samedi 2 mars 2019

Des « Quatre Saisons » amusantes ? De Vivaldi ? Non, de Chédeville !

Des « Quatre Saisons » amusantes ? De Vivaldi ? Non, de Chédeville !


Les liens vers le CD sont ICI et ICI 



… Et à la vielle à roue, encore bien ! Cet instrument qui était apparu en Europe occidentale vers le Xe siècle sous le nom d’«organistrum » évolua au fil du temps, devint l’apanage de bateleurs, jongleurs ou mendiants et s’inscrivit dans la tradition populaire. Au XVIIIe siècle, il connut une sorte de renaissance ou de consécration lorsque les milieux aristocratiques s’y intéressèrent. Dotée d’une manivelle et d’un clavier, la vielle à roue se tenait sur les genoux, posée transversalement. Une main s’occupait de la manivelle, dans un jeu ininterrompu, l’autre main étant dévolue au clavier. L’apogée de la vielle à roue correspond de manière précise à l’existence de Nicolas Chédeville (1705-1782), issu d’une famille de joueurs, facteurs et compositeurs de musette (une cornemuse perfectionnée), apparentés à la famille Hotteterre. Les plus jeune des trois frères Chédeville, Nicolas, fut maître de musette des filles de Louis XV, il composa de la musique de chambre pour musette et vielle dans un style champêtre qui était à l’honneur à la cour de France. Même Marie-Antoinette s’y serait essayée. Le recueil de Vivaldi Il Cimento dell’armonica e dell’invenzione, dont font partie Les Quatre Saisons, est publié en 1725, et bientôt édité en France, en 1739. Chédeville est séduit, il transcrit une partie de cette riche matière pour en faire Les Saisons amusantes, qui vont se retrouver au plus proche de ce que le Prêtre roux a composé. La notice du livret de ce CD Ricercar (RIC 398) rapporte une dédicace de Chédeville au marquis de Collande : « Lorsque j’ay entrepris d’adapter les grandes compositions d’Antonio Vivaldi au ton champêtre d’un instrument qui fait tout l’objet de mon travail, j’étais sûr de l’estime du Public pour les excellents matériaux que j’ay mis en œuvre. » Le phénomène de la transcription est courant au XVIIIe siècle, ce qui permet une diffusion plus aisée de la musique ; on sait que Bach a utilisé le procédé, mais il fut loin d’être le seul.
Que trouve-t-on dans Le Printemps ou Les Saisons amusantes chédevilliennes ? Six concertos intitulés, dans l’ordre, « Le Printemps », « Les Plaisirs de l’été », « La Moisson », « L’Automne », « Les Plaisirs de la Saint-Martin » et « L’Hiver ». Un tableau comparatif des correspondances entre les mouvements de la transcription de Chédeville et l’original vivaldien figure dans le livret. Il permet à l’auditeur de suivre pas à pas le travail entrepris par le maître de la vielle à roue. Le concerto « La Primavera », les premiers et troisième mouvements de « L’Autumno » et le second mouvement de « L’Inverno » (qui est inséré comme mouvement lent de « L’Automne » chez Chédeville) sont adaptés quasiment note pour note. Les autres parties de l’ensemble proviennent des diverses parties de l’Il Cimento vivaldien. On est partout très proche de l’original. Avec quelques modifications rythmiques et des ajustements qui tiennent compte des possibilités de la vielle à roue.
Cette musique est délectable à tous points de vue. Elle est non seulement représentative des tendances d’une époque galante et insouciante qui aime folâtrer, se divertir dans la légèreté à travers la musique qui tient une grande place dans la haute société. Pour nos oreilles contemporaines, c’est un régal d’écoute. Ce n’est pas que l’on redécouvre les Saisons, ce serait aller trop loin, mais c’est une autre manière de les approcher, transposées avec finesse et goût comme elles le sont par Chédeville. C’est l’Ensemble Danguy qui est à la manœuvre : deux violons, un violoncelle, un basson, théorbe, guitare et clavecin accompagnent la vielle à roue que manie Tobie Miller avec dextérité, finesse et virtuosité. Mais le livret ne nous parle pas des interprètes, une simple photographie en noir et blanc nous les montrent. Précisons que Tobie Miller, qui dirige l’Ensemble Danguy, est d’origine canadienne, a étudié la vielle à roue, la flûte à bec et le chant à Vancouver et Montréal, puis à la Schola Cantorum de Bâle, où elle réside. En 2015, elle enregistrait en solo des transcriptions pour vielle à roue de pièces de Jean-Sébastien Bach, et deux ans plus tard, avec l’Ensemble Danguy, elle était à l’œuvre, déjà chez Ricercar, dans un CD récital intitulé « La Belle Vielleuse », centré sur le XVIIIe siècle et des partitions variées de Corrette, Dupuits, Ravet, Daquin… Le présent programme, dont la prise de son date de juin 2018, a été réalisé dans l’église Notre-Dame de Centeilles, à Siran, dans l’Hérault. On aurait rêvé y assister.


Jean Lacroix