Vers le CD |
Un grand classique
des scènes lyriques, le Faust de
Gounod, bénéficie d’un magistral retour aux sources grâce à l’inlassable
travail du Palazzetto Bru Zane, le centre de musique romantique française
installé à Venise, dont nous avons déjà recensé d’importantes réalisations
d’opéras de Méhul, Lalo et Cocquard, Messager ou Offenbach qui se sont toutes
révélées de grandes réussites. Gounod a été lui-même bien servi avec Cinq-Mars ou Le Tribut de Zamora. On monte encore d’un cran cette fois, avec la
version originale du chef-d’œuvre du même compositeur, proposée selon la
formule traditionnelle de ce label en un élégant livre-disque contenant 3 CD
(BZ 1037), sous couverture sur fond rouge du plus bel effet, avec de
passionnants textes explicatifs en prime, signés par des spécialistes, parmi
lesquels Gérard Condé, auteur d’une remarquable biographie sur Gounod (Paris,
Fayard, 2009).
La version
traditionnellement jouée est celle qui est entrée au répertoire en 1869 au
Palais Garnier. Mais dix ans plus tôt, Gounod avait proposé au Théâtre-Lyrique une
mouture originale de Faust, qui
comportait des dialogues parlés et des mélodrames ; par ailleurs, des airs
n’étaient pas présents, comme celui de Valentin « Avant de quitter les lieux », et le fameux Chœur des soldats était bien
différent. Gounod ne cessa de remanier
sa partition depuis sa première écriture, puis d’y apporter des modifications
afin de l’adapter au nouveau lieu qui devait la recevoir. On lira à ce sujet
avec le plus grand intérêt tous les détails de ces apports ou suppressions,
détaillés dans plusieurs articles du livret.
L’audition de la première
version, jouée sur instruments originaux et confiée à la direction fluide,
subtile et forte en même temps de Christophe Rousset à la tête des Talens
Lyriques, permet de constater l’importance attachée au départ par Gounod à des
rôles secondaires. Mais elle fait aussi entrer le mélomane dans un univers
chatoyant qui se développe dans une atmosphère pleine de rythmes et de couleurs
qui ne font jamais baisser la tension ni l’intérêt. On assiste même à des
scènes plus légères, avec des effets qui relèvent du comique, que le
compositeur ne conservera pas. On pense parfois à Hérold ou à Adam. Laissons
aux spécialistes le jeu des comparaisons pour nous limiter à l’enchantement de
cette version originale. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter, sur le
troisième CD, La Nuit de Walpurgis de
l’acte IV. C’est d’une confondante vérité imaginative, les chœurs des follets
ou des sorcières et le chant bachique « Doux
nectar, en ton ivresse… » se déployant comme dans un rêve. Quant au
Final de l’opéra, qui s’ouvre avec majesté par des volées de cloches
impressionnantes, il est grandiose, dans un éclatement dramatique qui donne des
frissons.
Pour une telle
réussite, il fallait une distribution à la hauteur, d’autant plus que tout le
monde a dans l’oreille la version d’André Cluytens avec les somptueux Nicolaï
Gedda, Victoria de Los Angeles et Boris Christoff, ou celle de Georges Prêtre
avec l’équipe formée par Placido Domingo, Mirella Freni et NicolaÏ Ghiaurov.
Pour ce rajeunissement de la partition, le choix s’est porté sur Benjamin
Bernheim pour le rôle de Faust. Choix indiscutablement idéal, car la voix du
ténor est claire et ferme, avec des accents ardents et un timbre souple. Il
rappelle le souvenir, que l’on a souvent estimé inégalable, de la prestation de
Nicolaï Gedda, ce qui n’est pas peu dire. Bernheim, né à Paris, a fait ses
études de chant à Lausanne et s’est produit sur maintes scènes internationales.
Il incarne Faust, il l’est de toutes ses fibres, avec des transports bienvenus de
juvénilité. Méphisto, c’est Andrew-Foster Williams, baryton-basse anglais qui
apporte au personnage sa part d’intentions diaboliques, non sans une once
d’humour. Saluons aussi le Valentin de Jean-Sébastien Bou, le Siebel de
Juliette Mars, Ingrid Perruche en Dame Marthe ou Anas Séguin, en Wagner
pittoresque. Tous sont dignes du projet et le servent avec justesse. Reste
Marguerite, pour laquelle le choix s’est porté sur Véronique Gens, dont nous ne
cessons de saluer les qualités vocales et scéniques. La soprano entre dans le
côté dramatique du personnage avec l’intelligence et l’investissement qu’on lui
connaît, sans peut-être le grand abattage des divas signalées plus avant, mais
avec une sombre intensité tragique qui nous touche au plus profond de nous-mêmes.
La réussite de cet enregistrement passe aussi par le travail exemplaire des
Chœurs de la radio flamande, parmi les plus beaux et les plus en adéquation que
l’on ait connus. Leur prestation est d’un niveau exceptionnel, dans l’ampleur
comme dans l’homogénéité. Soulignons enfin le bonheur que l’on ressent à écouter le texte, à le savourer, car il est
servi par des dictions claires et intelligibles, ce qui, dans l’opéra français,
est loin d’être monnaie courante.
L’enregistrement de
cette résurrection (il n’y a pas d’autre mot) a été réalisé à la Salle Gramont
du Conservatoire Lully de Puteaux les 10, 11 et 13 juin 2018 et le lendemain,
au Théâtre des Champs-Elysées. On y participe avec passion, et l’on n’émet en
fin de compte qu’un regret : ne pas y avoir assisté. Quel enrichissement
du répertoire !
Jean Lacroix