samedi 16 mars 2019

André Messager et la fantaisie des P’tites Michu

Ah, ce qu’on s’amuse avec Messager et ses délicieuses opérettes ! Petit souvenir d’enfance : vers ses douze ou treize ans, le signataire de ces lignes découvrait que le 45 Tours s’ouvrait aussi à la musique classique. Parmi les trésors qu’il se constitua alors pour sa modeste discothèque naissante, figuraient quelques extraits d’un ballet d’André Messager, Les Deux Pigeons, dont les mélodies dansantes et tournoyantes l’enchantèrent. Elles ne furent pas pour rien dans la fascination que la musique légère a toujours exercée sur lui et à laquelle il revient souvent, malgré sa passion pour Bach, Mozart, Beethoven, Schubert, Mahler et bien d’autres. C’est que la musique ne se limite pas aux « grandes partitions du répertoire », elle se nourrit aussi de l’univers de l’insouciance, de la gaieté et de l’amusement. Dans ce domaine, Messager est un maître incontesté. Un nouveau livre/CD produit par le Palazzetto Bru Zane  et consacré à l’opérette en trois actes Les P’tites Michu en témoigne (BZ 1034). On ne reviendra pas sur les éloges mérités déjà adressés à ce prestigieux label lorsque nous avons évoqué il y a peu les enregistrements du Tribut de Zamora de Gounod ou La Reine de Chypre de Halévy. Mais on soulignera encore une fois le soin extrême apporté à la présentation, l’intérêt documentaire des textes explicatifs et la beauté de l’objet qui est un plaisir pour les yeux, au-delà du bonheur qu’il procure sur le plan musical.
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André Messager (1853-1929) est né à Montluçon. Il étudie à Paris à l’école Niedermeyer où il a Fauré et Saint-Saëns comme professeurs avant de devenir organiste à Saint-Sulpice. Chef d’orchestre talentueux, il se produit aux Folies-Bergères et aussi à Bruxelles en 1880, au Théâtre Eden. Dans la capitale française, il prend en main la direction musicale de l’Opéra-Comique, avant d’être engagé aux Concerts Lamoureux, à l’Opéra de Paris et à la Société des Concerts du Conservatoire. Un fameux parcours, on en conviendra. C’est lui qui officie lors de la première de Pelléas et Mélisande de Debussy en 1902, partition que le compositeur de La Mer lui a dédiée. Très tôt, Messager se frotte à la composition : une symphonie dès 1875, des œuvres pour orchestre, mais sa voie est ailleurs. Ce sera l’opéra-comique, l’opéra bouffe, le ballet et l’opérette, domaines dans lesquels il va exceller et faire carrière avec succès : Véronique (1898), que l’on considère comme son chef-d’œuvre, alignera deux cents représentations d’affilée avant de multiples reprises. Messager collaborera régulièrement avec le Covent Garden de Londres et entreprendra aux Etats-Unis une tournée de concerts dans plus de cinquante villes.
Incontestable personnalité de la musique française de son temps, Messager est bien trop négligé de nos jours. La publication du livre/CD des P’tites Michu est donc la bienvenue pour prendre la mesure d’un talent mélodique séduisant et d’une vraie capacité à traduire dans le domaine lyrique la joie et la simplicité, mais aussi d’un style qui ne manque jamais de chic ni d’élégance. La création de cette opérette eut lieu le 16 novembre 1897 aux Bouffes-Parisiens ; ce fut un succès considérable, suivi de cent cinquante représentations ininterrompues, un an avant Véronique qui allait asseoir encore plus la popularité d’André Messager. L’intrigue ? Nous reprenons ici les lignes d’un article du livre/CD, consacré à la genèse de l’œuvre et signé Christophe Mirambeau : « Le sujet de la pièces est simple : 1793, en pleine Terreur – puis en 1810. Deux jeunes filles sont élevées par un couple d’honorables commerçants, les Michu, qui tiennent boutique aux Halles de Paris. Les deux filles sont du même âge et se croient absolument sœurs jumelles. En réalité, seule l’une d’elles est le fruit du ménage Michu. L’autre est la fille du Marquis des Ifs. On imagine la série de quiproquos qui s’ensuivra lorsque viendra l’heure du mariage… » Sur ce canevas on ne peut plus annonciateur de moments savoureux et sur la base d’un livret d’Albert Vanloo et Georges Duval, Messager a construit une œuvre pleine de charme, de pétillance et de vivacité d’esprit, dont nous goûtons avec ravissement les finesses d’harmonisation et d’instrumentation. Les scènes au cours desquelles la musique s’entrelace avec des dialogues qui se révèlent très amusants montrent l’intelligence du compositeur pour maintenir l’intérêt tout au long d’une partition enlevée. Catulle Mendès, cité dans l’article du livre/CD consacré à « l’accueil de l’opérette dans la presse parisienne » par Etienne Jardin, en avait souligné les qualités : « Et la jolie musique ! Comme elle est souple, preste, ingénieuse ! Comme elle sait être gaie sans être banale, tendre sans être romancière, savante aussi sans être pédante. Et c’est de l’amusement, du charme ; et la perfection même. » Face à cet éloge, qui s’ajoutait à d’autres, on ne pouvait que s’incliner. Car il y eut unanimité, ce qui n’était pas si fréquent.
Le plaisir que nous avons à retrouver cette œuvre est le fruit d’un enregistrement réalisé au Théâtre Graslin de Nantes les 23 et 24 mai 2018, dans le cadre d’une version scénique transposée dans les années 1970 (on se demande pourquoi) par le metteur en scène Rémy Barché. Cette recréation a été confiée à l’Orchestre National des Pays de la Loire placé sous la direction alerte de Pierre Dumoussaud, dans une coproduction entre Angers Nantes Opéra, Bru Zane France et la Compagnie parisienne Les Brigands, qui s’est déjà illustrée dans Offenbach. Tout le monde s’en donne ici à cœur joie, de Violette Polchi et Anne-Aurore Cochet, délurées dans le rôle des jumelles, à Marie Lenormand en Madame Michu ou Damien Bigourdan en Monsieur Michu, ces deux derniers jouant sur le ton que réclame la haute conception qu’ils se font de leur condition bourgeoise. Quant au personnage du Général (le Marquis des Ifs), qui est à la recherche de sa fille et finira par la retrouver après bien des péripéties, il est servi par Boris Grappe dans un registre tragi-comique qui fait mouche. Les Chœurs d’Angers Nantes Opéra paraissent parfois un peu dissipés, et l’on aimerait de temps à autre plus d’unité vocale, mais ce serait faire injure à ce travail de saine résurrection de souligner indûment l’une ou l’autre faiblesse. Ne faisons donc pas la fine bouche : on ne peut que se réjouir de ces P’tites Michu, salutaire bain de jouvence! On n’est pas étonné d’apprendre que l’Australie, la Nouvelle-Zélande, puis Broadway, les accueillirent avec enthousiasme au cours des années 1906 à 1908. En 1905, Londres en avait fait autant pour quatre cents représentations…


Jean Lacroix