André Messager et la fantaisie des P’tites
Michu
Ah, ce qu’on s’amuse avec
Messager et ses délicieuses opérettes ! Petit souvenir d’enfance :
vers ses douze ou treize ans, le signataire de ces lignes découvrait que le 45
Tours s’ouvrait aussi à la musique classique. Parmi les trésors qu’il se
constitua alors pour sa modeste discothèque naissante, figuraient quelques
extraits d’un ballet d’André Messager, Les
Deux Pigeons, dont les mélodies dansantes et tournoyantes l’enchantèrent.
Elles ne furent pas pour rien dans la fascination que la musique légère a
toujours exercée sur lui et à laquelle il revient souvent, malgré sa passion
pour Bach, Mozart, Beethoven, Schubert, Mahler et bien d’autres. C’est que la
musique ne se limite pas aux « grandes partitions du répertoire »,
elle se nourrit aussi de l’univers de l’insouciance, de la gaieté et de
l’amusement. Dans ce domaine, Messager est un maître incontesté. Un nouveau
livre/CD produit par le Palazzetto Bru Zane
et consacré à l’opérette en trois actes Les P’tites Michu en témoigne (BZ 1034). On ne reviendra pas sur
les éloges mérités déjà adressés à ce prestigieux label lorsque nous avons
évoqué il y a peu les enregistrements du Tribut
de Zamora de Gounod ou La Reine de
Chypre de Halévy. Mais on soulignera encore une fois le soin extrême
apporté à la présentation, l’intérêt documentaire des textes explicatifs et la
beauté de l’objet qui est un plaisir pour les yeux, au-delà du bonheur qu’il
procure sur le plan musical.
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André Messager (1853-1929) est né
à Montluçon. Il étudie à Paris à l’école Niedermeyer où il a Fauré et
Saint-Saëns comme professeurs avant de devenir organiste à Saint-Sulpice. Chef
d’orchestre talentueux, il se produit aux Folies-Bergères et aussi à Bruxelles
en 1880, au Théâtre Eden. Dans la capitale française, il prend en main la
direction musicale de l’Opéra-Comique, avant d’être engagé aux Concerts
Lamoureux, à l’Opéra de Paris et à la Société des Concerts du Conservatoire. Un
fameux parcours, on en conviendra. C’est lui qui officie lors de la première de
Pelléas et Mélisande de Debussy en
1902, partition que le compositeur de La
Mer lui a dédiée. Très tôt, Messager se frotte à la composition : une
symphonie dès 1875, des œuvres pour orchestre, mais sa voie est ailleurs. Ce
sera l’opéra-comique, l’opéra bouffe, le ballet et l’opérette, domaines dans
lesquels il va exceller et faire carrière avec succès : Véronique (1898), que l’on considère
comme son chef-d’œuvre, alignera deux cents représentations d’affilée avant de
multiples reprises. Messager collaborera régulièrement avec le Covent Garden de
Londres et entreprendra aux Etats-Unis une tournée de concerts dans plus de
cinquante villes.
Incontestable personnalité de la
musique française de son temps, Messager est bien trop négligé de nos jours. La
publication du livre/CD des P’tites Michu
est donc la bienvenue pour prendre la mesure d’un talent mélodique
séduisant et d’une vraie capacité à traduire dans le domaine lyrique la joie et
la simplicité, mais aussi d’un style qui ne manque jamais de chic ni
d’élégance. La création de cette opérette eut lieu le 16 novembre 1897 aux
Bouffes-Parisiens ; ce fut un succès considérable, suivi de cent cinquante
représentations ininterrompues, un an avant Véronique
qui allait asseoir encore plus la popularité d’André Messager.
L’intrigue ? Nous reprenons ici les lignes d’un article du livre/CD,
consacré à la genèse de l’œuvre et signé Christophe Mirambeau : « Le sujet de la pièces est simple :
1793, en pleine Terreur – puis en 1810. Deux jeunes filles sont élevées par un
couple d’honorables commerçants, les Michu, qui tiennent boutique aux Halles de
Paris. Les deux filles sont du même âge et se croient absolument sœurs
jumelles. En réalité, seule l’une d’elles est le fruit du ménage Michu. L’autre
est la fille du Marquis des Ifs. On imagine la série de quiproquos qui
s’ensuivra lorsque viendra l’heure du mariage… » Sur ce canevas on ne peut plus annonciateur de moments savoureux
et sur la base d’un livret d’Albert Vanloo et Georges Duval, Messager a
construit une œuvre pleine de charme, de pétillance et de vivacité d’esprit,
dont nous goûtons avec ravissement les finesses d’harmonisation et
d’instrumentation. Les scènes au cours desquelles la musique s’entrelace avec
des dialogues qui se révèlent très amusants montrent l’intelligence du
compositeur pour maintenir l’intérêt tout au long d’une partition enlevée.
Catulle Mendès, cité dans l’article du livre/CD consacré à « l’accueil de
l’opérette dans la presse parisienne » par Etienne Jardin, en avait
souligné les qualités : « Et la
jolie musique ! Comme elle est souple, preste, ingénieuse ! Comme
elle sait être gaie sans être banale, tendre sans être romancière, savante
aussi sans être pédante. Et c’est de l’amusement, du charme ; et la
perfection même. » Face à cet éloge, qui s’ajoutait à d’autres, on ne
pouvait que s’incliner. Car il y eut unanimité, ce qui n’était pas si fréquent.
Le plaisir que nous avons à
retrouver cette œuvre est le fruit d’un enregistrement réalisé au Théâtre
Graslin de Nantes les 23 et 24 mai 2018, dans le cadre d’une version scénique
transposée dans les années 1970 (on se demande pourquoi) par le metteur en
scène Rémy Barché. Cette recréation a été confiée à l’Orchestre National des
Pays de la Loire placé sous la direction alerte de Pierre Dumoussaud, dans une
coproduction entre Angers Nantes Opéra, Bru Zane France et la Compagnie
parisienne Les Brigands, qui s’est déjà illustrée dans Offenbach. Tout le monde s’en donne ici à cœur
joie, de Violette Polchi et Anne-Aurore Cochet, délurées dans le rôle des
jumelles, à Marie Lenormand en Madame Michu ou Damien Bigourdan en Monsieur
Michu, ces deux derniers jouant sur le ton que réclame la haute conception
qu’ils se font de leur condition bourgeoise. Quant au personnage du Général (le
Marquis des Ifs), qui est à la recherche de sa fille et finira par la retrouver
après bien des péripéties, il est servi par Boris Grappe dans un registre
tragi-comique qui fait mouche. Les Chœurs d’Angers Nantes Opéra paraissent
parfois un peu dissipés, et l’on aimerait de temps à autre plus d’unité vocale,
mais ce serait faire injure à ce travail de saine résurrection de souligner
indûment l’une ou l’autre faiblesse. Ne faisons donc pas la fine bouche :
on ne peut que se réjouir de ces P’tites
Michu, salutaire bain de jouvence! On n’est pas étonné d’apprendre que
l’Australie, la Nouvelle-Zélande, puis Broadway, les accueillirent avec
enthousiasme au cours des années 1906 à 1908. En 1905, Londres en avait fait
autant pour quatre cents représentations…
Jean Lacroix