Le célèbre Concours International Musica Antiqua de Bruges
a couronné, dans le domaine du clavecin, des personnalités marquantes comme
Scott Ross, Christophe Rousset, Blandine Rannou ou Justin Taylor. En 2018,
c’est l’Italien Andrea Buccarella qui a été primé. Il a obtenu en même temps le
prix Outhere Music. Suite à un partenariat entre ce producteur et le concours,
un premier CD a été enregistré en mai 2019 par le lauréat en l’église
Notre-Dame de Centeilles à Siran, dans le Minervois, un lieu enchanteur dont
les origines remontent à l’époque romane, dans un paysage de vignes, de chênes,
de pins et d’amandiers.
Lien vers le CD ICI |
En guise de premier témoignage en
soliste de son talent artistique, Andrea Buccarella, né à Rome en 1987, a
choisi un programme tout aussi enchanteur que le site qui l’a accueilli. Il
s’agit d’un panorama consacré à la « Toccata » (c’est le titre de ce
CD Ricercar RIC 407). Il débute en Italie où le genre fait son apparition à la
fin du XVIe siècle, le mot toccata devant
sans doute son nom au verbe toccare
(« toucher »), dans un contexte d’inventivité et d’effets contrastés
et sensibles. Il se poursuit en Allemagne où il prend une considérable ampleur
pendant tout le XVIIe siècle pour aboutir à l’apothéose grâce à Jean-Sébastien
Bach. La caractéristique de la toccata est d’être une pièce brillante et
virtuose, à la structure libre et peu construite, qui permet à l’interprète une
expression personnelle et la démonstration de sa dextérité. Elle est jouée dans
un contexte religieux ou profane. Le livret propose une intéressante notice
détaillée signée par Andrea Buccarella lui-même, dans laquelle il s’attache à
raconter l’évolution de la toccata, depuis ses origines à Venise, initiées par
Andrea Gabrieli et Annibale Padovano, jusqu’à sa diffusion aux Pays-Bas et dans
le Nord de l’Allemagne, et son développement au fil du temps. Sans négliger les
questions d’attribution ou les circonstances d’écriture. Les compositeurs
choisis pour illustrer l’évolution d’un peu plus de cent cinquante ans de
clavecin sont Merulo, Sweelinck - qui établit une synthèse entre les influences
de la Cité des Doges avec les virginalistes anglais -, Picchi, Frescobaldi,
Rossi, Froberger, Kerll, Weckmann, Buxtehude, Reincken et Jean-Sébastien Bach.
La flamboyante BWV 912, qui semble dater de la période de Weimar entre 1709 et
1712, brille en fin de programme. On est séduit par le choix intelligent de
chacune des pièces, d’autant plus que Buccarella utilise des copies de quatre
clavecins différents - dont le descriptif des caractéristiques techniques
ravira les spécialistes -, deux dans le style italien, un instrument flamand et
un autre dans le style allemand, offrant à ce répertoire un éventail de
couleurs. On se rend compte au fil de l’écoute que les interférences entre les
influences régionales réciproques sont fréquentes et adaptées par les
compositeurs selon leurs choix artistiques.
Le soliste est à l’aise dans toutes
les inflexions, toutes les nuances, toutes les finesses. Il a présenté ce
programme en concert à plusieurs reprises, notamment au Festival Musical du
Hainaut, avec un succès public mérité. Acquérir ce CD, c’est recréer la magie
de l’instant si vous étiez présent, mais c’est surtout se donner la possibilité
de l’enchantement renouvelé à domicile, ce qui est un atout non négligeable
pour les soirées d’hiver à venir. Car le clavecin, c’est aussi un ami qui
réconforte…
Jean Lacroix