dimanche 29 octobre 2017

"Toy Boy" et "Dans les griffes du Doudou" : les deux derniers livres d'Alain Dartevelle

"Dans les griffes du Doudou" 
Collection "Belgiques" - Editions Ker
"Toy Boy"
Editions Académia

Rencontre avec 
Alain Dartevelle



Nous venons d'apprendre le décès de l'écrivain Alain Dartevelle, qui nous a quittés dans la nuit du 6 au 7 décembre 2017. Nous l'avions interviewé quelques jours auparavant , le 16 novembre 2017 dans la chambre de l'Hôpital Erasme à Bruxelles où il luttait contre la maladie qui l'emporta. En annexe à cette recension du livre "Dans les griffes du Doudou", nous mettons en ligne l'enregistrement de cette rencontre qui est disponible en cliquant ici

Un hommage lui a été également rendu par PEN Belgique














Une adresse à Luc Dellisse, "indéfectible frère astral à travers tourments et bonheurs" ouvre sous le signe de la complicité le recueil de nouvelles qu'Alain Dartevelle publie dans la nouvelle collection des Editions KER : "Belgiques".

Avant de me plonger vraiment dans sa lecture, je parcours le livre, je l'ouvre au hasard, au gré des titres ou des exergues (citations de Rilke ou d'Hergé, de Magritte et de Lewis Carrol pour n'en citer que quatre sur les dix nouvelles qui composent le recueil), je tente de deviner le fil conducteur avant qu'il ne se dévoile, je tente de le débusquer derrière  les titres. Ceux-ci jouent de l'énigme et de l'allusion, citant quelque nom de la mythologie belge (Tintin, Magritte),  quelque géographie bruxelloise ("Parc Josaphat") ou quelque folklore ancestral ("Dans le griffes du Doudou"). 

Je me promets de lire chaque nouvelle attentivement avant de rendre compte de l'ensemble, mais une sorte de prémonition me conduit d'emblée vers le "Parc Josaphat" qui clôt le volume. Est-ce parce que le titre me semblait différent des autres? Plus objectif, désignant un lieu de la commune de Schaerbeek, sans détour, comme à l'état brut, sans recherche apparente de double sens comme on aime à les débusquer lorsque l'on est à la recherche du titre d'une oeuvre. Les premières lignes confirment que nous sommes dans le registre de l'émotion transcendée par l'écriture. Le narrateur, convalescent, se force à une promenade avec sa compagne, inquiète de cet effort qu'il veut s'imposer. Le lecteur suit cette "promenade de santé" comme la désigne , ironique, le narrateur, marche dans les allées, croise les enfants joueurs, contemple la statue représentant "Borée, le dieu des vents du Nord", une oeuvre d'un "certain Joseph Vandamme". Le promeneur achèvera épuisé cette traversée du parc avant qu'il ne faille appeler une ambulance après qu'il eut un malaise. Dans l'ambulance, l'infirmier place un masque à oxygène, ayant "décrété qu'un apport en oxygène (lui) ferait le plus grand bien". Couché sur la civière, "inspirant l'oxygène à plein nez", le narrateur comprend que c'est Borée lui-même, "fils d'un Titan et de l'Aurore" qui lui enjoint de guérir. "En voie de guérison! me répétais-je dans un émerveillement absolu."
Joseph Vandamme, le sculpteur, est une des figures qui jalonnent le parcours esthétique et artistique qu'a choisi d'emprunter Alain Dartevelle pour nous faire traverser ses Belgiques. Eclectique, le romancier devient Chaminou personnage de bande dessinée de Raymond Macherot et nous conduit par le biais d'une histoire délicieusement sensuelle ("Chez ma souris blonde"); il témoigne de la violence des attentats terroristes de Zaventem et de la station de métro Maelbeek, et de la "catalepsie urbaine" qui s'ensuit et le conduit à traverser Bruxelles au lieu de participer à la réunion qui l'y conduisait. Il se rend chez son ami Marc, professeur de BD, qui l'emmène à la Maison Erasme, où des écorchés et des vanités semblent les miroirs anciens des attentats et des corps blessés et morts, déchiquetés qu'ils laissent dans leur sillage barbare. 
Le recueil s'ouvre, je suis revenu à la première nouvelle, sur une évocation d'une rare intensité dans la perception et l'empathie, du rapport d'Hergé à son oeuvre, de cette vampirisation de l'artiste par sa créature, du questionnement ultime de l'artiste sur sa propre oeuvre ("Tintin jusqu'à la fin?"). 
L'autobiographie surgit dans la nouvelle-titre: "Dans les griffes du Doudou"  Le narrateur explore les souvenirs de l'écrivain, évoquant ce  fonctionnaire arrivé à la retraite qui  se réjouit de pouvoir  achever des manuscrits entrepris pendant la vie active, ou qui narre un retour dans la région de l'adolescence. Cette visite devient mise en abyme, se déploie ,  vers le souvenir "du tournage d'une émission que la télévision belge consacrait au parcours de l'écrivain prometteur que j'étais censé être" , cette émission qui ira puiser aux origines, à Cuesmes, dans la maison familiale, où l'on retrouve la disposition des demeures hennuyères: la pièce de devant, la cour derrière, entre les deux, la cuisine-séjour-salle à manger, l'absence d'une véritable salle de bain... Se dévide alors, par association de fantômes, les compagnons de route d'Alain Dartevelle qui eux sont restés dans les "griffes du Doudou", ce Dragon que Saint Georges terrasse chaque année: son frère Peter, qu'il finit par évoquer même s'il ne s'est jamais entendu avec lui, et ce souvenir est des plus émouvants; Kouroch, un étudiant iranien; Albin Messy, désespéré "dans la routine, dans la grisaille de Mons où macérait sa vie."; Christian Lafosse, aussi, peintre fulgurant, dont "aujourd'hui (il ne reste) pas la moindre trace sur Internet".

Il reste des nouvelles encore à lire dans ce recueil. Je  ne veux pas tenter ici de les décrire toutes. Il faut s'y plonger, lentement les absorber, se laisser envelopper par le regard de cet homme qui nous est si proche, qui semble faire un bilan d'une vie, alors que le livre est jalonné de projets (la grand-mère, le frère, la mère "mériteraient un livre" nous dit-il de ci de là, au détour d'un souvenir), qui, en réalité, nous interroge sur l'énigme du destin individuel, sur l'impérieuse nécessité de l'art, sur le temps qui entrave sa réalisation. 
Et puis ce recueil est le témoignage poignant de ce que peut l'écriture lorsqu'elle convoque l'essentiel, et nous tend ce miroir d'humanité et d'empathie comme seul peut le faire un grand écrivain.

Jean Jauniaux, Bruxelles, le 29 octobre 2017 et le 8 décembre 2017. 

La collection "Belgiques" est dirigée par Marc Bailly  dont le site "Les Rencontres de Marc Bailly"  est un foisonnant archipel d'entretiens avec des écrivains belges francophones qu'il soumet, avec une gourmandise et une curiosité aussi enjouées qu'érudites. Nouvelliste, directeur de collections littéraires (Chez KER Editions et aux Éditions Lune Écarlate), rédacteur en chef de la revue Phénix, créateur du Prix Bob Morane (dont Alain Dartevelle est un des lauréats) , il est aussi anthologiste et critique littéraire. Pouvait-on faire meilleur choix que celui-là pour développer cette collection?

L'éditeur Xavier Vanvaerenberg a eu l'initiative de "Belgiques" dont les premiers titres confiés à Vincent Engel, Luc Baba et Alain Dartevelle constituent déjà un florilège indispensable de littérature belge francophone, dans un registre, la nouvelle, qu'il contribue ainsi à promouvoir. 
Rappelons que les Editions KER publient aussi la revue MARGINALES,  une revue trimestrielle publiant, elle aussi,  des nouvelles. 
Un souhait? Que bien vite un éditeur flamand s'empare de ces nouvelles et le publient en traduction: il y aurait là un réseau de connexions sensibles à établir entre les deux sensibilités littéraires du petit Royaume...

Sur le site de l'Editeur de "Dans les griffes du Doudou":

Belgiques est une collection de recueils de nouvelles. Chaque recueil, écrit par un seul auteur, est un portrait en mosaïque de la Belgique. Des paysages, des ambiances, du folklore, des traditions, de la gastronomie, de la politique, des langues… Tantôt humoristiques, tantôt doux-amers, chacun de ces tableaux impressionnistes est le reflet d’une Belgique : celle de l’auteur. Trois recueils sortiront chaque année. Trois recueils et donc trois auteurs.

Sur le site de l'éditeur "Academia" 

Un recueil de huit récits, en ouverture duquel la styliste Anna Winfall choisit de s'offrir un intermède sensuel avec le dénommé Stany : un toy-boy sur mesure, à la mesure de son désir. Même si le vaste jeu de feintes et simulacres qui va se déployer risque de conduire à tout, sauf à un happy end...

Alain Dartevelle est l'auteur d'une dizaine de romans et d'une centaine de nouvelles où s'entrecroisent les imaginaires du fantastique, de l'érotisme et du polar. Avec le recueil TOY BOY, il suggère qu'en ce bas monde comme en soi-même, la fiction et le réel ont sans cesse partie liée.