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Né au Cap en Afrique du Sud en 1927, John Joubert est
décédé le 7 janvier 2019 ; il aurait eu 92 ans le 20 mars. Ce compositeur
à la musique résolument tonale, qui a toujours résisté aux sirènes
avant-gardistes, s’inscrit dans la grande lignée de la tradition de la musique
anglaise, si méconnue et si négligée chez nous. A tort, il faut le reconnaître,
car elle contient un grand nombre de chefs-d’œuvre dont les mélomanes sont
privés, faute d’inscription aux programmes des concerts. Un travail en
profondeur, qui est aussi celui de la critique musicale, est à accomplir dans
ce domaine anglo-saxon si varié. L’industrie du disque est là pour pallier les
carences. C’est le cas du label Lyrita, dont le catalogue fourmille de
merveilles dont la découverte est indispensable. Deux nouveaux CD sont là pour
nous convaincre.
John Joubert, dont les
ascendances sont franco-hollandaises, est très vite attiré par les arts, la
peinture, la littérature et la musique. Cette dernière va l’emporter. Il
découvre le chant choral, en particulier celui d’Edward Elgar et suit, dans son
pays natal, les cours de composition d’un professeur renommé, William Henry
Bell. Une bourse lui permet, dès 1946, de se perfectionner en Angleterre auprès
de personnalités comme Howard Ferguson. Il va y faire carrière, occuper des
fonctions académiques et s’atteler à un catalogue riche d’environ deux cents
numéros d’opus. Ses premières œuvres sont remarquées, jouées et publiées. C’est
le cas, entre autres, de ses partitions concertantes pour divers instruments.
En 1958, son Concerto pour piano op. 25,
qui ne cache pas sa filiation lointaine avec Beethoven à travers octaves ou arpèges,
est le résultat d’une commande du pianiste d’origine russe Iso Elinson qui a
été impressionné après avoir entendu en concert la première symphonie de
Joubert. La création de cette page a lieu par le dédicataire le 11 janvier
1959, avec l’Orchestre Hallé sous la direction de George Weldon. Une œuvre des
plus séduisantes qui fait appel à un orchestre de dimensions réduites, mais
avec une importante percussion confiée à deux solistes. La partie pianistique
est très virtuose, avec des motifs rythmiques incessants qui donnent une
ambiance dynamique et colorée à un paysage sonore dans lequel les flûtes, les
hautbois les clarinettes ou les bassons, tous par deux, mais aussi les cuivres
et les timbales, s’en donnent à cœur joie. Les trois mouvements déploient une
énergie incessante, sur la base d’un matériel thématique riche, avec des traits
contrastés ; ceux-ci maintiennent l’attention constante de l’auditeur à
travers des images sensibles qui alternent les phases tendres avec des
répétitions de notes dramatiques, dans une orchestration haute en couleurs. En
réalité, il s’agit plus d’une symphonie concertante qu’une page d’affrontement
avec l’orchestre, l’équilibre global est tout à fait maîtrisé. Au clavier,
Martin Jones offre une interprétation claire, précise et stylée de ce concerto
qui ouvre un CD Lyrita (SRCD.367) de belle facture, carte de visite idéale pour
ce compositeur de talent.
Un autre aspect majeur de la
production de Joubert se situe dans le domaine de l’opéra, auquel il a consacré
des œuvres inspirées de romans de George Eliot ou de Joseph Conrad, mais aussi
de Jane Eyre de Charlotte Brontë.
L’histoire de l’orpheline, de son aventure d’institutrice en pensionnat, de son
mariage manqué, de sa liaison refusée
avec un pasteur, puis de la réconciliation avec l’homme qu’elle aime et finira
par épouser, est un sujet dramatique idéal qui occupera Joubert pendant près de
vingt ans dans les deux dernières décennies du XXe siècle. Sous l’influence
avouée et assimilée de Wagner, Verdi ou Puccini, mais aussi de Stravinsky et
Britten, Joubert a créé un langage hautement personnel, dans une écriture fine
et intense, avec des moments vocaux de grande intensité. On peut le constater
dans l’intégrale enregistrée par le label Somm en 2016. Les cinq interludes symphoniques
de l’opéra ont été ensuite utilisés par le compositeur comme matériau pour sa Symphonie n° 3 « sur des thèmes de Jane
Eyre » op. 178 (2014-2017)
dans une partition de plus de trente minutes, évocatrice de la passion et des
états d’âme de l’héroïne. La force et la fragilité de l’attachant personnage
qu’est Jane Eyre sont ainsi transposées dans une composition raffinée et
imposante, dont l’écoute est des plus séduisantes et montre à quel point
Joubert, à travers les années, avait conservé un pouvoir créatif envoûtant. Ce
bel hommage est porté avec conviction, dans l’une et l’autre oeuvre, par le BBC
National Orchestra of Wales, dirigé par William Boughton, lors d’une prise de
son effectuée à Cardiff, au Hoddinott Hall, du 18 au 20 décembre 2017.
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Profondément marqué par la
Première Guerre mondiale et les souffrances qu’elle a engendrées, Stanford
compose à la fin du conflit une Mass
« Via Victrix 1914-1918 » solidement charpentée, bien construite,
aux élans vigoureux et généreux, qui est son opus 173.
Cette messe s’inscrit chez lui
dans une série de partitions, Requiem
de 1897, Te Deum de 1898 ou Stabat mater de 1907, qui sont dans la
ligne directe de Dvorák. C’est une célébration de la victoire, mais aussi de la
pitié pour ce que la nation a subi et pour ceux qui ont été tués au combat, un
partage de la douleur inconsolable de ceux qui ont perdu un ou plusieurs êtres
chers. Dans ce contexte, comme le feront Delius dans son Requiem ou Bliss dans les Morning
Heroes, il s’agit d’exalter le sacrifice demandé à tout un peuple, mais
aussi le sentiment religieux qui en découle et sert de réconfort. Tous ces
accents se mêlent dans une partition en cinq parties, qui réclame la présence
de quatre solistes du chant et d’un chœur, un orgue étant joint à l’orchestre
symphonique. Du vivant de Stanford, cette Messe, publiée en 1920, ne connut
qu’une exécution partielle, le Gloria,
avec orgue seulement, sous la direction du compositeur ; sous la pression
d’un establishment qui estimait que son audition ne remporterait pas
l’adhésion, le reproche de conservatisme étant toujours présent, sa création
complète n’eut pas lieu. Pendant un siècle, elle ne fut accessible que sous
forme d’édition. Ce n’est que le 27 octobre 2018 qu’elle fut jouée pour
commémorer le centenaire de l’Armistice, au Hall Hoddinott de Cardiff. C’est ce
concert public, admirable, qui nous est offert par Lyrita. Une autre partition,
publiée en 1921, est jointe à la Via
Victrix. Il s’agit d’une marche pour baryton, chœur et orchestre, At the Abbey Gate op. 177, elle aussi
enregistrée en première mondiale, deux jours après la Messe. C’est un hymne au
Soldat inconnu, qui utilise un poème du Baron Darling, écrit à cette occasion,
et qui évoque le transport du corps du combattant de la gare de Victoria
Station à l’abbaye de Westminster. La poignante partie centrale est dévolue au
baryton qui dialogue avec le chœur à travers des mots qui culminent dans une
comparaison entre le sacrifice du soldat et celui, ultime, du Christ. Stanford
en dirigea lui-même la création le 5 mars 1921. Le baryton qui devait chanter
la partie soliste, Gervase Elwes, fut tué par un train en gare de Boston au
cours d’une tournée deux mois avant cette première et fut remplacé par Harry
Plunket Greene, spécialiste de Schumann et de Brahms. L’hommage n’en fut que
plus émouvant ; au même programme, figurait l’oratorio d’Elgar The Dream of Gerontius. Comme pour
Joubert, Lyrita a fait appel ici aux forces du BBC National Orchestra of Wales
et de son chœur, placées sous la direction d’Adrian Partington. Les solistes du
chant sont la soprano Kiandra Howarth, la contralto Jesse Dandy, le ténor
Ruairi Bowen et le baryton Gareth Brynmor Jones, présent dans les deux
partitions. Tous ces interprètes servent avec ferveur et grandeur le sens du
sacré de la Messe comme de la Marche pour le Soldat Inconnu.
Stanford est enterré à l’abbaye
de Westminster, à côté de la tombe de Henry Purcell. Belle justice posthume
pour ce compositeur accusé de conservatisme à tel point que l’acerbe critique
musical Bernard Shaw avait écrit à son sujet : « La musique de Stanford témoigne d’un conflit effroyable entre
l’aborigène celte et le professeur. » (1). L’admirable CD que propose
Lyrita vient à point nommé pour souligner le fait que conservatisme ne veut pas
dire négation de la musique et que l’inspiration face aux drames de l’histoire
peut être porteuse de messages forts et pathétiques.
Jean Lacroix
(1) Bernard Shaw : Ecrits sur la musique 1876-1950, Paris,
Laffont/Bouquins, 1994, p. 99.