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Tout récemment, nous avons
recensé ici même des Sonates en trio de Erlebach (1657-1714) et de Platti
(1697-1763). Nous y ajouterons l’opus 5 de Henri-Jacques de Croes, qui a plus
que son mot à dire dans ce domaine de la musique de chambre. Comme le dit très
bien l’intéressante notice du livret d’un CD Linn (CKD 597), signée par Miel
Pieters, la découverte d’un musicien
moins connu écorne le mythe selon lequel « on n’aime pas ce qu’on ne
connaît pas ». Ce qui doit nous réjouir aussi, c’est que cet
enregistrement est révélateur d’un
phénomène historique bruxellois atypique. Nous nous inspirons de Miel
Pieters pour dresser un portrait de Henri-Jacques de Croes.
Né à Anvers en 1705, ce
violoniste de formation et de talent officia dès ses dix-huit ans à la chapelle
de Saint-Jacques dans sa ville natale. En 1729, il était appelé comme chef
d’orchestre à la cour du prince de Thurn und Taxis à Francfort. Installée à
Bruxelles en 1516 pour diriger le service postal de Maximilien Ier, cette
famille était retournée en Allemagne au moment de la guerre de succession
d’Espagne au début du XVIIIe siècle. Une nomination à Ratisbonne comme
représentante de l’empereur la fit déménager, entraînant son orchestre avec
elle. Qu’allait faire de Croes ? Il saisit l’opportunité d’une proposition
du gouverneur Charles de Lorraine pour prendre la direction de l’orchestre de
la cour de Bruxelles ; l’homme politique connaissait la qualité du travail
accompli par de Croes qui avait développé une phalange de premier plan reconnue
dans l’Europe entière. Charles de Lorraine voulait une approche moderne de la
musique, loin des fastes de la cour française. C’est le style galant qui
s’imposa à de Croes avec une touche de rococo et une influence italienne. Le
compositeur eut par ailleurs un rôle social vis-à-vis des musiciens dont il
arriva à améliorer la situation financière, peu lucrative à l’époque. Lui-même
connut des difficultés lorsque son épouse décéda en 1760 et qu’il dut faire
face aux dépenses effectuées par son fils Henri-Joseph, lui aussi musicien, qui
s’était installé à Ratisbonne où il avait épousé une cantatrice célèbre, Maria
Augusta Houdier. De Croes dut vendre un grand nombre de ses propres œuvres (une
bonne trentaine de messes, des dizaines de motets, 28 symphonies et 32 sonates)
à Charles de Lorraine. Il devait décéder en 1786.
Le label Linn nous rend les Sonates en trio opus 5, les opus 1 à 4
nous étant parvenus. Cet opus 5, lui, a été longtemps perdu, considéré comme
« égaré » (d’où le titre du CD). Mais il en existe un unique
exemplaire de l’édition parisienne des environs de 1735 à 1746, conservé aux
USA, à la Bibliothèque universitaire de Virginie. La moitié des six sonates de
l’opus 5 consiste en copies de l’opus 1. Elles sont écrites dans un style
galant et sous influence italienne, nous l’avons déjà signalé, et ont bénéficié
d’innovations émanant de l’Ecole de Mannheim, cercle musical formé vers 1750
par Johann Stamitz, qui privilégia un style nouveau, plus enjoué. L’opus 5 se
révèle d’une grande finesse et d’une subtile délicatesse à l’audition, on y
retrouve des éléments gracieux, élégants, voire raffinés, qui font la part
belle aux ornements, avec des moments virtuoses dédiés aux instruments
solistes. Même si des instants de mélancolie se font parfois entendre, la
tonalité globale est optimiste et joyeuse.
Une belle découverte, qui ravira
les amateurs de ce type de musique. D’autant plus que les interprètes,
l’ensemble BarrocoTout, créé en 2013, qui se compose de Carlota Garcia à la
flûte traversière, Izana Soria au violon et Edouard Catalan au violoncelle,
soutenus par le clavecin de Ganaël Schneider, servent ces sonates dans l’esprit
lumineux qu’elles réclament.
Jean Lacroix