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Chaque publication porte un
titre. Pour le numéro 7, intitulé Gli
Impresari (« Les imprésarios » ou « Les directeurs de théâtre »),
les symphonies n° 9, 65 et 67 ont été choisies ; des entractes
instrumentaux de Thamos, roi d’Egypte
de Mozart complètent l’ensemble. Dans le cas présent, c’est l’Orchestre de
Chambre de Bâle qui met la main à la pâte. Il est en première ligne depuis le
volume 5, les quatre premiers ayant été confiés au Giardino Armonico. Il faut
préciser d’emblée que l’une ou l’autre phalange apporte sa part de cohérence à
ce projet dont on admire déjà l’architecture générale. Les caractéristiques
sont les mêmes dans les sept CD : précision, clarté, transparence,
contrastes bienvenus, articulation soignée, engagement, homogénéité, vision
équilibrée.
Ce numéro 7 a été enregistré du 2
au 6 octobre 2017 au Landgasthof Riehen de Bâle. Ici, la théâtralité est le
moteur principal, mais aussi le discours classique porté à un haut degré de
maîtrise. Après les chefs-d’œuvre de 1761 - les symphonies Le Matin, Le Midi et Le Soir -, Haydn écrit l’année suivante
la symphonie n° 9, en trois courts mouvements. Des comédiens étaient alors
installés à Eisenstadt, et cette jolie partition aurait servi de prélude
instrumental à une cantate profane. Quant aux symphonies 65 et 67, elles font
partie de la série composée en 1775-1776 ; la séduction mélodique et la
variation ornementale y sont présentes, bercées d’un style que l’on pourrait
qualifier de « galant » dans le sens noble du terme. La symphonie 65,
comme le rappelle la notice du livret, comporte un parfum de maquillage théâtral, expression due au spécialiste
américain H.C. Robbins Landon. Sans entrer dans le détail, elle est liée à la
représentation d’une comédie de caractère du poète dramatique von Ayrenhoff, L’Attelage en poste ou les nobles passions,
qui allait connaître un franc succès en Autriche et dont l’intrigue amusante
tourne autour des amours de la jeune Léonore. Cette fille de baron ne veut pas
celui qui lui est promis, elle est éprise d’un autre qu’elle finira par
épouser, suite à une rocambolesque vente de chevaux qui sert de marché entre
les deux prétendants, le fiancé renonçant dès lors à la belle. Une sonnerie de
cors de chasse conclut avec panache cette partition délicieuse. Dans la
symphonie 67, inspirée par une autre comédie, La Partie de chasse de Henri IV, de Charles Collé, aux multiples
rebondissements - dont un orage qui oblige la cour à se réfugier où elle le
peut, ce qui permet au roi de manifester sa générosité et sa légèreté
sentimentale -, des fanfares de vents et des motifs de chasse interviennent dès
le début du premier mouvement dans une alternance de finesse et d’énergie.
Après une marche lente sous forme d’Adagio, puis un menuet sous forme de danse
tout aussi mesurée, au cours duquel s’inscrit un délicieux duo de violons,
l’œuvre s’achève par de fastueux appels de cor, après des solos de bois qui
s’en donnent à cœur joie. L’esprit de Mozart est si proche que l’on passe sans
coup férir aux parties instrumentales de son Thamos, roi d’Egypte, composées pour la pièce héroïque du même
titre du baron Tobias von Gebler et données à Salzbourg en 1776. Le drame étale
une puissance grave et tendue, dans un esprit Sturm und Drang qui allie la force de l’inspiration à l’opulence et
à la majesté. Un magnifique CD, incisif, dans lequel Antonini et l’Orchestre de
Chambre de Bâle multiplient les moments de bonheur sonore.
Un rappel des volumes 1 à 6 déjà
parus de ce Haydn 2032 s’impose. Le
projet musical, soulignons-le, s’accompagne d’un aspect visuel. Une association
avec l’agence Magnum, fondée en 1947 par un groupe de photographes dont
faisaient notamment partie Robert Capa et Henri Cartier-Bresson, a été conclue.
A chaque fois, un photographe de Magnum est associé pour les couvertures de
disques, l’intérieur des livrets - ce qui nous vaut d’étonnantes images parfois
décalées, elles aussi « kaléidoscopiques » -, et la communication
pour les concerts publics. C’est dire que la série complète sera à terme un
éventail de mélanges artistiques conçus avec goût.
CD n° 1 : La Passione (Alpha 670) propose les
symphonies n° 1, 39 et 49 avec, dans sa version originale, le ballet-pantomime
de Gluck Don Juan ou le Festin de Pierre
de 1761. Nous sommes ici en plein Sturm
und Drang. La 1ère symphonie date de l’époque qui précède
l’entrée de Haydn chez les princes Esterhazy en 1761, la 39e est de
1766-1767, la 49e de 1768. Cette dernière qui donne son titre au CD
est sombre, par instants désespérée, dans son Menuet notamment. Antonini joue sur les affects : sa direction
est électrique, les pupitres se répondent dans une atmosphère dynamique très
théâtrale. Quant à la partition de Gluck, en parfaite adéquation, elle est
ébouriffante de plasticité et de nuances chorégraphiques. Ce CD n° 1,
enregistré en octobre 2013, ouvrait d’emblée des perspectives alléchantes.
CD n° 2 : Il Filosofo (Alpha 671) programme les
symphonies 22, 46 et 47 ainsi que la symphonie F 67 de Wilhelm Friedemann Bach,
aux accents haendéliens marqués. La 22e, qui évoque l’intitulé du
CD, date de 1764. Elle se caractérise par l’emploi des cors anglais, phénomène
peu courant dans la période classique de Haydn, sauf dans le domaine de la
musique religieuse ou dramatique. On nage en pleine séduction, car ces
instruments s’intègrent aux autres avec jubilation, dans un intense climat
poétique. Les symphonies 46 et 47 qui datent de 1772 ont un caractère lumineux
qui se déploie à travers d’infinies variétés de timbres. Une nouvelle réussite,
pleine de charme, dans une prise de son de juin 2014.
CD n° 3 : Solo e Pensoso (Alpha 672) est dévolu à
Haydn seul : trois symphonies, les n° 4, 42 et 64, avec l’ouverture de L’isola disabitata et l’aria de
concert Solo e Pensoso, d’après le superbe 35e sonnet des Canzionere de Pétrarque, dans lequel
celui-ci arpente la campagne à pas
lents et tardifs. La Symphonie n° 4, en trois mouvements légers, est, comme
la 1ère, antérieure à la période Eshkenazy. La 42e de
1771 est imposante ; elle ouvre l’ensemble de la période Sturm und Drang. Quant à la 64e
de 1773, elle relève d’une composante plus intime. Le Giardino Armonico use
d’une franche attaque des traits et d’une relance permanente, mais cet ensemble
chevronné sait doser la mélancolie des mouvements lents qui répondent en écho
au poème de Pétrarque. La soprano Francesca Aspromonte est la soliste de cet
air poignant, en parfait miroir avec l’ouverture de L’isola disabitata, action théâtrale créée à la fin de 1779 sur des
vers de Métastase, qui évoque elle aussi la solitude. Prise de son :
novembre 2015. Notons qu’à partir de ce volume 3, Alpha distribue aussi la
série en format vinyle, dans une édition de luxe, avec de superbes photographies
de l’Agence Magnum.
CD n° 4 : Il Distratto (Alpha 624) rappelle la
symphonie n° 60 du même nom. S’y ajoutent les n° 12 et 70, ainsi que, de
Cimarosa, l’ébouriffant Il Maestro di
cappella, un bijou de finesse dont deux pages du livret expliquent que leur
signataire, le Milanais Marco Brolli, a collationné « toutes les sources
pour l’édition définitive ». Le baryton Riccardo Novaro assume avec un
humour déjanté le rôle comique du maestro dépassé par l’indiscipline de ses
troupes. La savoureuse Symphonie n° 12 de 1763 en trois mouvements est la
dernière de Haydn à ne pas comporter de menuet. La 70e a été
exécutée à l’occasion de la pose de la première pierre du nouveau théâtre
Esterhaza, dans les années 1778-1779. Son originalité dans l’orchestration
réside en l’ajout aux cordes d’une flûte, de deux hautbois, d’un basson, de
deux cors, de deux trompettes et des timbales. Brillance, éclat et rythme sont
au programme. Quant à la 60e, elle met en musique des situations et
des personnages de la comédie Le Distrait de Regnard, inspirée par les Caractères de La Bruyère, qui a fait
l’objet d’une traduction allemande en prose et a été jouée à Salzbourg dès
1776. Cette splendide partition comporte six mouvements et cite une série de
mélodies populaires ; son titre s’explique par le fait que les musiciens
« distraits » se trompent de morceau ou s’arrêtent pour accorder
leurs instruments. Antonini lâche ici la bride au Giardino Armonico dont la
netteté musclée fait merveille, dans une joie d’effets débordants d’imagination.
Un vrai régal, qui nous incite à suggérer que cet enregistrement de mars 2016
est prioritaire dans la série en cours.
CD n° 5 : Avec L’homme de génie (Alpha 676), on salue
l’entrée en scène de l’Orchestre de Chambre de Bâle, qui relaie Il Giardino
Armonico pour les volumes 5 à 7 de la présente entreprise. Ici, les symphonies
19, 80 et 81 partagent l’affiche avec la symphonie VB 142 de Joseph Martin
Kraus (1756-1792), exact contemporain de Mozart, à l’existence aussi brève. Une
notice du livret explique l’intitulé : Haydn lui-même aurait attribué à
Kraus, le titre d’ « homme de génie » dans une lettre adressée
à un diplomate suédois, après la rencontre viennoise de 1783 entre les deux
compositeurs. Kraus était très attiré par la littérature et participa au
mouvement Sturm und Drang. La
symphonie VB 142 que l’on entend ici date du moment de cette rencontre et
atteste des remarquables qualités de ce créateur qui n’a été redécouvert que
depuis quelques décennies. Cette partition impressionnante avait fait l’objet
d’une publication dans un CD Naxos de 1997 par l’Orchestre de Chambre suédois,
dirigé par Petter Sundkvist. Le tempo d’Antonini est nettement plus accentué et
rend mieux justice aux modulations
recherchées, émouvant toutes les fibres de l’âme, ainsi que les
définissaient un compte rendu d’époque repris dans la notice. L’enjouée et
virevoltante Symphonie 19 de Haydn pourrait être, selon l’un des ses
biographes, celle que les princes Esterhazy auraient eu comme première
impression musicale de leur futur administré. Quant aux 80e et 81e
de 1784, elles s’inscrivent dans une démarche plus dramatique qui justifie le
rapprochement avec la partition de Kraus. Superbe travail de la phalange
bâloise qui, dans ces enregistrements de juillet et octobre 2016 (pour la 80e),
accomplit des merveilles.
CD n° 6 : Lamentatione (Alpha 678). Comme dans le
CD n° 3, Haydn est ici le seul compositeur à l’affiche. C’est avec la symphonie
n° 3 en quatre mouvements d’avant 1761, qui cite un choral et utilise des
techniques de composition contrapuntique, qu’Antonini ouvre le thème de ce
programme où l’on retrouve aussi les symphonies 26, 30 et 79 ; toutes
citent d’ailleurs des chorals. La 26e de 1768-1769 donne son titre à
ce sixième volet, en lien thématique avec la Passion du Christ, donnant à
l’Adagio central une ambiance générale d’intense recueillement. La respectueuse
30e cite l’Alleluia grégorien de la liturgie du Samedi saint ;
l’énergique exultation initiale est rendue avec une clarté dynamique et un
souci du dosage entre les vents et les cordes. Quant à la 79e de
1783-1784, pleine de fougue et d’agitation, elle est menée avec une ardeur qui
rend justice à son éclat. C’est en mars 2017 que cet enregistrement a été
effectué.
Accordons-nous un bref
récapitulatif, avant de conclure, pour citer, par opus, les symphonies déjà
mises à disposition : les numéros 1, 3, 4, 9, 12, 19, 22, 26, 30, 39, 42,
46, 47, 49, 60, 64, 65, 67, 70, 79, 80 et 81, soit 22 sur les 107. Nous
attendons les Parisiennes, les Londoniennes et toutes les autres avec
un intérêt non dissimulé.
Nous invitons par ailleurs chaque
mélomane attiré par ce qui sera une pierre angulaire de la riche discographie
des symphonies de Haydn à se plonger dans les textes (en trois langues, dont le
français) de chaque livret avant audition. L’ambition de ce projet pharaonique
est à la hauteur de sa cohérence et des
qualités musicales qui le servent. Bien des merveilles doivent encore voir le
jour. Il est vrai que d’ici 2032, il y a de la marge.
Jean Lacroix