lundi 22 juillet 2019

Liszt en Italie : Années de pèlerinage par Francesco Piemontesi

Lien vers le CD DVD
Il aura fallu attendre un peu plus d’un an la parution chez Orfeo (C 982 191) du deuxième volet des Années de pèlerinage de Liszt dans la version du pianiste Francesco Piemontesi, qui fut troisième lauréat du Concours Reine Elisabeth en 2007. Cela en valait la peine. Après la Suisse, dont nous avons souligné en son temps les grandes qualités de raffinement, d’expressivité et de concentration, c’est l’Italie qui occupe le programme. Nous retrouvons les caractéristiques de cet artiste aux accents habités, sans afféterie, qui nous offre une vision de son pays (il est né à Locarno en 1983) telle que Liszt l’a senti et intégré après l’avoir parcouru. Les sept pièces qui composent ce cycle sont des réminiscences des séjours effectués en compagnie de Marie d’Agoult entre 1837 et 1839, au cours desquels Liszt est fortement marqué par cette terre des lettres et des arts. La composition va s’étendre sur plus d’une vingtaine d’années, jusqu’en 1861, date de l’édition définitive. Nous n’avons pas ici l’intégralité de cette deuxième année, les trois pièces Venezia e Napoli qui font office de supplément ne sont pas présentes, remplacées en complément par la Légende n° 1 : St François d’Assise. La prédication aux oiseaux (la Légende n° 2 était en ouverture du CD consacré à la Suisse). Le minutage aurait permis d’intégrer les trois pièces en question, mais ce choix d’éditeur est sans doute reporté au troisième volet qui devrait clôturer ce monument de l’esthétique lisztienne.
Fasciné, le compositeur découvre Venise, Florence, Milan, Rome, les peintres Fra Angelico, Le Titien, Raphaël, dont un tableau lui inspirera Sposalizio, ou encore Michel-Ange qui influencera Il Penseroso à travers sa statue de Julien de Médicis. La littérature le subjugue. C’est à Pétrarque qu’il emprunte l’exaltation des trois Sonnets 47, 104 et 123 et de leurs élans amoureux. Comme les beaux-arts, la poésie est au cœur de ce qui n’est pas seulement une combinaison de notes et de sons, mais une œuvre que l’on peut considérer comme rassembleuse, comme représentative d’un art total. Le dernier morceau, le plus long, Après une lecture du Dante regroupe deux géants de la poésie. Dans les années 1830, Liszt lit régulièrement La Divine Comédie avec Marie d’Agoult. C’est l’Inferno qui le retient, il va traduire en musique les impressions éprouvées face aux souffrances qui y sont dépeintes dans un mouvement grandiose, puissant, très orchestral, qui tient de la sonate et de la fantaisie, les termes accolés au titre, « fantasia quasi sonata », dévoilant bien ses intentions. L’autre géant, c’est Victor Hugo, car le titre est emprunté au vingt-septième poème du recueil Les Voix intérieures, daté du 6 août 1836. On notera la légère erreur commise par Liszt qui parle d’une lecture « du » Dante alors que Hugo parle « de » Dante.
Si l’on voulait jouer au jeu de la comparaison avec une intégrale récente qui date de 2011, celle de Bertrand Chamayou, on constaterait avant tout une nette différence de climat. Le Français use la plupart du temps de tempos légers, voire rapides, alors que Piemontesi prend le parti de creuser le son, de laisser s’épanouir le recueillement, la contemplation, l’introspection. Il privilégie la pudeur et l’élévation spirituelle, donnant à ces pages une exaltation artistique et une densité lyrique qui combinent la confidence à la largeur du propos. C’est beau, c’est surtout prenant. Et cela n’empêche en rien les emportements virtuoses ni la force déployée dans la vision dantesque. La même tendance contemplative apparaît dans la Légende de St François d’Assise placée en conclusion du cycle. Cette pièce des Fioretti des environs de 1863 évoque les chants d’oiseaux dans un mysticisme subtil, que Piemontesi joue avec simplicité et humilité, rendant un hommage presque céleste à la figure du saint.
Comme cela avait été le cas pour le CD consacré à la Suisse, le label Orfeo joint un DVD qui reprend les séquences italiennes des Années de pèlerinage jouées au piano, mais pas la Légende. On comprend d’autant mieux la démarche artistique de Piemontesi en le voyant s’investir dans ce concert en quelque sorte privé et lorsqu’il détaille ce qu’il veut exprimer dans le vaste morceau consacré à Dante. Mais le bât blesse, hélas, dans la réalisation de ce film documentaire, qui n’est plus confié à Bruno Monsaingeon cette fois, mais à Roberta Pedrini, qui se borne à montrer de l’Italie de courtes et banales vignettes touristiques. On trouve aussi dans ce DVD une séquence au cours de laquelle Piemontesi s’entretient avec un musicologue italien autour des sonnets de Pétrarque et des amours de Liszt. C’est intéressant, mais c’est un monologue : le pianiste, assis sagement, écoute avec respect. On aurait préféré qu’il nous parle de son sentiment intérieur face au poète. Les autres séquences : la déclamation des vers de Pétrarque entre chaque pièce jouée du cycle, la causerie avec le musicologue ou l’explication de Piemontesi autour de Dante, face au piano, sont traduites en anglais seulement. Avec Monsaingeon, on avait droit aussi à des sous-titres en français.
Ces réserves émises, précisons que le CD, enregistré à Lugano en décembre 2017, est une vision moderne de haut niveau qui donnera aux mélomanes des moments de bonheur intense et qui rend justice à l’esprit de Liszt. Nous attendons avec impatience le troisième volet de ces Années de pèlerinage et, notamment, les ruissellements des Jeux d’eau de la Villa d’Este. Avec, espérons-le, un DVD à la hauteur de l’entreprise et de l’interprète.

Jean Lacroix