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A l’occasion de son premier CD
pour le label Pentatone (PTC 5186 725),
on salue le retour de la gracieuse et délicate Magdalena Kozena dans le
répertoire de la musique baroque, un monde raffiné dans lequel son expressivité
et sa sincérité vocale ont déjà fait merveille par le passé. Née à Brno en
1973, cette mezzo-soprano « au timbre de lait et de miel », comme le
soulignent maints critiques, est, rappelons-le, l’épouse du chef d’orchestre
Simon Rattle et compte à son actif des opéras de Monteverdi, Haendel, Gluck,
Mozart, Bizet, Debussy ou Janacek, mais aussi des partitions qui vont de
Vivaldi à Mahler ou Cole Porter. De nombreux récitals font partie de sa discographie
où sa science du chant accompagne la grâce et le charme, avec parfois, diront
certaines mauvaises langues, des effets sentimentaux qui se traduisent en
alanguissements malvenus. Ces reproches mesquins, que nous ne partageons pas,
sont balayés par ce nouvel enregistrement, centré sur des cantates profanes de
Marcello, Vinci, Gasparini, Leo et Haendel. On se souvient qu’il y a une
vingtaine d’années, Magdalena Kozena signait un superbe album dédié au Haendel
romain sous la direction magistrale de Marc Minkowski. Depuis lors, quel que
soit le répertoire abordé, on ne peut que constater que cette voix à la fois
sensuelle et aux couleurs splendides se déploie toujours avec une grande
fraîcheur dans les registres aigus ou plus graves. Ce n’est pas un mince
compliment.
Dans une notice du livret, Vaclav
Luks, qui dirige ici le fervent Collegium 1704, explique que le jardin
symbolise depuis des temps immémoriaux le lieu de la paix et de l’harmonie. Le
présent projet s’est construit dès 2015 autour d’airs évoquant les destins
heureux ou tragiques d’héroïnes anciennes, un peu à la manière d’un labyrinthe
des émotions humaines dans lequel l’abandon ou la mort seraient en miroir avec
le bonheur de l’amour et les beautés de la nature. Si Haendel est présent avec la
courte Sinfonia d’Agrippina, puis avec la cantate de
jeunesse Qual ti riveggio, oh Dio,
drame sentimental au langage harmonique complexe écrit à Rome en 1707, les
compositeurs italiens sont prioritaires à travers un voyage dans la péninsule.
Benedetto Marcello (1686-1739) est à Venise pour le bijou qu’est son Arianna abbandonata entre style
déclamatoire et progressions harmonieuses, Leonardo Leo (1694-1744) est à
Naples pour Angelica e Medoro dont la
simplicité de la ligne vocale bénéficie d’un traitement subtil de l’écriture
instrumentale, en fines touches qui évoquent la nature. Dans un bref extrait de
son oratorio Atalia, créé à Venise en
1696, Francesco Gasparini (1661-1727) se penche sur les tourments
psychologiques de son héroïne et le potentiel dramatique qui en découle. Une Sinfonia de Leonardo Vinci (1690-1730, à
ne pas confondre avec le peintre de La
Joconde), tirée de Maria dolorata qui
date des environs de 1723, complète le programme. Ce compositeur mourut à l’âge
de quarante ans. Grand amateur de femmes, il aurait été empoisonné par un rival
jaloux.
Ce CD est un ravissement vocal et
instrumental, l’esprit d’équipe y est palpable. C’est à Prague, dans l’église
Sainte Anne, que l’enregistrement a été effectué du 21 au 26 septembre 2018. Il
ajoute une pierre blanche à la discographie de Magdalena Kozena dont les
inflexions de la voix, d’une beauté pure, le disputent à l’aisance avec
laquelle elle vocalise et à l’investissement émotionnel qu’elle accompagne
d’une subtile finesse d’accents. Du grand art, auquel répond celui du Collegium
1704, ensemble tchèque d’une parfaite homogénéité fondé en 1991 par le
claveciniste Vaclav Luks, qui le conduit avec noblesse et distinction. Une
autre pierre blanche, qui, ajoutée à celle que nous accordons à la cantatrice,
illumine ce splendide « jardin des soupirs » du plus bel éclat.
Jean Lacroix