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Fasciné, le compositeur découvre
Venise, Florence, Milan, Rome, les peintres Fra Angelico, Le Titien, Raphaël,
dont un tableau lui inspirera Sposalizio,
ou encore Michel-Ange qui influencera Il
Penseroso à travers sa statue de Julien de Médicis. La littérature le subjugue. C’est à Pétrarque qu’il emprunte
l’exaltation des trois Sonnets 47, 104 et
123 et de leurs élans amoureux. Comme les beaux-arts, la poésie est au cœur
de ce qui n’est pas seulement une combinaison de notes et de sons, mais une
œuvre que l’on peut considérer comme rassembleuse, comme représentative d’un
art total. Le dernier morceau, le plus long, Après une lecture du Dante regroupe deux géants de la poésie. Dans
les années 1830, Liszt lit régulièrement La
Divine Comédie avec Marie d’Agoult. C’est l’Inferno qui le retient, il va traduire en musique les impressions
éprouvées face aux souffrances qui y sont dépeintes dans un mouvement
grandiose, puissant, très orchestral, qui tient de la sonate et de la
fantaisie, les termes accolés au titre, « fantasia quasi sonata », dévoilant
bien ses intentions. L’autre géant, c’est Victor Hugo, car le titre est
emprunté au vingt-septième poème du recueil Les
Voix intérieures, daté du 6 août 1836. On notera la légère erreur commise
par Liszt qui parle d’une lecture « du » Dante alors que Hugo parle
« de » Dante.
Si l’on voulait jouer au jeu de
la comparaison avec une intégrale récente qui date de 2011, celle de Bertrand
Chamayou, on constaterait avant tout une nette différence de climat. Le
Français use la plupart du temps de tempos légers, voire rapides, alors que
Piemontesi prend le parti de creuser le son, de laisser s’épanouir le
recueillement, la contemplation, l’introspection. Il privilégie la pudeur et
l’élévation spirituelle, donnant à ces pages une exaltation artistique et une
densité lyrique qui combinent la confidence à la largeur du propos. C’est beau,
c’est surtout prenant. Et cela n’empêche en rien les emportements virtuoses ni
la force déployée dans la vision dantesque. La même tendance contemplative
apparaît dans la Légende de St François
d’Assise placée en conclusion du cycle. Cette pièce des Fioretti des environs de 1863 évoque les
chants d’oiseaux dans un mysticisme subtil, que Piemontesi joue avec simplicité
et humilité, rendant un hommage presque céleste à la figure du saint.
Comme cela avait été le cas pour
le CD consacré à la Suisse, le label Orfeo joint un DVD qui reprend les
séquences italiennes des Années de
pèlerinage jouées au piano, mais pas la Légende.
On comprend d’autant mieux la démarche artistique de Piemontesi en le voyant
s’investir dans ce concert en quelque sorte privé et lorsqu’il détaille ce
qu’il veut exprimer dans le vaste morceau consacré à Dante. Mais le bât blesse,
hélas, dans la réalisation de ce film documentaire, qui n’est plus confié à
Bruno Monsaingeon cette fois, mais à Roberta Pedrini, qui se borne à montrer de
l’Italie de courtes et banales vignettes touristiques. On trouve aussi dans ce
DVD une séquence au cours de laquelle Piemontesi s’entretient avec un
musicologue italien autour des sonnets de Pétrarque et des amours de Liszt.
C’est intéressant, mais c’est un monologue : le pianiste, assis sagement,
écoute avec respect. On aurait préféré qu’il nous parle de son sentiment
intérieur face au poète. Les autres séquences : la déclamation des vers de
Pétrarque entre chaque pièce jouée du cycle, la causerie avec le musicologue ou
l’explication de Piemontesi autour de Dante, face au piano, sont traduites en
anglais seulement. Avec Monsaingeon, on avait droit aussi à des sous-titres en
français.
Ces réserves émises, précisons
que le CD, enregistré à Lugano en décembre 2017, est une vision moderne de haut
niveau qui donnera aux mélomanes des moments de bonheur intense et qui rend
justice à l’esprit de Liszt. Nous attendons avec impatience le troisième volet
de ces Années de pèlerinage et,
notamment, les ruissellements des Jeux
d’eau de la Villa d’Este. Avec, espérons-le, un DVD à la hauteur de
l’entreprise et de l’interprète.
Jean Lacroix