vendredi 6 décembre 2019

Des Airs de cour pour le Poème Harmonique

                
Le plaisir n’était donc pas encore complet ? Après la nouveauté Anamorfosi et le coffret de vingt CD célébrant le vingtième anniversaire du Poème Harmonique, que nous avons évoqué récemment, un superbe CD/livre de 2 CD (Alpha 462) vient s’ajouter à la fête. L’attirante couverture reproduit un fragment d’un des Concerts des oiseaux, tableau haut en couleurs de Franz Snyders (1579-1657) qui s’était fait une spécialité de ce genre pictural. Cela correspond bien à l’une des spécificités des enregistrements que nous propose depuis deux décennies le Poème Harmonique, à savoir les Airs de cour. Cet album d’une absolue beauté vocale est composé d’extraits de plusieurs disques parus entre 1999 et 2015, répartis en sous-chapitres : airs, récits et entrées de ballets, la nature confidente, les ravages d’amour, l’amour récompensé, air à boire, airs à danser, etc.
Le livret, en français, en anglais et en allemand, propose trois textes des plus intéressants. Le premier, signé par Thomas Lecomte, rappelle que « durant plus d’un siècle, des derniers Valois aux premières années du règne de Louis XIV, l’air de cour fut véritablement le genre emblématique de la musique française profane et l’un des symboles d’une culture aristocratique en plein essor. » Le commentateur précise que si de nombreux musiciens « se sont fait connaître en sacrifiant à ce genre à la mode », trois figures, dont il explicite le parcours créatif, ont dominé cette production : Pierre Guédron (1655-1620), Antoine Boesset (1587-1643) et Etienne Moulinié (1599-1676). Ils sont bien représentés dans ce programme. De son côté, Alexandre Maral évoque la « civilisation de l’air de cour » et explicite les divers thèmes abordés par le genre ; ce sont ceux que la structure de l’affiche met en évidence. Le tout se complète par un entretien avec le maître d’œuvre du Poème Harmonique, Vincent Dumestre, sous le titre « L’air de cour est assurément un art vocal majeur ». Sont ici abordés le développement sur une période délimitée, en territoire français et même parisien, sous l’impulsion de foyers artistiques soutenus par des mécènes, princes ou dames cultivées, à commencer par Catherine de Médicis, la poésie raffinée autant que le bon vin et la danse, l’expressivité de pièces qui ont la faculté de ne pas se ressembler et de se renouveler à chaque fois comme une éloquente saynète. Dumestre ajoute que ce socle de la musique française est un répertoire peu représenté au concert comme au disque, alors qu’on en retrouve des traces dans l’opéra français qui va suivre, mais aussi en Allemagne ou en Italie.

Ces deux CD/livre se dégustent avec un plaisir non dissimulé, car au-delà des trois compositeurs déjà cités, d’autres, dont les noms résonnent à nos oreilles comme des chemins sur lesquels s’aventurer, sont présents : Henry de Bailly, Jean Boyer, Fabrice-Marin Caiétain, Girard de Beaulieu, Adrian Le Roy, Charles Tessier, Guillaume Costeley, Luis de Briceno… Il s’agit de savourer ces airs comme ils le méritent, qu’il s’agisse de bon goût, d’appels du cœur comblé ou déçu, de la beauté féminine, de l’intimité de la nature, de turqueries ou de moments joyeux au cours desquels le vin et la danse font bon ménage. Le tout est servi avec une grande intelligence, un sens confondant des nuances, des couleurs changeantes et miroitantes et aussi une certaine forme de théâtralité. On peut ainsi picorer au gré de sa fantaisie ou suivre le fil des propositions musicales, aidé par la reproduction de tous les textes en langue originale ou en traduction. Le résultat est un cadeau sonore, digne de figurer en très bonne place dans toutes les discothèques. Ce projet enchanteur est aussi le reflet du formidable travail d’une équipe dont la composition intégrale (ils sont nombreux, les partenaires !) est reproduite. Les vingt ans du Poème Harmonique témoignent du haut niveau du parcours accompli, dont on attend encore monts et merveilles.

Jean Lacroix