. Il s’agit d’un panorama consacré à la « Toccata » (c’est le titre de ce CD Ricercar RIC 407). Il débute en Italie où le genre fait son apparition à la fin du XVIe siècle, le mot toccata devant sans doute son nom au verbe toccare (« toucher »), dans un contexte d’inventivité et d’effets contrastés et sensibles. Il se poursuit en Allemagne où il prend une considérable ampleur pendant tout le XVIIe siècle pour aboutir à l’apothéose grâce à Jean-Sébastien Bach. La caractéristique de la toccata est d’être une pièce brillante et virtuose, à la structure libre et peu construite, qui permet à l’interprète une expression personnelle et la démonstration de sa dextérité. Elle est jouée dans un contexte religieux ou profane. Le livret propose une intéressante notice détaillée signée par Andrea Buccarella lui-même, dans laquelle il s’attache à raconter l’évolution de la toccata, depuis ses origines à Venise, initiées par Andrea Gabrieli et Annibale Padovano, jusqu’à sa diffusion aux Pays-Bas et dans le Nord de l’Allemagne, et son développement au fil du temps. Sans négliger les questions d’attribution ou les circonstances d’écriture. Les compositeurs choisis pour illustrer l’évolution d’un peu plus de cent cinquante ans de clavecin sont Merulo, Sweelinck - qui établit une synthèse entre les influences de la Cité des Doges avec les virginalistes anglais -, Picchi, Frescobaldi, Rossi, Froberger, Kerll, Weckmann, Buxtehude, Reincken et Jean-Sébastien Bach. La flamboyante BWV 912, qui semble dater de la période de Weimar entre 1709 et 1712, brille en fin de programme. On est séduit par le choix intelligent de chacune des pièces, d’autant plus que Buccarella utilise des copies de quatre clavecins différents - dont le descriptif des caractéristiques techniques ravira les spécialistes -, deux dans le style italien, un instrument flamand et un autre dans le style allemand, offrant à ce répertoire un éventail de couleurs. On se rend compte au fil de l’écoute que les interférences entre les influences régionales réciproques sont fréquentes et adaptées par les compositeurs selon leurs choix artistiques.
Le soliste est à l’aise dans toutes les inflexions, toutes les nuances, toutes les finesses. Il a présenté ce programme en concert à plusieurs reprises, notamment au Festival Musical du Hainaut, avec un succès public mérité. Acquérir ce CD, c’est recréer la magie de l’instant si vous étiez présent, mais c’est surtout se donner la possibilité de l’enchantement renouvelé à domicile, ce qui est un atout non négligeable pour les soirées d’hiver à venir. Car le clavecin, c’est aussi un ami qui réconforte…


Jean Lacroix