lundi 22 juillet 2019

L’art de Karl Leister, ce fabuleux clarinettiste

Lien vers le CD
Quel bonheur lorsqu’un label qui détient des trésors dans ses tiroirs se décide à les mettre à la disposition des mélomanes ! On ne peut donc que remercier Orfeo de nous gratifier d’un album de deux CD (MP1901) consacrés aux concertos pour clarinette et orchestre de Louis Spohr, interprétés par l’une des grandes stars de la clarinette, Karl Leister, qui, appelé par Karajan à rejoindre les rangs du Philharmonique de Berlin, occupa la fonction de clarinette solo dans cette prestigieuse phalange entre 1959 et 1993.
Né à Wilhemshaven, ville portuaire du land de Basse-Saxe en 1937, Karl Leister reçoit des leçons de son père, clarinette basse dans l’Orchestre du RIAS de Berlin, avant de suivre les cours de la Musikhochschule de la capitale allemande. A vingt ans, il est clarinette solo du Komische Oper Berlin, avant, nous l’avons dit, d’être choisi par Karajan. Il va donc participer à la grande aventure vécue par la Philharmonie de Berlin pendant toute l’ ère du chef d’orchestre. Ce qui ne l’empêche pas d’accomplir une carrière de soliste réputé, d’accompagner des ensembles comme le Quatuor Amadeus, de fonder les Solistes de Berlin ou de constituer l’Ensemble Wien-Berlin qui réunit des solistes des deux plus grands orchestres des deux villes. A partir de 1993, il mène une carrière d’enseignant. La discographie de Leister est très riche. Elle englobe de nombreuses partitions de chambre, de Mozart à Hindemith, de Glinka à Mendelssohn, de Brahms et Schumann à Reger, mais aussi les concertos du répertoire pour son instrument : Mozart, Weber, Crusell ou Spohr. Il a aussi suscité des œuvres de compositeurs contemporains, comme Bose, Eder ou Reichart.
On est heureux du choix effectué par le label Orfeo qui rappelle à quel point Leister était un virtuose au timbre brillant, à la technique parfaite, d’une élégance racée, avec des sonorités fruitées et ambrées. Les quatre concertos de Spohr issus d’enregistrements effectués en  juin et décembre 1983 dans les studios de la Radio de Stuttgart sont là pour attester d’un art à son sommet. Soutenu par l’Orchestre symphonique de cette même Radio de Stuttgart, dirigé avec finesse par cet autre magnifique artiste que fut l’Espagnol Rafael Frühbeck de Burgos (1933-2014), Leister donne ici une leçon de grand style.
Né en 1784 à Brunswick, Louis Spohr fut l’un des plus grands violonistes de son temps, mais il se révéla aussi expert dans la composition : on lui doit un corpus abondant, où l’on retrouve dix symphonies, dix-sept concertos pour violon, de la musique de chambre et une dizaine d’opéras. Exemple type du créateur romantique, Spohr, auquel on reprocha un classicisme trop présent, peut se targuer d’avoir été un proche de Beethoven ; il participa notamment à la création en 1813 de la Septième Symphonie du maître de Bonn et à celle de sa Victoire de Wellington. Il fut aussi l’ami de Meyerbeer et, en qualité de chef d’orchestre, monta la Passion selon Saint Matthieu de Bach et les opéras Le Vaisseau fantôme et Tannhäuser de Wagner à Cassel, où il décéda en 1859.
Composés pour le premier pendant l’hiver 1808-1809 et pour les trois autres au cours des années 1830, les quatre concertos pour clarinette et orchestre de Spohr, dont Leister donne ici l’intégrale, offrent au soliste la possibilité de démontrer tous ses talents de façon magistrale. Ils mettent en lumière un éventail lyrique et poétique développé, agrémenté de traits techniques redoutables, ponctué de joie, d’humour, de séduction ou de mélancolie, mais aussi revêtu de cette noble transparence et de ce velouté que l’instrument déploie à foison dans une atmosphère élégiaque et savoureuse.

Jean Lacroix