dimanche 29 mars 2020

La bonne nouvelle du jour...( confinement 6). "Brux...elles" une nouvelle de Michel Torrekens parue dans le Marginales n°236 en 1999


Nous avons choisi la bonne nouvelle du jour dans le numéro qui clôturait le siècle et le millénaire, celui paru en décembre 1999 sous le titre "Bruxelles est un pluriel". En 2000, Bruxelles devenait capitale culturelle de l'Europe...
Dans son éditorial, Jacques De Decker souligne l'apport de Marginales à cette grande fête de la culture: "Des nouvelles sont nées, des évocations inspirées, des impromptus, des utopies. La littérature bruxelloise s’est, du même coup, considérablement enrichie. Et voilà Bruxelles, par la même occasion, plus susceptible d’être mentionnée ailleurs que dans les pages politiques, et en manchette des journaux économiques."
Nous avons choisi une nouvelle du journaliste et écrivain Michel Torrekens dont le dernier roman en date rencontre un beau succès populaire et critique: "L'hirondelle des Andes" (paru aux Editions Zellige) 
Pas moins de vingt-sept écrivains ont porté leur contribution à ce numéro dédié à la capitale de l'Europe, dont Anne-Marie Lafère, Françoise Lalande, Françoise Lison Leroy, François de Callatay, Gaston Compère...
Bonnes lectures

Jean Jauniaux, 29 mars 2020























Aux Brux… elloises

Une nouvelle de Michel Torrekens


Je n’ai plus l’habitude de ce froid piquant, de cet air coupant. Dans le quartier, la vieille façade de la gare et la statue d’un seigneur de l’industrie métallurgique sont les témoins de mes anciennes années passées ici. Il faut que je reconstitue mon puzzle. Je ne suis pas encore arrivé. Je me rapproche peu à peu du personnage que je suis censé être. Je me cherche, je tourne en rond. Je parcours le labyrinthe des rues. Tout a tellement changé ici. Des efforts énormes de rénovation ont été entrepris. 

J’ai fixé rendez-vous à Irena dans le café Le Gembloux, où nous avions nos habitudes. Nous commencions souvent nos journées par cette halte rituelle, hors du temps, avant que la routine d’une journée de travail ne nous agrippe. Irena venait d’une autre capitale, séparée de sa sœur jumelle, après qu’un printemps a tourné au cauchemar. Depuis, la saison des fleurs a refleuri même si elle ne s’est pas tout à fait départie de ses épines. Irena travaille dans la Bibliothèque encore royale qui s’est érigée à l’ombre de la statue équestre du roi chevalier et sous le regard soumis de la reine infirmière. Le couple royal est séparé pour l’éternité par un boulevard de bitume, de béton, de carrosseries et de gaz d’échappement. La nouvelle patrie d’Irena: Babel et les livres… Nous pouvions en parler des heures durant. Je l’avais rencontrée par hasard, alors qu’elle achetait sa provision de bouquins comme d’autres chargent un caddie. Cela m’avait fait rire. Je souhaitais en savoir davantage. Depuis, c’est elle qui établissait ma liste de course en librairie. Nous n’avons jamais eu d’autres complicités ménagères que celle-là. Aujourd’hui, la bibliothèque qui nous sépare doit ressembler à la Grande muraille de Chine. Retrouverons-nous le temps perdu ? (...) 



Bruxelles est un pluriel

Extrait de l'éditorial de Jacques De Decker du 21 décembre 1999


" Bruxelles se trouve dans tous les atlas, mais pratiquement pas sur les planisphères littéraires. On ne rêve pas de Bruxelles comme de Dublin ou de Vienne, de Lisbonne ou de Stockholm. Il lui manque, pour cela, l’aura que confère à une vile l’imaginaire de ses écrivains. En réalité, ce constat désolé n’est pas entièrement exact.

Plein de textes ont Bruxelles pour théâtre, mais ils n’ont malheureusement pas bénéficié du rayonnement suffisant. Il faudrait se livrer à une véritable archéologie textuelle pour porter au jour les pages que la ville a inspirées. Et pas seulement à des auteurs belges, d’ailleurs. Il y a de magnifiques poèmes de Auden, les considérations désenchantées de Charlotte Brontë, les sarcasmes de Baudelaire. Le goût de l’auto-dénigrement et la capacité de se moquer de soi ont fait des Belges les meilleurs propagandistes de la grande dénonciation de l’auteur des Fleurs du Mal, qui est venu perdre l’esprit en Belgique. (...) "