Le plaisir n’était
donc pas encore complet ? Après la nouveauté Anamorfosi et le coffret de vingt CD célébrant le vingtième
anniversaire du Poème Harmonique, que nous avons évoqué récemment, un superbe
CD/livre de 2 CD (Alpha 462) vient s’ajouter à la fête. L’attirante couverture
reproduit un fragment d’un des Concerts
des oiseaux, tableau haut en couleurs de Franz Snyders (1579-1657) qui
s’était fait une spécialité de ce genre pictural. Cela correspond bien à l’une
des spécificités des enregistrements que nous propose depuis deux décennies le
Poème Harmonique, à savoir les Airs de cour. Cet album d’une absolue beauté
vocale est composé d’extraits de plusieurs disques parus entre 1999 et 2015, répartis
en sous-chapitres : airs, récits et entrées de ballets, la nature
confidente, les ravages d’amour, l’amour récompensé, air à boire, airs à
danser, etc.
Le livret, en français,
en anglais et en allemand, propose trois textes des plus intéressants. Le
premier, signé par Thomas Lecomte, rappelle que « durant plus d’un siècle, des derniers Valois aux premières années du
règne de Louis XIV, l’air de cour fut véritablement le genre emblématique de la
musique française profane et l’un des symboles d’une culture aristocratique en
plein essor. » Le commentateur précise que si de nombreux musiciens
« se sont fait connaître en
sacrifiant à ce genre à la mode », trois figures, dont il explicite le
parcours créatif, ont dominé cette production : Pierre Guédron
(1655-1620), Antoine Boesset (1587-1643) et Etienne Moulinié (1599-1676). Ils
sont bien représentés dans ce programme. De son côté, Alexandre Maral évoque la
« civilisation de l’air de cour » et explicite les divers thèmes
abordés par le genre ; ce sont ceux que la structure de l’affiche met en
évidence. Le tout se complète par un entretien avec le maître d’œuvre du Poème
Harmonique, Vincent Dumestre, sous le titre « L’air de cour est assurément
un art vocal majeur ». Sont ici abordés le développement sur une période
délimitée, en territoire français et même parisien, sous l’impulsion de foyers
artistiques soutenus par des mécènes, princes ou dames cultivées, à commencer
par Catherine de Médicis, la poésie raffinée autant que le bon vin et la danse,
l’expressivité de pièces qui ont la faculté de ne pas se ressembler et de se
renouveler à chaque fois comme une éloquente saynète. Dumestre ajoute que ce
socle de la musique française est un répertoire peu représenté au concert comme
au disque, alors qu’on en retrouve des traces dans l’opéra français qui va
suivre, mais aussi en Allemagne ou en Italie.
Ces deux CD/livre
se dégustent avec un plaisir non dissimulé, car au-delà des trois compositeurs
déjà cités, d’autres, dont les noms résonnent à nos oreilles comme des chemins
sur lesquels s’aventurer, sont présents : Henry de Bailly, Jean Boyer,
Fabrice-Marin Caiétain, Girard de Beaulieu, Adrian Le Roy, Charles Tessier,
Guillaume Costeley, Luis de Briceno… Il s’agit de savourer ces airs comme ils
le méritent, qu’il s’agisse de bon goût, d’appels du cœur comblé ou déçu, de la
beauté féminine, de l’intimité de la nature, de turqueries ou de moments joyeux
au cours desquels le vin et la danse font bon ménage. Le tout est servi avec
une grande intelligence, un sens confondant des nuances, des couleurs
changeantes et miroitantes et aussi une certaine forme de théâtralité. On peut
ainsi picorer au gré de sa fantaisie ou suivre le fil des propositions
musicales, aidé par la reproduction de tous les textes en langue originale ou
en traduction. Le résultat est un cadeau sonore, digne de figurer en très bonne
place dans toutes les discothèques. Ce projet enchanteur est aussi le reflet du
formidable travail d’une équipe dont la composition intégrale (ils sont
nombreux, les partenaires !) est reproduite. Les vingt ans du Poème
Harmonique témoignent du haut niveau du parcours accompli, dont on attend
encore monts et merveilles.
Jean Lacroix