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Quel bonheur lorsqu’un label qui détient des trésors dans
ses tiroirs se décide à les mettre à la disposition des mélomanes ! On ne
peut donc que remercier Orfeo de nous gratifier d’un album de deux CD (MP1901)
consacrés aux concertos pour clarinette et orchestre de Louis Spohr,
interprétés par l’une des grandes stars de la clarinette, Karl Leister, qui,
appelé par Karajan à rejoindre les rangs du Philharmonique de Berlin, occupa la
fonction de clarinette solo dans cette prestigieuse phalange entre 1959 et
1993.
Né à Wilhemshaven, ville
portuaire du land de Basse-Saxe en 1937, Karl Leister reçoit des leçons de son
père, clarinette basse dans l’Orchestre du RIAS de Berlin, avant de suivre les
cours de la Musikhochschule de la capitale allemande. A vingt ans, il est
clarinette solo du Komische Oper Berlin, avant, nous l’avons dit, d’être choisi
par Karajan. Il va donc participer à la grande aventure vécue par la Philharmonie
de Berlin pendant toute l’ ère du chef d’orchestre. Ce qui ne l’empêche
pas d’accomplir une carrière de soliste réputé, d’accompagner des ensembles
comme le Quatuor Amadeus, de fonder les Solistes de Berlin ou de constituer
l’Ensemble Wien-Berlin qui réunit des solistes des deux plus grands orchestres
des deux villes. A partir de 1993, il mène une carrière d’enseignant. La
discographie de Leister est très riche. Elle englobe de nombreuses partitions
de chambre, de Mozart à Hindemith, de Glinka à Mendelssohn, de Brahms et
Schumann à Reger, mais aussi les concertos du répertoire pour son
instrument : Mozart, Weber, Crusell ou Spohr. Il a aussi suscité des
œuvres de compositeurs contemporains, comme Bose, Eder ou Reichart.
On est heureux du choix effectué
par le label Orfeo qui rappelle à quel point Leister était un virtuose au
timbre brillant, à la technique parfaite, d’une élégance racée, avec des
sonorités fruitées et ambrées. Les quatre concertos de Spohr issus
d’enregistrements effectués en juin et
décembre 1983 dans les studios de la Radio de Stuttgart sont là pour attester
d’un art à son sommet. Soutenu par l’Orchestre symphonique de cette même Radio
de Stuttgart, dirigé avec finesse par cet autre magnifique artiste que fut
l’Espagnol Rafael Frühbeck de Burgos (1933-2014), Leister donne ici une leçon
de grand style.
Né en 1784 à Brunswick, Louis
Spohr fut l’un des plus grands violonistes de son temps, mais il se révéla
aussi expert dans la composition : on lui doit un corpus abondant, où l’on
retrouve dix symphonies, dix-sept concertos pour violon, de la musique de
chambre et une dizaine d’opéras. Exemple type du créateur romantique, Spohr,
auquel on reprocha un classicisme trop présent, peut se targuer d’avoir été un
proche de Beethoven ; il participa notamment à la création en 1813 de la
Septième Symphonie du maître de Bonn et à celle de sa Victoire de Wellington. Il fut aussi l’ami de Meyerbeer et, en
qualité de chef d’orchestre, monta la Passion
selon Saint Matthieu de Bach et les opéras Le Vaisseau fantôme et Tannhäuser
de Wagner à Cassel, où il décéda en 1859.
Composés pour le premier pendant
l’hiver 1808-1809 et pour les trois autres au cours des années 1830, les quatre
concertos pour clarinette et orchestre de Spohr, dont Leister donne ici l’intégrale,
offrent au soliste la possibilité de démontrer tous ses talents de façon
magistrale. Ils mettent en lumière un éventail lyrique et poétique développé,
agrémenté de traits techniques redoutables, ponctué de joie, d’humour, de
séduction ou de mélancolie, mais aussi revêtu de cette noble transparence et de
ce velouté que l’instrument déploie à foison dans une atmosphère élégiaque et
savoureuse.
Jean Lacroix