mardi 10 décembre 2019

"Les faux Simenon"...un roman (étonnant et stimulant) de Nicolas Marchal, à la manière d'un vrai Simenon...

Les Editions Weyrich, dont on salue ici une nouvelle fois la dynamique éditoriale en Belgique francophone, ont été bien inspirées d'inscrire au catalogue de leur collection Plumes du coq, le dernier roman en date de Nicolas Marchal: Les faux Simenon.

Voici un livre que nous ouvrons, par un dimanche de pluie, un de ces dimanches d'automne où une forme de tristesse indécise pleut du ciel, où rien ne vient à l'esprit qui pourrait enchanter quelque peu la perspective des heures à venir, si ce n'est, justement, la découverte d'un roman que le courrier a apporté avec d'autres à la rentrée littéraire d'octobre. Le titre  "Les Faux Simenon" nous semblait, avant d'avoir achevé la lecture du roman, inspiré de ces tentations mémorielles que nous impose le calendrier des biographies : Georges Simenon est mort il y a trois décennies. Les ouvrages à son propos se déclinent en nombre dans les vitrines des librairies, les colloques se réunissent (ainsi celui que l'Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique réunira sous peu), les ré-éditions se proposent à la (re)découverte des lecteurs. 
Ici, il s'agit d'autre chose. Si le livre était apparu de façon anonyme, on aurait pu imaginer, non pas un "faux Simenon", mais un inédit du Maître liégeois, qu'un chercheur aurait déniché dans l'arrière salle d'une bibliothèque de quartier ou d'une bouquinerie. En écrivant ce roman, Nicolas Marchal a dû éprouver la singulière sensation souvent décrite par Simenon lors d'interviews: celle de ne pas juger ses personnages, de les inscrire, par la phrase courte et sèche, en dehors de toute psychologie d'apparence, dans l'espace du réel, du quotidien, des petites choses qui créent, sans que l'on ne s'en rende compte, le véritable décor du destin. Marchal déploie l'art de la phrase de peu de mots, où ce qui est dit se déploie à la lecture, ouvre l'horizon des lieux et des âmes, happe le lecteur hypnotisé. Cette qualité de fulgurance qui  fait du lecteur le protagoniste, le témoin immédiat et présent de ce que l'auteur invente à notre intention. Le romancier est le premier témoin des péripéties qu'il imagine. Le lecteur, lorsque l'écriture est réussie (et c'est le cas ici), en devient l'observateur proche et empathique. 
Le fil narratif est simple, nous le reproduisons tel que l'éditeur le propose en quatrième de couverture:

C’est l’histoire d’un jeune homme qui vit dans les livres et a décidé une fois pour toutes que l’amour n’existait pas. C’est l’histoire d’une jeune fille qui vient reconstruire sa vie à Liège, loin de son Lisbonne natal, là où elle pourra retrouver la Danseuse du Gai-Moulin. C’est l’histoire d’un vieux monsieur assis sur un banc qui fume la pipe en pestant sur les résultats du Standard, peu soucieux d’afficher sa parfaite ressemblance avec Georges Simenon…

Et puis, il y a Liège dont ce livre est, à la manière d'une ancienne collection parue chez Autrement, un guide insolite et intime. Ainsi, le romancier entraînant son personnage dans l'impasse Nihard, nous emmène dans une des plus stimulantes évocations des impasses liégeoises. Le narrateur, "nous", n'hésite pas à commenter le comportement des personnages, leurs exclamations, leurs songes et fantasmes, ouvrant ainsi la brèche dans l'illusion romanesque et nous laissant, sourire aux lèvres, partager la complicité qu'il développe avec ses personnages, en  1983, date à laquelle Georges Simenon a cessé d'écrire des romans. Il y a Serge, le jeune homme déjà évoqué, futur docteur es lettres et futur conférencier de haut vol; Pilar, qui apprend le français pour lire Simenon; Jean-Luc, merveilleux personnage de clochard dont on découvre, à la fin du livre, ce qui lui a valu ce destin après avoir quitté la Suisse où il coulait des jours heureux... Mais, il faut lire le livre pour en découvrir tous les tours et détours, comme il faut se perdre dans le Carré pour vibrer avec Liège... vibrer avec l'intensité tellurique d'un séisme. Nous sommes arrivés, à la fin du livre, à la date du 8 novembre de l'année 1983...

Un roman à ouvrir, lire et achever d'une traite...comme un Simenon. Un vrai...


Jean Jauniaux
Le 10 décembre 2019